Les abus de langage du mot "pervers"
On
retrouvera aussi le mot à la rubrique faits divers, depuis l'affaire DSK
jusqu'à des cas aussi monstrueux que celui de Lukka Rocco Magnota, le dépeceur
canadien, dont on a pu entendre dire, de certains experts, qu'il était un "pervers sexuel sadique". Est-ce un abus de langage ou y a t-il
vraiment plus de perversion dans nos relations ? Pour en parler, Anne-Laure Gannac,
rédactrice en chef adjointe à Psychologies Magazine .
Classiquement, la perversion renvoie aux conduites sexuelles
déviantes : sadisme, masochisme, exhibitionnisme, pédophilie, fétichisme,
etc. Plus largement, sur le plan psychique, elle renvoie au plaisir de détruire
l'autre. Le pervers c'est celui qui fait souffrir d'autres personnes. Le pervers jouit de faire
souffrir l'autre. L'autre n'existe pas, il n'est que son jouet à lui, le jouet
de son plaisir.
Les symptômes les plus évidents de cette
pathologie sont une absence totale d'empathie, le pervers se fiche
complètement des sentiments ou de la souffrance de l'autre. Une
tendance à la transgression et au passage à l'acte : il est extrêmement
déterminé à obtenir ce qu'il souhaite. Et puis, on peut ajouter que le plus
souvent, c'est une personne dont l'arme la plus puissante est le langage qu'il
manie, détourne, utilise de façon très subtile, au point qu'il est impossible
de dialoguer avec lui.
Etymologiquement, "pervers" vient de perverto qui
signifie "renverser, ruiner, anéantir" : c'est vraiment ce qui
se passe : par le langage, le pervers est capable de nous rendre honteux
de nous-mêmes, de nous donner le sentiment d'être moins que rien ou d'être
cette mauvaise fille, ce mauvais garçon qu'on redoutait tellement d'être, cette
épouse ou cet employé particulièrement minable... il appuie là où c'est
susceptible de faire le plus mal et de trouver un écho immédiat.
C'est un comportement
pathologique qui se met en place très tôt, dans l'enfance. Il faut bien comprendre qu'il lit, il comprend ce que
ressentent les autres, mais qu'il s'en fiche. Pourquoi ? Parce que dans cette
violence qu'il inflige, il y a ce message : le monde est pourri et les
gens aussi.
"Pervers" est un de ces mots que
l'on a tendance à entendre de plus en plus. On se l'est approprié, notamment les jeunes, souvent les
premiers à entraîner de nouvelles tendances langagières : c'est le cas de
pervers, mais comme de mytho, parano, schizo... Il y aurait sans doute beaucoup
à dire sur cette médicalisation, et plus encore cette psychopathologisation, de
nos qualificatifs.
Mais il n'y a pas que cela : il y a dix ans déjà le
psychanalyste Charles Melman annonçait l'émergence de rapports humains de type
pervers. Et aujourd'hui, les autres psys le confirment : oui, de toute
évidence, notre société favorise les conduites perverses.
Longtemps, notre société a fonctionné sous le système du
patriarcat, un système puritain, moralisateur, très peu permissif. Ce qui
incitait plutôt au refoulement, (à l'empêchement), à la honte, à la
culpabilité. Avec la fin de ce système patriarcal, on aboutit à une société
beaucoup plus permissive, libertaire. Libérale et individualiste aussi, où la
loi qui l'emporte, ce n'est plus la loi incarnée par la figure du maître, du
chef, de l'autorité avec un grand A. Celle là, elle s'est quasiment effondrée ;
non la loi qui domine désormais, dans nos sociétés, c'est celle de notre propre
désir. Or, vu ce que l'on disait tout à l'heure de la perversion, on comprend
bien que tout cela soit propice à ce fonctionnement psychique. Mais
attention ! Je ne suis pas en train de dire qu'auparavant c'était
formidable, non : ce système patriarcal savait aussi très bien fabriquer
ses propres monstres, on n'en manquait pas. Mais pas forcément, pas autant de
type pervers.
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