CHRONIQUE. Est-il devenu impossible de réviser la Constitution ?
Tout est parti d’une petite phrase, relevée par le journaliste Philippe Bernard pour le journal Le Monde, alors qu’elle était passée inaperçue. Une phrase glissée par Emmanuel Macron dans la lettre qu’il a adressée aux chefs de partis à la suite de la rencontre de Saint-Denis, en août : "Le sujet de l’immigration sera traité, d’une part, au Parlement, (…) d’autre part, à travers la question du référendum et des éventuels changements de Constitution." Voilà comment, au détour de ce document, le président de la République semble ouvrir la voie à une revendication historique du Rassemblement national, ainsi que, désormais, des Républicains : l’organisation d’un référendum sur l’immigration.
On peut être sceptique sur cette éventualité. De l’avis des juristes – par exemple Dominique Rousseau, professeur à l’université Paris 1, ou Didier Maus, qui a présidé l’Association française de droit constitutionnel – l’organisation d’un tel référendum nécessiterait impérativement d’en passer par l’article 89 de notre constitution, qui permet, justement, de modifier la Constitution.
Cela semble compliqué. Parce que, avant de pouvoir soumettre une révision constitutionnelle au vote des Françaises et des Français, il faut déjà que le texte ait été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Contrairement aux lois ordinaires, on ne peut pas se passer du vote du Sénat. Or, le fait est qu’il y a, aujourd’hui, au Sénat, une très large majorité de droite. Et, depuis le début de sa présidence, à chaque fois qu’Emmanuel Macron a voulu modifier la Constitution, que s’est-il passé ? Les sénateurs LR ont fait monter les enchères, en exigeant que le texte satisfasse toutes leurs demandes, jusqu’à ce que le président finisse par abandonner. C’est ce qui s’est passé pour la réforme des institutions et pour l’inscription de l’écologie au rang des principes de la République. Et on peut imaginer que c’est ce qui se passerait pour l’immigration : les exigences sont déjà si grandes qu’il paraît difficile, pour Emmanuel Macron, de consentir une telle victoire à l’opposition.
Calcul politique
Avec cette petite phrase, le chef de l'Etat entre dans le jeu politique. On peut imaginer qu’Emmanuel Macron fasse mine d’envisager un référendum sur l’immigration, tout en sachant qu’il n’aboutira pas, de manière à pouvoir en rejeter l’échec sur la droite sénatoriale. C’est un calcul qu'avait déjà fait François Hollande, quand il avait tenté, en vain, mais volontairement, de faire modifier la Constitution pour honorer l’une de ses promesses : le droit de vote des étrangers aux élections locales. Avec à chaque fois, une même conséquence : l’érosion de la croyance des citoyennes et des citoyens en l’action publique. À force d’agiter des révisions constitutionnelles dont tout le monde sait qu’elles n’aboutiront pas, on alimente l’idée d’une impuissance des responsables politiques.
Cela pose aussi un problème d’ordre démocratique. Car le mode de scrutin des sénateurs favorise, de fait, les petites communes rurales. Or celles-ci ont toujours voté plus à droite que le reste de la population. Notre chambre haute avantage donc, structurellement, les partis de droite. En 65 ans de Ve République, le Sénat n’a connu que trois petites années de majorité de gauche, entre 2011 et 2014. La conséquence, problématique, c’est qu’il est extrêmement difficile, pour un gouvernement qui ne serait pas de droite, de réussir à modifier notre Constitution. Nicolas Sarkozy a eu les mains libres pour mener une révision importante, en 2008. François Hollande a dû se contenter d’une réforme limitée aux enjeux de lutte contre le terrorisme. Emmanuel Macron, pour l’instant, s’y est cassé les dents.
Simplifier les règles des révisions constitutionnelles ?
Ce n'est pas forcément la bonne solution : il faut faire attention. Le principe même d’une Constitution, c’est qu’elle ne puisse pas être modifiée tous les quatre matins. Elle doit offrir, aux citoyens, des garanties de stabilité et de respect des droits fondamentaux. Mais il est anormal qu’un camp politique ait, de fait, le monopole des révisions constitutionnelles d’ampleur. A fortiori un camp qui fait moins de 5% à l’élection présidentielle, mais possède toujours le verrou du Sénat !
Si nous commencions par réformer l’élection des sénateurs, tout en s’abstenant d’utiliser les projets de révision constitutionnelle comme des tracts électoraux, notre vie démocratique et notre débat publique en sortiraient, sans doute, déjà grandis !
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