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"Le parti d'Emmanuel Macron au Parlement européen" a-t-il été financé par des multinationales ? On a décortiqué les accusations de Marine Le Pen

L'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, avec lequel La République en marche avait évoqué la possibilité d'une "coalition", a bien touché de l'argent de plusieurs entreprises. Une pratique légale au sein de l'UE, mais qui soulève des questions. LREM a, depuis, pris ses distances avec l'ALDE.

Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Les députés du Parlement européen participent à un vote en session plénière, en février 2019, à Strasbourg.  (FREDERICK FLORIN / AFP)

Marine Le Pen dénonce le poids des lobbys à Bruxelles. "Vous savez ce qu'ils font ?" a interrogé la présidente du Rassemblement national, jeudi 7 mars, sur RTL. "Ils financent les partis politiques européens et ils financent l'ALDE, le parti d'Emmanuel Macron au Parlement européen." "Le parti politique européen ALDE que monsieur Macron rejoint au sein du Parlement européen est financé par Bayer-Monsanto", le fabricant du très contesté glyphosate, a-t-elle insisté un peu plus tard dans l'interview, mettant en avant de possibles conflits d'intérêts.

Cette affirmation a suscité de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, mais aussi dans le live de franceinfo. "Certains partis de l'UE seraient financés par Monsanto ?", nous a ainsi interrogé l'un de nos lecteurs. Effectivement, plusieurs multinationales ont subventionné – en toute légalité – l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ALDE), un parti avec lequel La République en marche a un temps envisagé une "coalition" en vue des élections européennes. Mais il ne s'agit pas du seul mouvement politique concerné. On vous explique toute l'affaire.

Qui a financé l'ALDE et à quelle hauteur ?

Dans les déclarations de Marine Le Pen, il faut bien différencier l'ALDE, un parti politique auparavant nommé Parti européen des démocrates, libéraux et réformateurs (ELDR), et le groupe du même nom que le mouvement forme, au Parlement européen, avec le Parti démocrate européen (PDE), depuis 2004. "Le parti ALDE, et non pas notre groupe au Parlement européen ou un homme politique en particulier, a des accords d’entreprise avec plusieurs acteurs industriels européens, et ce depuis plusieurs années", a confirmé l'un de ses porte-paroles à Libération.

Depuis 2014, les financements des partis politiques européens sont publiés chaque année par l'Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes. Comme l'a constaté Le Monde en épluchant ce fichier, l'ALDE a bien reçu 122 000 euros de la part de huit multinationales et lobbys. Sept dons, qualifiés de "parrainage", dépassent les 12 000 euros : 15 000 euros versés par Google, 13 000 euros par le cabinet de conseil et d'audit Deloitte, 15 000 euros d'Uber, 18 000 euros de la société suisse spécialisée dans la chimie et l'agroalimentaire Syngenta, 18 000 euros de la plateforme Yelp, 18 000 euros du géant de la chimie et de la pharmaceutique Bayer et 18 000 euros du lobby de l'industrie agroalimentaire Food drink.

A quoi a servi cet argent ?

Ces entreprises, moyennant des financements compris entre 7 000 et 18 000 euros, ont pu intervenir au congrès annuel du parti, comme à Madrid en 2018, ou lors de colloques. Sur la plaquette éditée pour l'occasion (PDF), ces sociétés apparaissent bien en tant que "partenaires, sponsors et co-organisateurs".  

Les "partenaires" du congrès de l'ALDE organisé en 2018. (ALDE)

"Nous ouvrons nos débats à ces entreprises, qui participent en retour aux frais d’organisation de ces événements" explique au Monde Didrik de Schaetzen, le directeur de la communication de l’ALDE. Bayer et Disney ont ainsi eu voix au chapitre lors d'un débat sur "l'avenir du commerce, des investissements et de l'innovation", aux côtés d'une commissaire européenne, d'une ministre et d'un député européen, précise le journal.

Est-ce légal ? 

"C’est une pratique courante et parfaitement légale" assure au Monde Didrik de Schaetzen, le directeur de la communication de l’ALDE. La contribution versée par l'Union européenne peut couvrir jusqu'à 90% des dépenses du parti, pas davantage, "le reste devant être couvert par des ressources propres telles que les cotisations et les dons", précise le Parlement européen. Dons qui peuvent provenir de "personnes physiques ou morales, d'une valeur maximale de 18 000 euros par an et par donateur", prévoit le règlement sur les partis européens. Impossible en France, où le financement de partis politiques par des entreprises est interdit depuis 1995.

