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L'aide humanitaire pour Gaza, otage d'une guerre sans freins

Alors que les États-Unis peinent à se faire entendre du gouvernement israélien pour renforcer l'aide humanitaire, de nouvelles routes d'accès sont créées de toutes parts sans pour autant arriver à répondre au risque de famine.
Article rédigé par Etienne Monin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Des Palestiniens courent alors que l'aide humanitaire est larguée par avion dans la ville de Gaza, le 1er mars 2024. (- / AFP)

C'est un petit triangle sur la grande carte de suivi des navires que l'on peut consulter sur internet : il est 9 heures du matin, vendredi 15 mars, lorsque le bateau espagnol Open Arms devient visible au large de Gaza. Ce navire rouge et blanc est un ballon d'essai, il teste la route maritime entre Chypre et Gaza, afin de tenter d'établir au plus vite possible un nouveau corridor maritime humanitaire.

Cette opération est conduite par une puissante association américaine déjà présente à Gaza et par une ONG espagnole de secours aux migrants pour laquelle Laura Lanuza est porte-parole. Elle rappelle que le corridor a été autorisé par Israël en décembre 2023 : "Il y a encore trois semaines, emprunter ce corridor semblait impossible. Il y avait une chance sur 1 000 pour qu'on y arrive. L'Open Arms a pu embarquer 200 tonnes de nourriture."

Cet assouplissement du blocus maritime israélien est soutenu par les Émirats arabes unis. De leur côté, les États-Unis font partir des bateaux militaires depuis la Virginie. Sur une base militaire américaine, Tom Bateman pour la BBC explique que cet autre projet de corridor maritime humanitaire devrait prendre deux mois, qu'il est dimensionné pour permettre la distribution de deux millions de repas par jour, mais que Gaza n'a pas forcément besoin d'une nouvelle route de l'humanitaire.

C'est aussi le sentiment de Philippe Bonnet, chef de mission Urgence pour Solidarités International. De retour de Gaza, il explique que "les bateaux et les avions, on les voit plus comme un outil politique des États pour montrer leur positionnement par rapport à cette crise, mais ce n'est pas ces éléments qui vont apporter aux Gazaouis l'aide dont ils ont besoin."

"Ce qui va permettre d'aider les Palestiniens, ça va vraiment être l'entrée de ces milliers de camions qui font la queue à Kerem Shalom et au terminal de Rafah avec tous les biens essentiels dont les gens on besoin."

Philippe Bonnet, chef de mission Urgence pour Solidarités International

Visiblement soucieuse de répondre aux critiques sur les multiples restrictions d'accès à l'aide humanitaire, l'armée israélienne a permis à l'ONU de tester une nouvelle route mardi 12 mars, pour atteindre directement le nord et éviter le pillage des convois. Andrea de Domenico, qui coordonne l'aide humanitaire pour l'ONU avec l'OCHA, précise que "dans ce secteur, il n'y a pas de personnes ou de foules qui bloquent les camions. Ça permet de gagner du temps pour acheminer l'aide vers le nord. Ce n'est pas la solution pour tout le nord, mais c'est un petit pas en avant." 

Ramadan a minima

Malgré cela, vendredi 15 mars, une nouvelle distribution d'aide humanitaire a tourné au désastre dans le nord, où au moins 20 personnes sont mortes touchées par balle. Le Hamas et l'armée israélienne se renvoient la responsabilité. Le nord de l'enclave reste le secteur le plus critique, mais le manque de produits et l'explosion des prix rendent la vie impossible également dans le sud où s'entasse le gros de la population.

Dans ce climat de fin du monde, le ramadan a donc débuté lundi 11 mars de façon hautement dégradée. Khaled fait partie des déplacé de Rafah. Pour tout le monde, la célébration se fait a minima. "La population va jeûner quelle que soit la situation, mais avec plus de souffrance et moins de coutumes, estime-t-il. Par exemple, les visites de familles sont totalement annulées dans la liste des pratiques du Ramadan."

