A Paris, deux collèges fusionnés en un seul secteur et un bilan mitigé : "On aurait envie que la mixité ne soit pas juste un mélange d'enfants"
Mélanger les milieux sociaux, les origines, les niveaux, pour faire réussir les élèves et éviter les ghettos : c'est l'objectif des dispositifs de mixité testés dans certaines villes. Dans le 18e arrondissement de Paris, par exemple, on expérimente depuis 2017 un "secteur multi-collèges", qui mélange enfants aisés et défavorisés. Avant cette expérimentation, le collège Hector-Berlioz, classé en éducation prioritaire, concentre toutes les difficultés : violence, résultats au brevet parmi les plus bas de Paris, plus de la moitié des 400 élèves viennent de milieux très modestes. Madame Crepy est professeur de lettres classiques. "J'ai choisi de venir à Berlioz", dit-elle au moment de se présenter. En 2017, l'enseignante quitte le très chic 16e arrondissement de la capitale et débarque au moment où l'expérimentation débute. "La première année fut pour moi extrêmement difficile parce que j'avais des classes ghettos. Il n'y avait aucun mélange et la misère a une couleur, c'est vrai. Alors que là, grâce à la mixité sociale, certains élèves perturbateurs ne vont pas oser franchir certaines limites. Parce qu'il y en a d'autres qui sont là pour travailler et parce qu'ils n'en voient pas l'intérêt."
Ce dispositif de mixité est unique en France : le secteur du collège Hector-Berlioz a été fusionné avec un autre, le collège Antoine-Coysevox, situé à 600 mètres seulement, mais au public beaucoup plus favorisé. Tous les enfants de ce désormais grand secteur unique rentrent en 6e une année dans l'un, une année dans l'autre, et y restent jusqu'à la fin de leur 3e. C'est ce qu'on appelle la montée alternée, et cela va dans le sens du "plan mixité" que Pap Ndiaye, le ministre de l'Education, doit présenter jeudi 11 mai. "Ça fonctionne !" affirme l'enseignante de Berlioz, mais au prix d'un engagement personnel très important : "L'énergie que l'on met à préparer les cours, notamment parce qu'on a des classes hétérogènes... C'est vraiment du sur-mesure. Et pour une heure de cours, je passe au minimum deux heures, deux heures et demie. Le suivi est beaucoup plus important." Et elle ponctue sa conclusion d'un rire : "C'est très fatigant, vraiment très fatigant !"
Dans la cour de ce collège, les changements sont visibles. Il y a par exemple un piano en libre-service et des bancs installés un peu partout. Les peintures sont refaites, la cour est végétalisée et le bien-être au collège passe aussi par le cadre de vie. Le principal, Farid Boukhelifa, arrivé en 2017, a vu de grands progrès : "Le climat scolaire s'est nettement amélioré. Depuis quelques années, il n'y a pratiquement plus de conseils de discipline. Il y a vraiment le respect notamment de l'autorité des adultes. Entre 2008 et 2016, on était entre 47% et 67% au maximum de taux de réussite au brevet des collèges. Aujourd'hui, on est autour de 89%, c'est la moyenne académique." Les professeurs et les élèves apprécient enfin les très nombreux projets mis en place : théâtre, concerts, voyages, une dynamique collective qui profite à tous.
"Il n’y avait plus du tout de mixité, les conditions de travail étaient difficiles, mais tout a changé, confirme de son côté Carine Monaco, professeur d’éducation musicale, depuis quatorze ans au collège Berlioz. Il y a des enfants qui ont d’autres connaissances, qui ont permis de tirer des élèves vers le haut, ça permet aussi à des élèves moyens de travailler dans de meilleures conditions, et de ne pas baisser les bras, c’est important."
Au collège Coysevox, on déplore un "gâchis"
Le bilan est donc très positif pour le collège Berlioz, très défavorisé au départ, mais c'est plus mitigé pour le collège plus aisé, avec désormais un public beaucoup plus mélangé. On est certes loin aujourd'hui des manifestations de familles opposées au projet, en 2016. François Bohn est représentant des élèves du collège Coysevox. Au départ, il a validé la démarche et son garçon y est toujours scolarisé. "Je tire le bilan qu'il est difficile d'en tirer un. On n'a jamais eu de bilan. Pour ça, il aurait fallu mettre en place des indicateurs de réussite, des indicateurs de niveau en sixième, en troisième, des indicateurs sur le suivi de l'orientation des élèves après leur sortie en troisième. On n'a strictement aucun indicateur alors que la première cohorte de sixième est rentrée il y a six ans."
Il y a bien quelques chiffres sur les deux premières années qui prouvent que les classes sociales sont mieux réparties, mais rien sur ce que vivent les enfants et leur scolarité. Marion Saiag est professeur de maths depuis huit ans à Coysevox. Elle parle d'un projet "magnifique" et elle s'y est beaucoup investie au départ, mais aujourd'hui, elle se sent abandonnée. "On a été lâchés par le rectorat, on a été lâchés par la mairie sur les engagements qu'il avait pris. La convention qui a été signée en 2017 est caduque depuis 2020. On aurait envie que la mixité ne soit pas juste un mélange d'enfants posés à un endroit et qu'on les fasse réussir, ces gamins. Et là, on ne sait pas s'ils réussissent. Et puis on ne sait pas s'ils arrivent vraiment à se mélanger, s'ils vivent bien ensemble. C'est plus que décevant. C'est vraiment du gâchis. Ça nous met en colère."
Une expérimentation difficile à étendre
Les enseignants de Coysevox ont fait grève au départ pour réclamer des moyens supplémentaires. Aujourd'hui, il y a un deuxième CPE, comme à Berlioz, les effectifs des classes sont également plafonnés, mais les moyens ne sont pas les mêmes. "Si on accueille autant d'élèves en difficulté, il faut qu'on reçoive autant d'argent", estiment pourtant les professeurs.
Il y a aussi la complexité de faire vivre cette mixité au quotidien, concrètement. Dans les classes, ça marche à peu près, grâce aux efforts des enseignants, mais dans la cour, ce n'est pas gagné. Hamda El Khiari, professeur de français, évoque un phénomène d'auto ségrégation : "Le mélange se fait difficilement, c’est ça le problème. Nous, on aimerait que le mélange se fasse davantage, on le maintient autant que possible dans toutes nos activités, c’est notre vrai souci au quotidien. Mais après, ce sont des choses sur lesquelles on n’a pas de prise." Le professeur pointe une mixité uniquement statistique, mais pas réelle. Pour lui, il manque un troisième collège, de niveau social moyen, pour que l'alchimie se crée plus.
Cette expérimentation parisienne pourrait être élargie à d'autres endroits, mais il faut que la situation s'y prête, avec des établissements très proches géographiquement, mais très différents socialement. Cela ne pourrait pas marcher par exemple en Seine-Saint-Denis, ou au contraire à Neuilly, où les publics sont trop homogènes. La question des moyens est aussi très sensible. Il faut des budgets en plus pour les collèges aisés qui se mettent à accueillir des élèves en difficulté. D'autres dispositifs sont aussi étudiés : des collèges à Paris par exemple testent une affectation par algorithme, censée mélanger les types de familles, en se basant sur le quotient familial.
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