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La mondialisation et l'avènement de l'Internet confrontent les citoyens à une abondance d'informations

Remaniement, primaires au PS, difficultés de la jeunesse, montée des nationalismes en Europe du nord, révélations de Wikileaks... le rythme de l'actualité bouscule les repères habituels.Le sociologue Jean Viard, que nous avons interrogé, nous aide à mettre en perspective les récents événements.
Article rédigé par Catherine Rougerie
France Télévisions
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Jean Viard, sociologue et directeur de recherche  au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof). (AFP - jen-Pierre Muller)

Remaniement, primaires au PS, difficultés de la jeunesse, montée des nationalismes en Europe du nord, révélations de Wikileaks... le rythme de l'actualité bouscule les repères habituels.

Le sociologue Jean Viard, que nous avons interrogé, nous aide à mettre en perspective les récents événements.

Quels regards portent les Français sur les événements politiques récents en France, les primaires socialistes et le remaniement du gouvernement ?

J.V. Les gens sont inquiets : on est dans une sortie de crise difficile, l"euro est fragilisé et le chômage est considérable. Du coup, les péripéties de la vie politique apparaissent un peu secondaires.

Mais auront-ils des effets sur le vote des Français en 2012 ?

J.V. La présidentielle n"est pas pour tout de suite. Avant, il y a les cantonales qui mobilisent peu. 50% des gens n'y participent pas, et personne ne sait vraiment à quoi servent les cantons.

Après les grandes manifestations contre les retraites et en raison de l'"impopularité" du Président, la droite va perdre les cantonales. Elle va perdre un peu plus que ce qu"elle aurait dû. La gauche ayant déjà la majorité des départements, cela ne va pas changer les rapports de force, juste avoir un effet, plus ou moins marqué, sur la composition du Sénat.

Quand je parle de péripéties, ce n"est pas injurieux mais je pense que les deux préoccupations principales des français sont : est-ce que l"euro va tenir ? Est-ce qu"il va y avoir de la neige ?

Suite de l'interview

Que révèlent ces "péripéties" sur l"état actuel des deux camps ?

J.V. La droite a fait un gouvernement de combat autour de Nicolas Sarkozy : un gouvernement plus réduit, plus expérimenté, plus homogène. Il n"y a ni problème de personne, ni de stratégie. C"est plutôt rassurant en période de crise.

Reste qu"il y a un rejet du chef de l'Etat, que l"on retrouve d"ailleurs dans toutes les démocraties en période de sortie de crise, auquel s"ajoute un rejet lié à la personne de Nicolas Sarkozy.

De l"autre côté, la gauche est dans son processus de désignation mais le problème est que personne ne comprend vraiment ce qui changerait si elle était aux affaires. Est-elle capable de construire un pacte de combat qui serait meilleur que celui de la droite ?

Disons que la conviction n"est pas faite. Les choses restent ouvertes pour 2012.

Pourquoi le parti socialiste est-il en proie à de telles tensions ?

J.V. La gauche française a réussi l"essentiel des objectifs de 1848. Elle a construit le modèle social qui est le fondement de nos sociétés. C"est très bien mais au lieu d"inventer de nouveaux projets, elle ne cesse de répèter : "notre modèle de régulation est en train d"être détruit par les droites".

La droite a moins de difficulté à penser ce futur. Pour quelles raisons ?

J.V. Les droites sont issues des valeurs militaires du 19e siècle et de la culture des frontières. Elles sont donc à l"aise avec les questions liées aux territoires, aux identités et à la mondialisation.

C"est un véritable chantier auquel est confronté le PS pour refonder son corpus idéologique ?

J.V. La gauche est tournée vers le social mais ce n"est plus qu"une question parmi d"autres. Elle doit faire rentrer les autres enjeux dans sa pensée du monde. Et pour l"instant, elle n"arrive pas.

La gauche ne parvient pas à développer une pensée politique intégratrice.

Il y a d"un côté les identités "bricolées" par les extrêmes-droite. De l"autre, la question de la prédation de la nature par l"homme, traitée par les écolos.

Et que fait la gauche ? Elle se replie sur le nationalisme et le refus de l"Europe. On l"a vu lors du référendum.

Est-ce le même constat ailleurs ?

J.V. Tous les pays ne sont pas dans la même difficulté.

Le monde hispanique est passionnant, en pleine vitalité créatrice, à la limite entre le religieux et le socialisme. Il a su associer théorie de la libération et valeurs de gauche.

L"Allemagne se réunifie - deux millions d"Allemands sont revenus, notamment d"Ukraine - et reprend ses marques en Europe centrale.

