"La politique, en prison, je ne sais pas si on en parle mais on la regarde"
"Vous pensez vraiment que je peux parler politique ? Ca ne vous semble pas choquant que je donne mon avis alors que je ne suis même pas inscrit ? Pour moi, parler politique sans voter, c'est bête. Sa voix, il faut la donner dans l'urne. "
Ali a 23 ans, il n'a pas retrouvé sa carte d'identité le jour où il a voulu aller s'inscrire sur les listes. En mai 2012, c'était pourtant son premier rendez-vous présidentiel, une échéance à laquelle il veut participer. Ali, qui se dit "timide depuis toujours ", n'a jamais parlé politique en public. Pourtant, il s'intéresse, en parle "en famille ", suit la politique dans les médias. Car, tous les soirs, Ali est devant le journal télévisé. Un rendez-vous qu'il présente comme une étape importante de sa réinsertion. Se lever tôt et couper les ponts avec ses amis d'adolescence complètent l'horizon auquel il raconte s'astreindre. Une épreuve, à l'entendre, et un défi qu'il se fixe à lui-même, incertain d'y parvenir tout à fait.
Il y a deux ans, Ali est sorti de prison. Il avait un peu plus de 20 ans, il venait de purger, coup sur coup, deux peines fermes : deux mois d'abord, dix ensuite. Là-bas, derrière les bareaux, il raconte que la politique existe "parce qu'on la regarde beaucoup ". Mais que la réinsertion par la vie civique, l'initiation à la citoyenneté ne sont même pas un écran de fumée. Plutôt un trou.
Rancœur
D'ailleurs, Ali parle avec une rancœur âpre de la réinsertion "inexistante". Fabien Jobard, qui dirige le Centres d'études sociologiques sur la délinquance et les institutions pénales (Cesdip), confirme que la prison se préoccupe aujourd'hui davantage d'évaluer la dangerosité que de réinsérer.
En sortant, Ali s'est refait une vie, il a mis six mois à trouver un emploi, est aujourd'hui en CDI. Pas dans le secteur auquel il se destinait, en revanche : le seul diplôme qu'il a, ayant arrêté l'école en troisième, c'est le brevet d'animateur pour enfants, qu'il a passé avec l'aide des éducateurs PJJ qui le suviaient à la fin de l'adolescence.
À l'époque, il avait 18 ans, et ça faisait déjà cinq ans qu'il était dans le curseur des services sociaux du ministère de la Justice. Son premier signalement remonte à ses 13 ans et demi. Après, ce fut un dossier lesté de petites choses et de vraies "conneries ". Et enfin, la prison.
De quoi éloigner pour de bon de la vie citoyenne ? Ali affirme qu'il n'en est rien. Il se dit "centre gauche ", parce qu'il préfère "la solidarité à l'enrichissement ". Fabien Jobard confirme que l'appétit pour la politique est fort dans les quartiers sensibles. Y compris chez les jeunes, y compris lorsque leurs vies sont heurtées. Y compris, enfin, lorsqu'ils sont délinquants et, parfois, passent du temps en prison.
Appétit et temps libre
Le directeur de recherches CNRS rappelle que ce qui féconde l'envie de parler politique ("Du blocus sur le pétrole iranien aux territoires occupés en passant par l'élection présidentielle "), ce n'est pas le jeu institutionnel ou la vie des officines politiques. Mais bien un appétit pour l'actualité dont on cause parce qu'on a du temps libre.
Les partis, en revanche, ne trouvent pas grâce aux yeux d'Ali. Trop décalés, trop absents surtout. Fabien Jobard confirme cet appétit déçu, en particulier vis-à-vis de la gauche, dans les quartiers même si l'on y avait plus massivement voté PS que d'ordinaire en 2007 pour faire barrage à Nicolas Sarkozy.
Aujourd'hui, Ali aspire à partir à l'étranger. Pour y exercer comme éducateur pour enfants et travailler grâce à ce diplôme, mais aussi parce qu'il est "plein de rancœur ". Notamment envers son pays :
"Il y a deux catégories de Français... et notamment ceux qui veulent savoir d'où je viens et d'où je sors ".
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