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"C'est la présidentielle la mieux préparée" : comment le FN tente de "professionnaliser" sa campagne

Article rédigé par Sophie Brunn
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Jean-Lin Lacapelle, secrétaire national du FN, au QG de Marine Le Pen à Paris, le 4 janvier 2017 (NICOLAS TAVERNIER/REA)

Réseaux sociaux, éléments de langage, tractage... Le Front national souhaite devenir plus efficace sur le terrain. Franceinfo a suivi dans le Val-d'Oise Jean-Lin Lacapelle, ancien cadre de L'Oréal, qui prodigue désormais ses conseils auprès des militants en tant que secrétaire national aux Fédérations et à l’Implantation.

Dans cette zone d’activités de Cergy-Saint-Christophe, la plupart des bureaux sont vides et les volets, baissés, en cette fin d'après-midi et de semaine. Sauf dans un bâtiment du parc Buroplus, qui accueille dans un petit local du rez-de-chaussée la fédération du Front national du Val-d’Oise. Ce soir, elle tient son "assemblée générale" et une trentaine de militants se pressent dans une salle de réunion trop petite pour que chacun puisse s’asseoir. Des jeunes, des retraités, des hommes, des femmes... Certains arborent le pin’s de la rose bleue, le nouveau logo de Marine Le Pen.

Debout derrière des tables tapissées avec les affiches de campagne de Marine Le Pen, le président de la fédération, Mikael Sala, annonce l’ordre du jour : l’action militante, la mobilisation pour le meeting du Zénith de Paris le 17 avril, ainsi qu’un point sur les adhésions, en progression "assez spectaculaire" dans le département. Un invité de marque assiste à cette réunion : Jean-Lin Lacapelle, secrétaire national aux Fédérations et à l’Implantation. Pour le présenter, Mikael Sala adopte un ton très conquérant : "Il joue un rôle déterminant dans ce qui va nous faire remporter l’élection présidentielle et mener Marine à l’Elysée dans quelques semaines."

Les méthodes du privé appliquées au FN

Ancien cadre de L’Oréal et Danone, ce proche de Marine Le Pen est chargé de "professionnaliser" le parti. Voix rauque, carrure assez massive, ce presque quinquagénaire sait se montrer jovial – ce qui ne l'empêche pas de prendre sa tâche très au sérieux. Depuis sa nomination, il y a un an et demi, il a réalisé un "tour de France" de quasiment toutes les fédérations du parti : "95 départements en douze mois", annonce-t-il fièrement, où il a réalisé un "audit". Il emploie à dessein ce terme, d’habitude réservé au monde de l’entreprise. Chargé de la "mobilisation militante", il entend appliquer au FN certaines méthodes du privé. Le parti a longtemps manqué de cadres et peine encore à trouver des candidats fiables. Le départ massif d’élus municipaux depuis les dernières élections de 2014, dont LCI se fait ici l’écho, en est une illustration.

Alors à Cergy, Jean-Lin Lacapelle commence par exposer sa méthode. Pour "professionnaliser" le mouvement, il faut "renforcer les structures et améliorer les méthodes". Premier objectif : avoir "les meilleurs" aux postes de secrétaires départementaux. Cela s’est traduit par un renouvellement conséquent de cette hiérarchie intermédiaire, nécessaire pour changer l’image du parti, le mettre au travail et en élargir l’électorat. Sous son impulsion, 36 nouveaux secrétaires départementaux ont ainsi été nommés en un an, la "promotion Lacapelle", dont Mikael Sala fait partie. Chef d’entreprise, ancien membre de la CGPME, mais aussi batteur dans sa jeunesse pour des groupes comme Niagara, comme le raconte Le Parisien (réservé aux abonnés), il a fondé le collectif Croissance bleu Marine, qui réunit des patrons. Souriant, l'air affable sous ses lunettes à fine monture, Mikael Sala affiche un profil idéal pour un parti en quête de respectabilité. "C’est l’un de mes préférés, sourit Jean-Lin Lacapelle. L’efficacité passe par le renouvellement."

On cherche des compétences, une ouverture, le pluralisme des profils. Sur les 36 nouveaux secrétaires départementaux, il y a des jeunes, beaucoup de femmes, des profs, des chefs d’entreprise. Mais le renouvellement ne veut pas dire la purge.

