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REPORTAGE. "Ici, nous sommes dans un pays souverain" : au Burkina Faso, le souffle du changement, entre ras-le-bol de la France et la tentation russe

Depuis quatre mois et l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, le Burkina Faso a décidé de prendre son destin en main pour tenter de ramener la paix dans le pays. Première à en faire les frais, la France dont l’ambassadeur et les forces spéciales vont devoir faire leurs bagages.
Article rédigé par franceinfo - Nathanaël Charbonnier et Fabien Gosset
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
A Ouagadougou, au Burkina Faso, il n'est pas rare de voir des drapeaux russes dans les rues. (Nathanaël Charbonnier / Radio France)

Il n’aura fallu que quelques mois pour faire basculer le Burkina Faso dans une nouvelle époque. Tout s’est joué en septembre dernier lors du second putsch qui a porté au pouvoir le capitaine Ibrahim Traoré devenu depuis président de la transition. Depuis, les choses se sont précipitées : départ annoncé des forces spéciales françaises, départ de l’ambassadeur français et montée du nationalisme burkinabé. 

>> Burkina Faso : après le coup d'État, la France en ligne de mire

A Ouagadougou, il est impossible de ne pas ressentir ce souffle nouveau. Et cette envie de changement est partout. Le week-end dernier encore, ce sont des milliers de personnes qui se sont rassemblées sur la place de l'Indépendance pour soutenir le nouveau pouvoir en place.

Sur une moto, à Ouagadougou (Burkina Faso), son propriétaire a déposé un drapeau russe. (Nathanaël Charbonnier / Radio France)

Une partie de la population ne croit plus en la France

Sur la scène, les tribuns défilent, très remontés. Et dans la foule, assez jeune, on agite des drapeaux burkinabés et russes. C'est une réalité : une partie de la population ne croit plus en la France, mais en la Russie pour ramener le calme. C'est le cas de Monique Yeli, militante souverainiste et ancienne candidate à la présidentielle. "Chaque État indépendant est libre de coopérer avec qui il veut, indique-t-elle. Pourquoi la Russie serait notre ennemie, si elle est l'ennemie de la France ? C'est pour affirmer notre souveraineté, pour démontrer que nous sommes souverains, que nous irons vers la Russie."

"C'est cette réponse que l'on veut donner à la France : c'est parce que la Russie est l'ennemie de nos ennemis qu'elle devient notre amie."

Monique Yeli

à franceinfo

Et même si tous les Burkinabés ne sont pas aussi radicaux, et même s'il ne faut pas sous-estimer le poids de la propagande russe sur les réseaux sociaux, ce sentiment est partagé ici par tous : la France n’est plus la bienvenue dans le pays.

On reproche à la France de n'avoir pas donné d'armes

Si beaucoup de choses se mélangent, on reproche à la France d’être toujours présente, malgré la décolonisation, de faire la pluie et le beau temps sur les hommes politiques locaux. On lui reproche surtout son manque de résultat dans la guerre contre le terrorisme, avec, notamment, un argument entendu un peu partout : la France n’a pas donné d’armes au Burkina pour se défendre.

"Une fois, j'ai discuté avec un officier supérieur, se souvient Somda Asseghna, membre du Centre de gouvernance démocratique. Et j'ai été sidéré quand il m'a dit que la France ne nous avait jamais vendu une arme neuve. Je ne peux pas vous donner le nom de l'officier, mais j'étais sidéré. Et donc c'est tout cela qui crée ce malaise. Et si j'ai un conseil à donner à l'Élysée, c'est qu'ils doivent revoir leur copie, tout simplement."

Des manifestants à Ouagadougou (Burkina Faso) portent un portrait du président Ibrahim Traoré. (Nathanaël Charbonnier / Radio France)

Ni l’ambassade de France ni l’armée française ne communiquent sur ce sujet, puisque l'information est difficile à vérifier, mais ce message traverse toutes les couches de la population et est utile pour les dirigeants burkinabés, comme le nuance Mahamoudou Savadogo, expert en sécurité.

"Le gouvernement actuel a décidé d'assumer le retrait de la France, mais aussi d'assumer les conséquences, parce qu'ils ne pourront plus se cacher derrière elle. Et aujourd'hui, s'il y a un problème, cela va tout de suite être visible..."

Mahamoudou Savadogo, expert en sécurité

à franceinfo

La France est ainsi le bouc émissaire facile de la situation. Que cela soit vrai ou non. En tout cas, à partir de maintenant, avec le départ des forces spéciales, la messe est dite. 

"Ici, nous sommes dans un pays souverain"

Ce ras-le-bol tricolore et cette envie de Russie sont-ils partagés par l’ensemble de la population ? Dans le quartier populaire de Somegandé, à la sortie Est de Ouagadougou, chez des chrétiens évangélistes, le pasteur Wilfrid Raoundé accueille les fidèles. "Nous sommes derrière le président Ibrahim Traoré s'il est pour la paix, souligne le pasteur. Et s'il n'est pas pour la paix, on n'est pas avec lui. S'il est pour la paix avec les Russes, pourquoi ne pas s'associer avec les Russes pour avoir la paix ? Si la France fait notre affaire, on sera derrière la France ! Ici, nous sommes dans un pays souverain."

Même à l'église, dans les prières, le débat sur la présence de la France s'invite, comme ici dans le quartier populaire de Somegandé, à la sortie Est de Ouagadougou, chez des chrétiens évangélistes. (Nathanaël Charbonnier / Radio France)

La paix est ce que tout le monde recherche, au Burkina Faso : cette semaine encore, le pays a été endeuillé de plusieurs dizaines de morts. Mais l’autre mot à retenir est bien celui de la souveraineté, une notion capitale. Et l'homme qui représente à la fois cette paix possible et cette souveraineté est aujourd’hui le président Traoré, assure Karim Ouadraogo : "Le capitaine Traoré, c'est comme s'il était moi, comme s'il était dans ma tête ! C'est ma vision qu'il est en train de faire. Pour moi, la patrie ou la mort, et nous vaincrons !" Autant dire que la pression est désormais sur les épaules du président Traoré. Il ne dispose que de quelques mois pour ne pas décevoir.

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