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1914-1918, franceinfo y était. 25 avril 1916 : Du pain gris dans les boulangeries

Cent ans après la Première guerre mondiale, franceinfo raconte les événements clés de 1914-1918 comme s'ils venaient de se passer. Aujourd'hui, "Du pain gris dans les boulangeries".

Article rédigé par Grégoire Lecalot, Laurent Mariotte
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Deux jeunes boulangers. (GALLICA / BNF)

Vous avez pu sans doute vous en rendre compte si vous êtes passé à la boulangerie ce matin : le pain blanc a disparu des paniers. Inutile d’en chercher, il est remplacé par un pain national, contribution à l’effort de guerre, nous explique le Ministère. La France pourra ainsi importer moins de blé. Laurent Mariotte, vous êtes allé chez le boulanger ce matin et vous avez pu goûter ce pain. Est-ce qu’il est bon ?

Il est consommable, il est mangeable, mais son goût est un petit peu altéré par la farine que l’on utilise pour sa composition. Il y en a devant nous : quand on rompt ce pain, on voit que la mie est très dense et tire vraiment sur le gris...

Vous venez de le dire, les boulangers dorénavant ne doivent cuire qu’une sorte de pain, ce pain national, qui contient moins de farine de blé et qui continue à perdre sa couleur blanche dont on s’était déjà un peu déshabitués. Pourquoi ? Parce que le taux de blutage a été abaissé à 77 %. Le blutage, c’est l’opération qui consiste à séparer la farine du son. Pour faire simple, plus on souhaite que la farine soit blanche, plus on retire de son et moins on obtient de farine. Aujourd’hui, que fait-on ? On incorpore les résidus à la farine pour que ça en altère la couleur, le goût. Avec ce blutage à 77 %, il faut donc 77 kilos de froment pour produire 100 kilos de farine.

Qu’est-ce qu’on y met exactement ? Quand vous dites "résidus", de quoi s’agit-il ?

L’enveloppe du germe de blé se retrouve à l’intérieur. L’État, pour ce pain national, permet d’utiliser des mélanges de céréales diverses, de succédanés, de farine de riz... On trouve par exemple 10 % de farine de riz à l’intérieur de ce pain, voilà pourquoi la mie est si dense. On n’en est pas encore à mettre de la paille comme on peut le faire dans certaines campagnes quand il y a une totale pénurie de blé. Pas encore...

On ne vous sent pas très enthousiaste sur le goût, dites-nous la vérité... Ce n’est pas très bon ?

Son goût et sa couleur le rendent moins appétissant que celui auquel on est habitué – on ne va pas se mentir. C’est vrai que c’est un pain de moindre qualité, il apporte moins de calories que le pain blanc, mais il est tout à fait consommable ! Je vous rappelle qu’au début de l’année dernière, en 1915, le taux de blutage était de 72 %, et cela avait déjà une incidence sur le goût et la couleur de ce pain. Disons-nous que c’est passager, en fait, et qu’en consommant ce pain national, on fait un effort patriotique.

Laurent, on dit souvent que la France est une terre à blé. Pourquoi en arrive-t-on à devoir faire ces "économies" ?

Parce que c’est la guerre... Les champs de blé sont devenus des champs de bataille. De nombreux boulangers sont partis au front, leurs femmes ou leurs compagnes se retrouvent donc à devoir tenir les boutiques. On est plus du tout dans les boulangeries surpeuplées d’avant-guerre. La bonne nouvelle, si je puis dire, c’est que des pétrins mécaniques ont fait leur apparition et qu’ils donnent un coup de main aux boulangers pour fabriquer ce pain national. Ils remplacent la main de l’homme parti au front.

Et que pense le boulanger de ce pain ?

Il est fier de le faire, mais pour être tout à fait franc, il fait un peu grise mine, comme la mie de ce nouveau pain ; il se retrouve avec un seul type de pain, vendu plus cher, et on lui impose une farine plus chère aussi. Mais on espère que d’ici la fin de cette année ou de la prochaine, on retrouvera dans nos boulangeries croissants et autres viennoiseries, comme on aime les faire en France, et des pains "de luxe" par rapport à ce pain national très rustique.

Merci, Laurent, on attend ce moment avec impatience...

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