Jean-Lin Lacapelle, secrétaire aux fédérations du FN

à france info

Précision utile quand on sait que Jean-Lin Lacapelle est surnommé "le nettoyeur" par certains cadres du parti, comme le rappelle Le Figaro, car il est chargé d'éloigner les "brebis galeuses" du mouvement. A l'image d'Alexandre Simonnot, l'un des récents prédécesseurs de Mikael Sala dans le Val-d'Oise. Ce catholique traditionaliste, très proche de Jean-Marie Le Pen (il a été son témoin de mariage), a été démis de ses fonctions en mai 2015. Ses propos homophobes et sa ligne proche de Le Pen père ont sans doute motivé les instances, comme il l’a expliqué dans La Gazette du Val-d’Oise. A l’époque, le parti avait justifié cette décision par une volonté de renouvellement de ses cadres.

"Donald Trump a été élu grâce aux réseaux sociaux"

Devant les trois rangs de militants, Jean-Lin Lacapelle poursuit son exposé. Le FN doit avoir "les bons outils" pour progresser, et les permanences en font partie. Il y a quatorze mois, la moitié des fédérations ne disposaient pas de local, notamment pour des raisons financières. "Difficile d’être le premier parti de France dans ces conditions", estime Jean-Lin Lacapelle. Le parti a donc aidé certaines fédérations à s'en doter, comme en Charente ou dans la Meuse, où, "pour la première fois de l’histoire" des permanences ont été ouvertes. Des "maillons" nécessaires pour faire grandir le mouvement.

Mikael Sala et Jean-Lin Lacapelle à la fédération FN du Val-d'Oise, le 10 mars 2017, à Cergy-Saint-Christophe. (SOPHIE BRUNN / FRANCEINFO)

Autre outil : les réseaux sociaux. S'il recommande d’y être "actif", il faut "faire attention : pas de dérapage !". "Donald Trump a été élu grâce aux réseaux sociaux. Marine Le Pen sera élue grâce aux réseaux sociaux. Nous sommes très en avance sur ce point", se réjouit-il avant de citer en exemple le travail d’un des nouveaux secrétaires départementaux, Jordan Guitton, 21 ans, nommé patron de la fédération de l’Aube. Son prédécesseur Bruno Subtil "tractait chaque dimanche matin depuis trente ans, mais n’était pas sur les réseaux, regrette l’ancien cadre de L’Oréal. Partout, on ouvre des réseaux sociaux, que ce soit Facebook ou Twitter." 

Jean-Lin Lacapelle, qui fait sa "sixième élection présidentielle" au FN, assure que "c'est la mieux préparée dans le fond. Par le passé, on a eu le problème de la collecte des signatures. Aujourd'hui, on a des collectifs et des experts qui travaillent depuis des mois." Après son exposé, deux questions de militants sont au programme. "On a la presse, pas de connerie !", assène-t-il en riant. Il se rassure vite avec la première, qui porte sur la prochaine livraison de tracts.

Ne jamais distribuer trois tracts en même temps sur un marché, sinon on inonde et on pollue le message.

Jean-Lin Lacapelle, secrétaire aux Fédérations du FN

à franceinfo

La seconde question concerne l’investiture des candidats aux législatives : quand leurs noms seront-ils annoncés ? C’est une autre partie du "job" de Jean-Lin Lacapelle, membre de la Commission d’investiture du parti. Pour être en mesure de présenter 577 candidats sérieux, il a mis en place une évaluation, sorte de mise à l’épreuve des postulants. Tous les deux mois, les prétendants à l’investiture doivent renvoyer une grille d’évaluation recensant leurs actions : nombre de tracts diffusés, recrutement de nouveaux adhérents, communiqués de presse, réunions publiques… En attendant de savoir s'ils sont retenus, via un courrier envoyé dans les prochains jours, les candidats doivent être les "ambassadeurs de Marine. L’enjeu principal, c’est la présidentielle, pointe-t-il. Si Marine Le Pen gagne, il y aura une vague 'bleu Marine' à l’Assemblée, on aura 300 députés."

Dans la salle, de nombreux militants hochent la tête. "Je ne fais pas partie de ceux qui disent 'si ce n’est pas en 2017, ça sera en 2022'. Non, si ce n’est pas pour 2017, ça ne sera jamais ! " La réunion se poursuit, mais cette fois sans la presse, pour aborder les questions "confidentielles" d’adhésion et de trésorerie.