S'ils sont légaux, ces financements n'en sont pas moins contestés. L'ONG Corporate Europe Observatory dénonce ainsi les risques de conflits d'intérêts qu'ils font peser sur les formations politiques. "Ces financements sont pour ces entreprises une chance supplémentaire d’influencer les politiques, dénonce Margarida Silva, chargée de campagne, auprès de France 2. Cela peut biaiser le jeu démocratique, parce que ce n’est plus 'un citoyen, une voix' mais plutôt, 'celui qui a le plus d’argent a le plus d’influence'." Ces pratiques dérangent, y compris au sein de l'ALDE.

Le parti ALDE, qui organise des colloques, des manifestations, a en effet accepté [ces financements] dans des conditions légales, c'est une connerie.

Jean Arthuis, eurodéputé français et membre de l'ALDE

à franceinfo

Sept députés européens français appartiennent aujourd'hui à l'ALDE, dont Jean Arthuis. Elu lorsqu'il était encore membre de l'UDI, le député européen (et ancien ministre) siège désormais sous l'étiquette LREM. Contacté par franceinfo, il assure qu'il ne savait rien de ces dons avant ces révélations et dénonce un modèle de financement "à prohiber définitivement". Dans un contexte de campagne pour les élections européennes, "le parti n'a pas besoin de ça". "Ce ne sont pas des sommes extraordinaires, mais c'est ridicule parce que ça fait naître des suspicions absurdes", tonne l'eurodéputé, qui annonce vouloir protester lors de la prochaine réunion du parti contre cette pratique.

Quel est le lien avec En marche ?

Contrairement à ce que dit Marine Le Pen, l'ALDE n'est pas à l'heure actuelle "le parti d'Emmanuel Macron au Parlement européen". Le président ne l'a pas non plus "rejoint", comme la présidente du Rassemblement national le déclare. "C'est faux, nous ne sommes pas membres de l'ALDE et nous ne serons pas membres de l'ALDE, le parti libéral européen, affirme à franceinfo un membre de l'équipe de campagne pour les élections européennes de La République en marche. Ni LREM ni le MoDem ne sont membres du parti européen." 

La réalité est un peu plus compliquée. Le congrès de l'ALDE de novembre 2018, financé en partie par ces multinationales, avait en effet accueilli La République en marche. Astrid Panosyan, déléguée à l'action internationale du parti d'Emmanuel Macron, avait alors évoqué à la tribune "un front commun" LREM-ALDE.

L'ALDE est le cœur avec lequel En marche veut construire cette coalition.

Astrid Panosyan, déléguée à l'action internationale de LREM

lors du congrès de l'ALDE, en novembre 2018

Ce projet n'est plus d'actualité, affirme mardi La République en marche auprès de franceinfo, après la diffusion la veille d'un reportage de "L'Œil du 20 heures" sur France 2. Le parti assure désormais qu'il n'y aura ni "alliance" ni "coalition" avec l'ALDE. Contacté à nouveau par France 2, le porte-parole de l'ALDE assure n'avoir pas été informé de cette décision et se dit "surpris" "Il n'y a aucun signal de changement de notre côté."

Quoi qu'il en soit, après cette polémique, l'équipe de campagne de LREM entend étendre cette interdiction à l'Union européenne, en cas de victoire aux élections de mai : "On veut qu'il n'y ait aucune suspicion sur le travail démocratique européen que nous proposerons, nous modifierons les règles européennes pour que ces financements ne soient plus possibles." "Ce ne sont pas de bonnes pratiques pour des partis politiques qui doivent être indépendants dans leur manière de légiférer", a affirmé Stéphane Séjourné, le directeur de campagne de LREM, à France 2. Elles sont interdites en France, elles doivent aussi être interdites en Europe."

Oeil 20h - 11/03/2019
Oeil 20h - 11/03/2019 Oeil 20h - 11/03/2019

Y a-t-il des financements similaires dans d'autres partis européens ?

Le recours de partis politiques européens à des financements issus d'entreprises privées n'est pas l'apanage de l'ALDE, comme l'a remarqué Le Monde. Au cours de la dernière législature, 92 entreprises ont versé des dons à cinq grands partis politiques européens, notamment à des think thanks qui leur sont rattachés, pour un total de 1 034 506 euros, selon le quotidien. En 2018, le Centre Wilfried Martens du Parti populaire européen (droite) a obtenu 61 000 euros et les eurosceptiques du CRE, 101 097 euros d'entreprises privées. Les socialistes du PSE ont perçu 13 132 euros en 2018, via la Fondation européenne d'études progressistes, un think thank rattaché au parti. 

A titre de comparaison, les libéraux démocrates de l'ALDE ont bénéficié de 104 000 euros de dons de la part d'entreprises en 2018, sur un budget total de 3,5 millions, poursuit Le MondeD'après le journal, le parti européen de Marine Le Pen, l'Europe des nations et des libertés, n'a pour sa part "reçu quasiment aucune contribution privée".

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