Pendant que Gaza s'installe dans la guerre, la violence continue en Cisjordanie occupée. Six Palestiniens, dont un enfant de 13 ans, ont été tués cette semaine par les forces de sécurité israéliennes dans plusieurs accrochages vers Jerusalem et la ville de Jenine. Et un nouveau Premier ministre fidèle au président Mahmoud Abbas a été désigné.

Une crise ouverte entre Joe Biden et Benyamin Nétanyahou

Le document fait 41 pages : il s'agit de l'état annuel de la menace évaluée par les services de renseignement américains à destination du congrès. Page 25, on mesure le fossé qui est en train de se creuser entre l'administration américaine et le gouvernement radical de Benyamin Nétanyahou, critiqué pour sa gestion de la situation. L'Amérique soutien et critique en même temps le chef du gouvernement Israélien. Mais la pédale de frein ne semble pas véritablement fonctionner, même quand le président américain, Joe Biden, fixe une ligne rouge autour de Rafah le dimanche 10 mars sur la chaîne de télévision MSNBC en déclarant "qu'il n'est pas possible d'avoir 30 000 morts supplémentaires cotés Palestiniens. Ne commettez pas les mêmes erreurs que les États-Unis."

Un dialogue à distance est en train de s'installer entre Joe Biden et Benyamin Nétanyahou. Le Premier ministre israélien est critiqué pour son jusqu'au-boutisme et les multiples restrictions qui freinent les convois humanitaires, mais il se sent légitime quand il répond à Joe Biden sur Fox News. "Il a dit qu'il était d'accord sur l'objectif de détruire l'organisation militaire du Hamas et c'est ce qu'on veut faire, a-t-il déclaré. C'est soit Israël, soit le Hamas. Il nous faut cette victoire. On ne peut pas avoir les trois quarts d'une victoire. Pour les habitants d'Israël, c'est une ligne rouge. On ne peut pas laisser le Hamas survivre." Le Premier ministre se dit prêt à évacuer les civils avant une opération à Rafah, mais le plan n'a toujours pas été présenté.

Dans cet épisode, Amélie Ferey, politiste, responsable du laboratoire de recherche sur la défense de l'IFRI, explique pourquoi les États-Unis n'arrivent pas à appuyer sur le frein malgré leur influence sur Israël : "Israël a les moyens d'assurer sa défense sans les États-Unis, c'est un État doté de l'arme nucléaire, mais sa défense contre les roquettes de Gaza et du Hezbollah, ce que l'on appelle le Dôme de fer, est extrêmement coûteuse. C'est pour cela que les États-Unis ont voté une enveloppe spéciale, pour aider Israël dans le cadre de la guerre Israël-Hamas."

"Les États-Unis développent des accès pour l'aide humanitaire sans pouvoir stopper les bombardements et éventuellement l'offensive terrestre a Rafah."

Amélie Ferey, responsable du laboratoire de recherche sur la défense de l'IFRI

"Les États-Unis ont toujours répété qu'ils apportaient leur soutien indéfectible à Israël, poursuit Amélie Ferey. Pour Joe Biden, il est impossible politiquement de supprimer cette aide militaire qui est fondamentale pour Israël. C'est pour cela qu'il a des marges de manœuvre assez réduites. Benyamin Nétanyahou le sait très bien et c'est pour cela qu'il a tendance à ne pas écouter les Americains et à les mettre devant le fait accompli. Mais Joe Biden doit faire face à l'échéance électorale de novembre prochain, avec une aile gauche de son parti très critique vis-à-vis de la conduite d'Israël, et très préoccupée par le sort des Palestiniens. Ce qui fait qu'il est pris en étaux et donc qu'on se retrouve dans une situation où les États-Unis font de l'aéro-largage de l'aide humanitaire ou construisent ce port pour acheminer de l'aide sans pouvoir stopper les bombardements et éventuellement l'offensive terrestre à Rafah."

Dans cet épisode : Thibault Lefevre, Philippe Bonnet, Amélie Ferey

Réalisation : Pauline Pennanec'h, Etienne Monin,Thomas Coudreuse

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