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Fin de la pub à Grenoble : ces particuliers qui veulent garder leur panneau à la maison

Après avoir annoncé la fin de l'affichage publicitaire dans le domaine public, la mairie souhaite s'attaquer aux panneaux installés chez les Grenoblois. Francetv info est allé à la rencontre de ceux qui vivent avec ces affiches géantes.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Vincent, Hélène et leur voisin Xavier sur leur terrasse, le 10 décembre 2014 à Grenoble (Isère). (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

En sortant de chez lui, Valentin a fait une drôle de réflexion. "Elle est toute nue la dame !", s'est exclamé ce petit Grenoblois de 3 ans. "Je lui ai répondu : 'Non, pas tout à fait'", se souvient Hélène, sa mère. La "dame" en question est mannequin pour une marque de lingerie. Elle prend la pose sur une affiche de 8 m2 qui surplombe leur jardin. Accroché au mur de l'immeuble voisin, ce panneau rétro-éclairé fait défiler 24 heures sur 24 trois publicités dans un léger ronronnement audible depuis la chambre toute proche.

Il devrait bientôt disparaître. Après avoir annoncé la fin de la publicité dans l'espace public - hors abribus - pour une ville "plus douce et plus créative, moins agressive et moins stressante", la mairie, conquise en mars par les Verts et le Front de gauche, a lancé, lundi 15 décembre, la révision du règlement local de publicité. Ce document permet à la ville de fixer les règles du jeu en matière d'affichage privé. "L'objectif, c'est la suppression des panneaux de 8 m2 et l'interdiction de ceux qui sont lumineux", explique Lucille Lheureux, l'adjointe aux espaces publics. Une décision qui concerne environ 200 panneaux dans la ville, dont celui installé chez Valentin.

Le panneau publicitaire installé dans le jardin d'Hélène et Vincent, photographié le 10 décembre 2014 à Grenoble (Isère). (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

"Cette cagnotte nous aide bien"

Locataires, les parents du petit garçon ne perçoivent pas la redevance versée par l'afficheur, l'entreprise qui entretient le panneau et vend l'espace aux marques. Mais certains Grenoblois, comme ailleurs en France, installent des publicités sur leur terrain pour financer des projets ou compléter leurs revenus. Propriétaire d'un appartement dans une résidence arborée, Gisèle tient au panneau installé au fond du parc depuis vingt-huit ans. "On met la redevance [1 500 euros par an] sur un compte et on l'utilise quand il y a des travaux à faire", explique-t-elle.

Ravalement de façades, nouvelles boites aux lettres, entretien du parc... Cette cagnotte "nous aide bien", poursuit Gisèle. "On marche sur la tête. Vous ne pouvez plus faire ce que vous voulez chez vous, s'agace Corinne, gestionnaire de l'immeuble pour l'agence Foncia. Bientôt, ils vont peut-être venir vous dire d'éteindre la lumière chez vous à partir de 20 heures".

"Un moyen pour avoir une retraite décente"

Cours de la Libération, Thérèse s'inquiète. Propriétaire d'une petite maison à l'ombre d'un immeuble, elle a accepté d'installer un panneau dans son jardin en 1996 à condition qu'on ne touche pas à son cerisier et qu'on n'y passe pas de pub "genre minitel rose". "Dans l’absolu, ce n’est pas beau. Mais si je ne l’avais pas, je ne sais pas comment je me débrouillerais", confie-t-elle. Longtemps au chômage, Thérèse touche aujourd'hui 680 euros de retraite par mois, complémentaire comprise. L'afficheur Clear Channel lui verse 570 euros par trimestre pour le panneau.

Il y a quelque temps, elle a bien pensé l'enlever, parce qu'il faisait trop d'ombre à son potager. "Mais, en faisant les comptes, j'ai vu que j'étais tellement coincée que je devais le garder", se souvient l'ancienne comptable. Alors, même si la redevance du panneau n'a cessé de baisser depuis 1996, elle aimerait bien que la mairie renonce à son projet. "Si le maire était là, je lui dirais : 'Vous me trouvez un autre moyen pour avoir une retraite décente'", lance-t-elle.

Le panneau installé au fond du jardin de Thérèse, photographié le 11 décembre 2014 à Grenoble (Isère). (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

"Le maire veut juste faire parler de lui"

Le projet ne choque pas seulement les retraités grenoblois. Loueur de voitures sur un terrain où se trouvent deux panneaux, Olivier dénonce "une aberration". "C'est anti-commercial. Déjà que c'est difficile de bosser en France et, là, en plus, on met des bâtons dans les roues aux entreprises, tempête-t-il. Le maire veut juste faire parler de lui. Ça lui a permis de passer sur BFMTV, c'était un coup publicitaire." Son coup de gueule n'est pas intéressé : locataire du terrain, il ne perçoit donc pas les 2 000 euros annuels versés par l'afficheur.

Les panneaux publicitaires installés dans l'espace public, comme celui-ci, vont être démontés d'ici à mai 2015. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

L'initiative fait, à l'inverse, le bonheur de l'association Paysages de France, à l'origine de cette mesure. Engagé depuis 1992 contre l'affichage publicitaire, son président Pierre-Jean Delahousse est satisfait que la mairie s'attaque également aux panneaux privés. "Ce sont surtout ces panneaux qui polluent le plus. Ils sont souvent plus grands et les messages plus agressifs", dénonce-t-il. 

Vincent, le papa de Valentin, est, lui aussi, ravi. "Il n'y aura plus ce ronronnement continuel. Mais ce n’est pas le panneau en tant que tel qui me gêne, c’est plus le modèle d'hyperconsommation que ça représente", explique ce militant écologiste. Il s'interroge également sur l'impact de ces images sur son enfant. "Mon fils intègre déjà ce que doit être le corps d'une femme pour un publicitaire, une femme Miss France", grince-t-il. Une fois le nouveau règlement adopté, les afficheurs auront deux ans pour démonter leurs panneaux.

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