Immigration : où en est la question migratoire en Tunisie, face aux migrants subsahariens, et au Japon, pays historiquement fermé ?

Alors que la Tunisie, liée depuis 2023 à un protocole d'accord avec l'UE, peine à contenir les départs de migrants vers l'Europe, le Japon s'ouvre à une immigration économique presque en cachette. Nos correspondants sur place décrivent la situation.
Article rédigé par franceinfo - Mathieu Galtier, Karyn Nishimura
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Les restes de bateaux utilisés par les migrants pour traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe sont éparpillés le long du port d'El-Amra, dans le gouvernorat tunisien de Sfax, le 24 avril 2024. (FETHI BELAID / AFP)

Pour contenir l'immigration dans les pays de destination, certains accords signés avec des pays de transit s'accompagnent de fortes sommes versées à ces derniers, pour les aider à contenir les départs de migrants. Le protocole d'accord entre l’Union européenne et la Tunisie, signé en juillet 2023, était présenté comme un modèle à Bruxelles. Il prévoit une enveloppe de 105 millions d’euros pour aider le pays à gérer la question migratoire. Seulement, la répression de plus en plus forte dont sont victimes les migrants, met à mal l’image d’une Tunisie comme pays sûr.

Le Japon est connu pour avoir une politique d’acceptation des immigrés extrêmement restrictive, et plus encore concernant le droit d’asile. Pourtant, le pays est soumis à une forte décroissance démographique et a de plus en plus besoin de main-d’œuvre.

En Tunisie, le président fait la chasse aux Subsahariens menaçant de "changer la démographie" du pays

En Tunisie, les Subsahariens en situation irrégulière sont emmenés par bus aux frontières libyennes et algériennes. À Tunis, la police a détruit, début mai, les camps installés devant les sièges d’agences onusiennes. Elle a refoulé les migrants hors de la capitale. Dans la région de Sfax, haut lieu de départ des bateaux, la Garde nationale brûle les tentes de fortune installées dans les champs d’oliviers.

Le président tunisien Kaïs Saïed s’est félicité, la semaine dernière, du renvoi de plus de 400 migrants à la frontière libyenne. Mais la Libye et l’Algérie n’accueillent pas non plus ces populations, qui reviennent donc clandestinement en Tunisie. Ces opérations sont la troisième phase d’une politique répressive entamée en février 2023. Le chef de l’État avait alors dénoncé l’afflux de Subsahariens venus "changer la démographie" du pays. Ensuite, sous la pression populaire, les forces de l’ordre avaient évacué les migrants qui avaient trouvé refuge dans des jardins publics, au centre de Sfax. Aujourd’hui, la stratégie est donc de les chasser des oliveraies, l’une des principales richesses du pays.

Des ONG visées

Face à ce tour de vis sécuritaire, les ONG se murent dans le silence, car elles sont elles-mêmes visées. La semaine dernière, une dizaine de responsables d’associations qui viennent en aide aux migrants ont été arrêtés. Ils sont accusés pour la plupart de blanchiment d’argent. Lundi, lors d’un conseil de sécurité national, Kaïs Saïed a qualifié certains responsables d’ONG de traîtres et de mercenaires. Résultat, le Haut-commissariat aux réfugiés ne peut plus recevoir de potentiels demandeurs d’asile, car l’association qui gère les rendez-vous pour lui est fermée.

Le HCR se refuse à tout commentaire. L’Union européenne, la France et l’Italie se taisent également. En ces temps de campagne européenne, les diplomates jouent profil bas. Et, l’Union européenne a déjà commencé son partenariat avec la Tunisie signé l’an dernier. Elle a versé cet automne 67 millions d’euros. L’argent doit servir à rénover les bateaux des gardes-côtes et à les équiper de caméras thermiques et de radars afin de mieux surveiller les départs pour l'Europe.

Au Japon, une immigration économique accueillie en toute discrétion

Au Japon, la situation est assez paradoxale. Il y a 15 ans, le gouvernement avait été envisagé un grand plan pour faire venir 10 millions d’étrangers, mais l’emploi du mot "immigré" avait effrayé la droite nationaliste. Donc officiellement, il n’y a pas de politique d’immigration. Or dans la réalité, il y a quand même de plus en plus d’étrangers au Japon.

Le pays en a économiquement besoin. Dès son retour au pouvoir en 2012, Shinzo Abe a favorisé l’entrée de travailleurs étrangers mais sans employer l’expression épouvantail de "politique d’immigration" et sans donner beaucoup d’avantages à ces immigrés. Actuellement, 3,5 millions d’étrangers vivent au Japon, dont plus de 2 millions travaillent. Le but de l’exécutif actuel est d’accentuer cela, mais toujours en évitant le mot "immigré", comme le fait le Premier ministre Fumio Kishida au Parlement : "Pour que nous construisions une société de symbiose avec les étrangers, déclare-t-il, le gouvernement doit d’abord préciser sa vision de l'avenir et s’associer aux régions, aux associations, pour mettre en œuvre de façon responsable une politique d’intégration."

"Regardez ce qui se passe en Europe"

Le Japon a trouvé l’astuce : la définition du mot immigré va aux seuls détenteurs d’un statut de résident permanent. Cela représente un peu moins de 900 000 personnes. Les autres sont pour ainsi dire des étrangers de passage, venus travailler, mais qui n’ont pas vocation à rester trop longtemps. La population du Japon qui diminue ne favorise pas l'idée d'intégrer des étrangers. La nécessité économique est la seule que peut accepter la droite dure. Et encore, avec beaucoup de scepticisme. Naoki Hyakuta, le numéro un du Parti Conservateur du Japon, nouvelle formation créée après le décès de Shinzo Abe, juge trop permissif son successeur Fumio Kishida : "Bien sûr on peut couvrir les besoins des usines et autres lieux de travail en faisant venir des étrangers, affirme-t-il, et c’est positif pour le Japon. Mais la question est de savoir si les aspects négatifs ne sont pas plus importants. Le Premier ministre parle de 'symbiose avec les étrangers', mais est-il vraiment possible de vivre avec des gens totalement différents de nous ? Regardez ce qui se passe en Europe, vous comprendrez."

Donc la plupart des statuts de visa créés le sont pour des raisons économiques et ce que reproche la droite dure, c’est l’absence de nombre défini et de nature précise des étrangers acceptables. Elle veut une réelle politique d’intégration qui permette d’encadrer les nouveaux venus.

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