La crédibilité du parti en jeu

Deux heures plus tard, changement de décor, mais pas d’objectif. Dans l'arrière-salle d’un restaurant du centre de Neuville-sur-Oise, un village situé à quelques kilomètres de Cergy, une cinquantaine de couverts sont dressés pour poursuivre la soirée dans un cadre plus convivial. Sous la charpente apparente de ce "restaurant français traditionnel", place au "dîner patriote", destiné aux sympathisants. Là encore, un mélange d’actifs, dont certains en costume-cravate, et de retraités. Nous sommes à nouveau autorisés à écouter les allocutions de Mikael Sala et Jean-Lin Lacapelle, mais pas à parler aux militants. Les cadres du parti souhaitent éviter le moindre dérapage. La crédibilité du parti est en jeu.

Après les conseils méthodologiques délivrés à la permanence, le duo passe, cette fois, à un registre beaucoup plus politique. Mikael Sala n’hésite pas à faire un parallèle entre Jean-Lin Lacapelle et le marquis de Vauban, l’architecte militaire de Louis XIV. "Vauban a unifié les méthodes françaises de construction, Jean-Lin est, lui, l’architecte de la construction du nouveau professionnalisme des fédérations FN, martèle-t-il avant de jouer sur la corde dramatiqueL’enjeu de la présidentielle, c’est la survie de la FranceIl ne faut pas faiblir, les amis, il y a 45 jours de combat à mener, il faut tout donner."

"On a gagné la bataille des idées"

"On va gagner !" crie un partisan dans la salle. Jean-Lin Lacapelle enchaîne et martèle son idée forte. "J’y crois et, plus qu’une croyance, c’est une nécessité et bientôt une réalité ! Il vous que vous en soyez persuadés vous aussi !" Le fameux "plafond de verre" est dans toutes les têtes. Mais contrairement à certains dirigeants du parti qui, hors micro, admettent que la victoire semble encore difficile, Jean-Lin Lacapelle l'estime à portée de main. Selon lui, "l’implosion des partis" leur est favorable car "nous, nous avons une candidate qui fait l’unanimité". Il met aussi en avant le contexte géopolitique : Brexit, élection de Donald Trump, référendum en Italie... "Tous les indicateurs sont au vert", assure-t-il. Dernier argument, largement partagé à la direction du parti : "On a gagné la bataille des idées depuis longtemps." Les rares militants que nous avons pu interroger assurent en tout cas que l’accueil réservé au FN a changé.

Sur les marchés, on est attendus. Les gens qui commencent par refuser de prendre les tracts font demi-tour quand on dit que c’est pour Marine Le Pen. Même depuis les élections régionales, on sent qu’on a progressé.

un militant FN

à franceinfo

Alors quand François Hollande s’inquiète, dans une interview au Monde, des chances de victoire de Marine Le Pen, le responsable de la mobilisation s’en sert pour user à nouveau de la méthode Coué. "C’est cette bataille qu’on a gagnée, celle de la crédibilité. Il y a une évolution dans les mentalités, s'emporte Jean-Lin Lacapelle. Aujourd’hui, c’est possible, en 2022. il sera trop tard. Vous devez convaincre autour de vous."

Des éléments de langage pour convaincre

Cette sortie permet à l'ancien cadre de L'Oréal de livrer aux militants quelques éléments de langage : "Il faut que vous le formuliez comme ça, l’enjeu de la présidentielle, c’est un référendum, on est dans un choix de civilisation, c’est le patriotisme ou le mondialisme." 

Les ennuis judiciaires de Marine Le Pen sont presque balayés d'un revers de la main mais c'est, là-encore, l'occasion de délivrer quelques conseils en termes de communication. "On est habitués aux attaques, quelles qu’elles soient. Ce qui va arriver sera encore pire qu’hier, car notre candidate est en passe de gagner, assure Jean-Lin Lacapelle. Attendez-vous à une manipulation extraordinaire. Il faut que vous soyez forts, que vous ayez les bons arguments pour répondre. Les médias sont très militants."

Avant de passer à table avec les sympathisants, à huis clos, le secrétaire national aux Fédérations et à l’Implantation effectue un rapide point sur le programme du parti. Au menu : les fondamentaux, comme la préférence nationale ou le rétablissement des frontières. Mais en guise de conclusion, Jean-Lin Lacapelle tient à remettre une couche sur la mobilisation. "Aux régionales, on a fait à peu près 30% des voix. Demain l’objectif, c’est 50% et une voix. Il faut qu’autour de vous, vous alliez convaincre, martèle-t-il. Si chacun d’entre vous convainc une personne, c’est gagné ! Une personne, ça peut être maman, papa, le voisin, le frère, qui vous voulez… Marine a besoin de vous." Les sympathisants entonnent une Marseillaise a cappella, conclue par des applaudissements et des "Marine présidente".

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