Des journalistes de légende

A la première planche, on a vraiment l’impression d’attaquer une aventure de Corto Maltese. On y suit une troïka, lancée au galop dans la neige et la nuit de Vladivostok. Plus on lit, plus l’affaire est entendue : le héros d’Hugo Pratt a bel et bien existé. Il avait pour nom Joseph Kessel.

La grande aventure du reportage

Le romancier journaliste, l’auteur du Lion et de Fortune carrée, dont on brosse ici le portrait enlevé, a tout du personnage imaginé par le maestro italien de la bande dessinée. Kessel, c’est la Russie secouée par la révolution et la Première guerre mondiale, l’Abyssinie que sillonnent les caravanes d’esclaves, le Sahara à perte de vue, depuis le cockpit des héros de l’aéropostale… et ce n’est qu’un début. La vie conduira le grand homme jusqu’à l’Académie française, où il est élu en 1962.

Sa haute stature, son visage épais, son uniforme d’aviateur seraient presque à l’étroit dans cette BD où l’on croise la mort à chaque page, et où l’on boit plus que de raison pour repousser les fantômes de la nuit.

Kessel par Cyrille Charpentier et Jörg Mailliet, premier opus : La Naissance du lion, aux éditions Les Arènes.

A la même époque, l’autre grand nom du journalisme, c’est Albert Londres. Celui qui disait : "Notre métier est de porter la plume dans la plaie". Albert Londres raconte la cathédrale de Reims en feu, après un bombardement allemand en 1914. Lui aussi se rend dans la Russie des soviets en 1920. En 1922, il dénonce ce qui se passe au bagne de Cayenne.

Il parcourt la Chine et les Balkans. Mais tout prend fin, brutalement, dans la nuit du 15 au 16 mai 1932, quand le Georges Philippar, le paquebot sur lequel il rentre en France, prend feu et sombre dans le golfe d’Aden. Que s’est-il passé ? Aujourd’hui encore, le mystère reste entier. Frederik Kinder et Borris émettent une hypothèse : le grand reporter était devenu gênant.

Albert Londres doit disparaître, aux éditions Glénat.

Le journalisme comme engagement 

Enfin, voici Elizabeth Freeman. Suffragette, en tête du combat pour le droit de vote des femmes aux États-Unis, elle embrasse aussi la cause des noirs. Son courage et son acharnement à dénoncer les horreurs d’une Amérique, rongée par le racisme et la discrimination, la feront enquêter sur le lynchage d’un jeune afro-américain, Jesse Washington, commis à Waco, en mai 1916. Les détails du calvaire de l’ouvrier agricole sont accablants. La publication des photos réveille les consciences.

Lisa Lugrin, Clément Xavier et Stéphane Soularue signe Waco Horror, Elizabeth Freeman, l’infiltrée, aux éditions Glénat