Patrimoine : en Égypte, la rénovation d'une pyramide de Gizeh déchire les spécialistes

Pour certains, c'est "le projet du siècle", pour d'autres, c'est le summum de l'absurdité : en Égypte, la rénovation d'une pyramide crée la polémique.
Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Vidéo du compte Facebook de Mostafa Waziri, où l'ajout d'une couche de pierres de granit est réalisé dans le cadre d'une "rénovation". (Capture d'écran Facebook)

Tout est parti d'une vidéo tournée sur site et publiée vendredi 26 janvier. On y voit le très médiatique patron des Antiquités égyptiennes, Mostafa Waziri, devant la pyramide de Mykérinos, la moins haute des trois pyramides du plateau de Gizeh. Autour de lui des ouvriers sont en train d'installer un parement de blocs de granit. Cinq rangées sont déjà posées.

Une "dysneylandisation" du site

Mostafa Waziri raconte qu'il y a près de 5000 ans, la pyramide construite en blocs de calcaire, était partiellement recouverte à sa base de pierres granitiques rouges, 16 ou 17 rangées au total, qui depuis ont bien sûr disparu. Le projet dont il a la charge (en coopération avec le Japon), vise à rendre à Mykérinos son aspect d'origine. Trois ans de travaux sont prévus et au bout, dit-il, "un cadeau de l'Égypte au monde du XXIe siècle".

Mais cette rénovation suscite beaucoup d'incompréhension, ainsi que des moqueries : "Plutôt que du carrelage, on pourrait poser du papier peint", ironise un internaute. Un autre se demande si, selon ce principe, on ne cherchera pas demain "à redresser la tour de Pise". Les égyptologues, eux, n'ont pas du tout envie de rire. Ils dénoncent une transformation à la "Disneyland", destinée à attirer les touristes et leurs selfies. "Tous les principes internationaux sur les rénovations interdisent de telles interventions", explique l'archéologue reconnue Monica Hanna, qui se demande quand cessera l'absurdité dans la gestion du patrimoine égyptien. Régulièrement, ce sujet suscite en effet d'intenses débats.

Des bâtiments anciens rasés sans préavis

En Égypte le tourisme représente 10% du PIB. La préservation du patrimoine, qui est gérée par l'État, s'attache moins à protéger l'histoire de la civilisation qu'à la rentabiliser. Depuis 2020, dans le centre historique du Caire, des tombes de la Cité des morts ont été rasées pour faire place à une voie rapide. C'est pourtant la plus ancienne nécropole du monde musulman classée au Patrimoine de l’Unesco. Début janvier 2024, un centre d'art, véritable institution pour les amoureux de la culture et niché dans le Caire historique du quartier des potiers, vient d'être détruit sans préavis pour élargir une route.

Dans la tentaculaire capitale de plus de 20 millions d'habitants, le régime multiplie les travaux routiers spectaculaires. La société civile, quasiment interdite d'activités politiques, n'a plus que ce terrain de l'urbanisme et du patrimoine pour affronter le pouvoir. Mais en décembre, le pays a reconduit Abdel Fattah al Sissi à la présidence jusqu'en 2030. Ce combat est perdu d'avance.

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