Quant aux anglo-saxons, ils sont comme des poissons dans l"eau, le monde étant bâti sur le commerce depuis la Révolution Française.

Au fond les deux pays les plus désespérés, c"est l"Italie et nous.

L"Italie a été une grande nation mais aujourd"hui elle ne sait plus être le pont nord-sud, ni être un pont Méditerranée.

En France, au-delà des réformes menées, le Président ne nous permet pas, culturellement, d"incarner la grande tradition des valeurs françaises. Il ne comprend pas que dans des périodes de crise, on a besoin de s"appuyer sur ses fondamentaux. Et nos fondamentaux, c"est d"être le pays des droits de l"homme et des valeurs de 1789.

Au lieu de les mettre en valeur, il fait l"inverse.

Un exemple ?

J.V. Les Roms. Il n"y avait pas besoin de faire un tel cinéma. On pouvait procéder discrètement, comme on l"a d"ailleurs toujours fait. Là, le discours était absolument odieux.

Avoir un ministre de l"Intérieur de la République Française condamné pour propos racistes ferait retourner dans leur tombe les philosophes des Lumières.

On ne sait plus ce qu"être français signifie et à force de l"ignorer, on va finir par considérer que sont français uniquement ceux nés ici et ont la bonne couleur.

Etre français, ce n"est pas cela. C"est partager un certain système de valeurs, reconnaître que la Révolution Française a été l"une des grandes ruptures positives de l"humanité, reconnaître l"idée de liberté, l"amour de la liberté et la laïcité.

Si on casse ces quatre valeurs fondamentales, alors on n'a plus rien à partager et on se replie sur ce dont on est sûr.

Le taux de chômage des jeunes en France métropolitaine s'élevait à 23% au premier trimestre 2010 selon l'Insee

Comment expliquez-vous le fort taux d"abstention des jeunes aux élections alors qu"ils sont massivement touchés par les problèmes d"emploi et de logement ?

J.V. C"est un signe de non intégration. Entre ceux qui font beaucoup d"études, parfois même trop longues, ceux qui n"en font pas et s"en prennent plein la figure, ceux qui sont sous le seuil de pauvreté (le taux de pauvreté des jeunes est le double du reste de la population), les jeunes ne sont pas intégrés.

Or, on entre en politique lors de son insertion professionnelle ou à travers la défense d'intérêts, etc.

Les jeunes n"ont aujourd"hui que des rejets à exprimés.

Regardez les manifestations qui ont dégénéré à Lyon. N"ont été arrêtés que des élèves des 19 lycées techniques de la ville. Pas un seul issu de la filière générale. On voit bien comment une partie de la jeunesse est en train d"avoir la haine.

L"extrême gauche a d"ailleurs beaucoup progressé dans les intentions de vote, passant de 8 à 12%, 13%. Si on y ajoute ceux l"extrême-droite, cela fait beaucoup de jeunes qui sont très violents politiquement et qui sont plus dans une logique de refus.

Autre exemple. On demande toujours aux jeunesses d"Europe : « comment vous voyez votre propre avenir ? ». En France, 36% des jeunes le voient positivement. Au Danemark, c"est 60%. C"est très important car la jeunesse est une période positive de l"existence. En France, ce n"est pas le cas. Elle est en crise.

Du coup, les jeunes n"entrent pas en politique régulièrement et par conviction. Ils y entrent ponctuellement, pour un événement, pour un candidat particulièrement brillant. C"est un feu de paille.

C"est propre à notre époque ?

J.V. La jeunesse n"est pas moins engagée aujourd"hui qu"avant. Mais elle se mobilise sur des causes, sur des thèmes où les valeurs sont centrales. Tout ce qui relève de la gestion ne l"intéresse qu"à moitié.

Il y eu la génération engagée dans la résistance, celle de la guerre d"Algérie, la génération 68 contre la guerre du Vietnam, puis celle de SOS Racisme dans les années 80.

C"est donc un phénomène permanent …

J.V. Oui. La jeunesse construit son identité de génération dans les grands mouvements sociaux en France, ce qui est moins vrai ailleurs.

C"est un héritage du mythe fondamental de la Révolution française : les grands mouvements sociaux fondent les sociétés du futur.

Et au-delà de la jeunesse ?

J.V. Globalement, le nombre de gens qui ne votent jamais n"augmente pas. Avant, il y avait ceux qui ne votaient jamais pour des tas de raison, et ceux qui votaient toujours par devoir.

