Anja Linder, harpiste paraplégique : "Quand je joue, je marche, je vole, je fais tout ce que je veux"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 22 février 2024 : la harpiste Anja Linder pour son album "Schubert".
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 21 min
Anja Linder et sa harpe adaptée le 6 février 2024 (JOEL SAGET / AFP)

Anja Linder est l'une des harpistes les plus populaires et demandées de sa génération. Elle est totalement fusionnelle avec cet instrument et pour cause, il a été son pilier après le terrible drame survenu lors d'un concert le 6 juillet 2001 au parc de Pourtalès de Strasbourg. Elle était l'une des 150 victimes du platane qui est tombé sur la foule à la suite d'un violent orage. 15 personnes y ont laissé la vie et après cinq opérations et une semaine passée dans le coma, Anja Linder est ressortie paraplégique de cet accident.

Depuis, elle n'a pas cessé de se battre pour rejouer de la musique et pour remonter sur scène. Le 19 mars prochain, elle sera en concert à la bibliothèque musicale de La Grange-Fleuret à Paris pour y présenter son album Schubert, en trio avec la violoncelliste Julie Sévilla-Fraysse et le violoniste Laurent Korcia. Elle jouera également lors de la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques de Paris le 8 septembre prochain.

franceinfo : Dans cet album, vous avez décidé de sublimer ces partitions de Schubert en y apportant votre personnalité. Est-ce que cela signifie que Schubert est très important pour vous ?

Anja Linder : J'ai été élevée sur les genoux de ma mère et elle donnait des cours de piano, donc j'entendais les morceaux de Schubert depuis toute petite. Ceux qui sont sur cet album-là sont vraiment des pièces qui m'ont accompagnée toute ma vie. Il y en a un avec lequel j'ai gagné le concours international de musique de chambre d'Arles, qui a été un déclencheur formidable dans ma carrière. Le trio qui clôture l'album, c'est tout simplement un des morceaux que je préfère au monde. Je l'écoute depuis toujours et je me disais toujours que je raterais ma vie si je ne jouais pas l'andante du trio.

L'annonce de la nouvelle que vous n'alliez jamais pouvoir remarcher, évidemment a été terrible. Mais le plus dur pour vous était d'imaginer que vous ne puissiez plus jamais rejouer de la musique.

Quand je joue, je marche, je vole, je fais tout ce que je veux. C'est tellement plus important pour moi de jouer.

"Quand j'ai appris que je ne marcherai pas, c'était terrible, mais je sais que si on n'avait pas pu me créer cet instrument, je ne sais pas si j'aurais eu envie de vivre."

Anja Linder

à franceinfo

Vous êtes sortie de l'hôpital et pendant quatre ans, vous avez rêvé de remonter sur scène. Vous allez faire une rencontre extraordinaire. En 2004, vous allez dans un magasin de musique et il y a un homme qui vous voit et qui décide de trouver une solution pour vous permettre effectivement de rejouer.

Il m'avait entendu quand j'avais gagné le concours international de musique de chambre d'Arles et après l'avoir revu à cette occasion-là, il m'avait laissé un message sur mon répondeur où il me disait : "Est-ce que ça te tente qu'on essaie d'adapter la harpe à ton handicap ?" Et c'était vraiment la phrase que j'espérais depuis des années. Et donc je lui ai dit, dans une espèce de souffle et de sanglots : "Oui, merci." Et puis à partir de ce moment-là, c'était l'aventure de l'Anjamatic avec ces différents prototypes, les essais qui n'ont pas marché, les fuites huiles dans mon salon parce qu'au début, elle était hydraulique. C'est une très belle aventure. J'ai de la chance de pouvoir rejouer et j'en ai vraiment conscience.

Il faut préciser qu'effectivement il y a des pédales et que quand on est privé de ses jambes, ce n'est pas possible de jouer. Donc ils ont créé un système pour pouvoir vous permettre d'avoir cette assistance et de faire de la harpe. Je voudrais que vous me parliez de ce concert qui aura lieu le 19 mars prochain à la bibliothèque musicale de la Grange-Fleuret à Paris. J'imagine toute l'émotion que vous avez quand vous montez sur scène.

C'est toujours mon endroit préféré, la scène. Il y a une notion de temps qui s'arrête au moment des concerts et ces moments-là me nourrissent énormément.

"Je peux être malheureuse pendant un mois, mais si j'ai une heure de bonheur sur scène, ça me nourrit pour des mois."

Anja Linder

à franceinfo

Il y a un autre événement très important qui va arriver le 8 septembre prochain puisque vous allez participer à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques. Qu'est-ce que ça représente pour vous ?

J'en rêvais et quand on me l'a proposé, j'ai vraiment pensé que c'était impossible. Et je suis vraiment, infiniment heureuse d'y être associée parce que ce sont des athlètes qui sont incroyables, qui oublient tout et qui se réapproprient leur corps de façon extraordinaire.

Quand on parle du handicap en général, ceux qui sont touchés par ça disent qu'ils vivent leur handicap à travers le regard des autres. Est-ce que vous avez l'impression que le regard des Français change au fil du temps ?

Oui, parce que ça fait maintenant 22 ou 23 ans que je suis en fauteuil. On m'a dit des choses horribles pendant que j'étais en rééducation, que maintenant, on ne me dirait plus. Il y a encore dix ans, quand les taxis ne voulaient pas me prendre parce que ça allait déranger, personne ne réagissait. Alors que maintenant, dans la rue, les gens sont révoltés et ils courent après le taxi en criant.

Ça existe encore des taxis qui ne vous prennent pas parce que vous êtes en fauteuil roulant ?

Oui. Par contre, avant ça arrivait dans l'indifférence et maintenant ça n'arrive plus.

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