Aujourd"hui, les gens votent quand il y a un enjeu qui les mobilise. Ils sont devenus beaucoup plus zappeur.

Ce n"est pas tragique. C"est une façon de dire aux politiques que ce qu"ils proposent, n"intéresse pas. C"est un sentiment. Pas de l"indifférence.

Les Restos du coeur ont lancé leur 26e campagne d'hiver lundi 29 novembre

Les Restos du Cœur fonctionnement en grande partie grâce aux dons. 530.000 personnes donnent chaque année. Que révèle cette générosité alors que nos sociétés sont perçues comme de plus en plus individualistes ?

J.V. C'est une mauvaise lecture. Je ne pense pas que la société se délite.

On est bien dans une société de l"individu très attaché à l"idée de liberté individuelle. Mais c"est une valeur positive. Regardez l'argent transmis des grands-parents aux petits enfants, celui qui va dans les Restos du Cœur. Pensez aux 58.000 bénévoles qui aide pour la cuisine, faire les papiers, etc.

C"est presque autant que le nombre de militants de l"UMP ou du parti socialiste.

Une chose a changé. Aujourd'hui, les gens ne disent pas simplement "je fais le bien", mais disent "je le fais aussi pour mon plaisir, mon aération mentale, le fait de rencontrer des gens, de leur parler, de se sentir actifs".

Pensez que les sociétés les plus individuelles comme les Etats-Unis sont aussi celles où l"on donne le plus.

Vous voulez dire que l"on aide pour une satisfaction personnelle ?

J.V. Jusqu'aux années 60, la société était très collective. Il y avait le monde ouvrier, paysan, les mondes bourgeois qui correspondaient à des quartiers ou des villages.

Les choses ont changé. Petit à petit, la société est devenue de plus en plus autonome. La vie s"est extraordinairement allongée - on a gagné 25 ans d"espérance de vie en un siècle - on change de partenaire sexuel tous les 8 ans, d"entreprise tous les 12 ans et 10% de Français déménagent chaque année.

On est dans une société de la mobilité et de la discontinuité qui se cristallise par période sur des grandes causes : un grand match de foot, une élection présidentielle, un voyage du pape, un attentat, etc. C"est là où "on fait groupe".

Les modes de solidarité, de sociabilité, d"entre aide sont devenus beaucoup plus discontinus mais c'est quelque chose de "très vivant".

Pensez que 75% des français déclarent toujours qu"ils sont heureux dans leur vie privée, dans leur travail, dans leur logement et dans leur vie amoureuse.

En résumé, cette société est une société du bonheur privé et du malheur public.

Arrêtons donc de faire comme si tout s"effondrait, ce n"est pas vrai. Par contre, il y une niche de souffrance et de pauvreté, disons de 10 à 15% des gens. Là, effectivement, il y a un problème.

On constate bien cependant une perte des repères

J.V. Il y a une grande crise des projets collectifs. Beaucoup de questions restent sans réponse : qu"est-ce qu"on a en commun ? Où on va ? C"est quoi l"humanité demain ? C"est quoi la France ? C"est quoi l"Europe ? C"est quoi une famille ?

Le malheur public et le discours politique du malheur public, ce n"est pas le malheur privé des individus. Heureusement, sinon il y aurait des révolutions.

Les nouveaux modes de communication jouent-ils sur cette discontinuité que vous décrivez ?

J.V. Ils contribuent à créer ces liens discontinus. L'intérêt d'Internet est que vous pouvez vous brancher et vous débrancher. Dans une association de quartier, si vous ne venez pas pendant cinq ou six fois, quelqu"un a pris votre place. C"est beaucoup plus souple.

Le lien virtuel a toujours existé.

Avant, il était dans le religieux. Il l"est d"ailleurs encore pour beaucoup de personnes. Ce n"est pas un hasard si on fait la prière à la même heure. Chacun s"adresse à son Dieu mais en sachant que dess dizaines de millions font exactement la même chose, au même moment.

Depuis la guerre, les liens se tissent à travers le travail et tout ce qui relève des pratiques collectives du temps libre, les départs en vacances, les grands matchs de foot, les pratiques de télévision, etc.

C"est un peu pareil aujourd"hui avec les réseaux sociaux.

Au fond, Internet, ce n"est jamais qu"un "progrès technique" du croire.

La publication dans la presse de milliers de documents divulgués par le site Wikileaks a ébranlé les gouvernements

L'affaire Wikileaks est-elle révélatrice de notre époque ?

J.V. Elle l'est en ce sens que, maintenant dans notre monde, tout est en réseau y compris les services secrets. Et dans cette société des liens virtuels, les problèmes de souveraineté sont complètement différents.

Que les Américains n"aient pas compris cela, qu"ils aient des systèmes de connexion informatiques qui permettent à un individu de sortir une montagne d"informations strictement confidentielles est littéralement surréaliste.

Ils sont tellement convaincus de leur souveraineté historique, qu"ils n"ont pas compris que dans le mode virtuel, cette souveraineté est de peu de poids.

Petite anecdote. Je discutais avec l"un de mes collègues qui rentrait de Chine. Il m"expliquait que pour un chinois, le plus important c"est le passeport, puis l"accès à Internet, et enfin le bulletin de vote, c"est-à-dire que l"accès à la "mondialité" est devenu l"essentiel.

Cela ne bouleverse-t-il pas totalement les grands équilibres du monde ?

L"avenir de l"humanité ne sera pas démocratique. La démocratie fonctionne bien à l"intérieur d"une société qui se reconnaît et qui est dans un pacte de confiance.

Si un jour il y avait des élections sur la planète pour choisir le chef de le Terre, il serait d"une puissance insensée et il serait chinois. Croyez-vous que toutes les autres civilisations auraient envie d"être gouvernées par une civilisation différente de la leur ? Probablement pas.

Cela montre que le modèle démocratique, inventé par la philosophie des Lumières, correspond très bien à des parties du monde mais pas à toutes. La réunification de l"humanité ne nous mène donc pas forcément vers la démocratie.

Elle s'oriente vers une régulation, comme avec le G20. Cela nous interroge complètement sur notre système de valeur.

Les identités, clef de voute des sociétés

Comment analysez-vous la montée des partis nationalistes dans les pays d"Europe du nord ?

J.V. De 1848 jusqu"à environ 1998 avec les 35 heures, on a construit un modèle social génial en Europe. Jamais aucune société n"était arrivée à un modèle aussi fantastique. Malgré ses ratés. Aujourd'hui, les pays du monde entier en Amérique Latine, en Asie tentent de l'imiter. Juste un chiffre. L"écart de revenu avant redistribution en France est de 6,8%. Après redistribution, il n"est plus que de 2,5%.

Ce modèle social et le progrès technique font que la vie s"est considérablement allongée et que nous serons bientôt 9 milliards d'individus sur Terre.

Cela pose deux nouveaux enjeux de régulation : celui des identités et du rapport de l'hommes à la nature.

Arrêtons-nous un moment sur le premier enjeu. Quels en sont les termes ?

J.V. De côté, il y a une passion pour l"autre. Un homme sur dix franchit une frontière chaque année, et cela sera très bientôt deux sur dix. C"est énorme dans l"histoire de l"humanité.

Mais en même temps, se posent des questions d'identités avec le risque d"éclatement des groupes constitués comme l"Europe.

Les extrêmes droites sont les premiers à avoir soulevé ce point ce qui ne veut pas dire qu"ils ont raison. Je ne partage en rien leur point de vue.

Mais la question est bien réelle : comment appartenir à une humanité réunifiée, qui veut garder ses différences et vivre ensemble ?

Cette dualité identité / humanité réunifiée est inédite dans notre histoire…

Depuis des milliers d"années, l"homme s"est dispersé. Nous sommes la première génération à percevoir qu"elle est l"humanité réunifiée et qui a inventé les moyens virtuels de vivre cette aventure au quotidien.

Il nous faut maintenant trouver un équilibre entre diversité et unité. Il n"y a pas de réponse pour l"instant. On est parti pour des millénaires.

D"autant que se superpose la question du rapport à la nature…

J.V. En effet. Cette humanité réunifiée se rend compte qu"elle n"a qu"une seule petite Terre. Comment va-t-on vivre à 9 milliards sur Terre ?

Il y a un problème de rapport de force entre ces 9 milliards et leur rapport à la nature

Les réponses à trouver sont-elles uniquement collectives ?

J.V. De part la mobilité, chacun de nous n"a plus une seule identité imposée par les autres. Nous sommes de plus en plus multi appartenance. Cette autonomie de la construction des personnalités est un très grand changement.

Mais on a aussi toujours besoin d"identités collectives, qui sont pour l"essentiel encore, des identités plus ou moins nationales.

Les deux question clés sont : "Comment articuler les identités héritées et l"humanité réunifiée et comment empêcher que ce soit le marché qui construise une espèce d"identité mélangée ?"

C"est ce que l"on est en train d"apprendre. Ce sera l"aventure du 21 siècle.

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