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Enquête franceinfo Sport, justice, argent public : à Mulhouse, les dérives d’un des grands clubs de natation français

C’est l’un des plus grands clubs de natation en France, il a formĂ© la ministre des Sports, Roxana Maracineanu : le Mulhouse Olympic Natation est aujourd’hui l’objet de dĂ©nonciations, de procĂ©dures judiciaires, et suscite le doute chez certains de ses financeurs publics. EnquĂŞte sur la gestion de ses dirigeants, la famille Horter.

Article rédigé par franceinfo, Sylvain Tronchet - Cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 24 min
Lionel Horter, Yannick Agnel et Laurent Horter, Ă  Mulhouse le 17 novembre 2014. (JEAN FRANCOIS FREY / MAXPPP)

"Cette piscine, elle aurait pu s’appeler Laurent Horter, Lionel Horter ou Franck Horter". Le 12 avril 2019, en dévoilant la plaque du bassin qui porte désormais son nom, la ministre des Sports, Roxana Maracineanu rend hommage aux trois hommes qui l’entourent. Sa première visite officielle à Mulhouse (Haut-Rhin) en tant que ministre devait forcément se terminer dans ce club dont elle contribué à construire la réputation : le MON, pour Mulhouse Olympic Natation. Ces trois lettres sont attachées à un nom : les Horter. Dans le petit monde de la natation française, on parle parfois du "clan Horter". L’expression vaut autant pour ce qu’elle suggère de solidarité familiale que d’exclusivité.

À une époque pas si lointaine, que l'on peut situer entre les JO de 2012 et ceux de 2016, ils étaient au sommet de leur gloire. Le père, Laurent Horter, président-fondateur du club, était à la tête du comité départemental et de la Ligue d’Alsace de natation. La mère, Marie Octavie, vice-présidente de la fédération française (FFN). Le premier fils, Lionel, entraîneur de renom, fut successivement patron de l’équipe de France et directeur technique national. Enfin Franck, le deuxième fils, ancien sélectionné olympique aux Jeux de 1992 et actuel président du club, était le représentant pour l’Europe de Tyr, l’équipementier officiel de la FFN.  

"Des protections politiques"  

À Mulhouse, le MON est beaucoup plus qu’une association. C’est une institution, dotée de solides relais dans le monde politique et économique. Au-delà de son palmarès impressionnant, c’est le club de la bourgeoisie locale avec ses abonnements à 600 euros l’année, et son bassin extérieur de 50 mètres, ouvert été comme hiver. Mais ces derniers mois, les procédures judiciaires, les audits financiers, les lettres de dénonciations ébranlent une organisation qui semblait intouchable.

"On a toujours prêté aux Horter des protections politiques, explique un bon connaisseur des arcanes politiques locales. À une époque, on disait qu’ils étaient proches du président Chirac [Laurent Horter est un militant gaulliste de longue date]. Aujourd’hui, c’est leur proximité avec la ministre des Sports qui est mise en avant." Roxana Maracineanu n’a jamais démenti son attachement aux dirigeants de son club formateur. Le 12 mai 2020, elle était la première à appeler le patriarche de la famille, Laurent, pour lui souhaiter son anniversaire.

Franck Horter avec Emmanuel Macron, Roxana Maracineanu et Lara Million, candidate LREM aux municipales à Mulhouse, le 18 février 2020. (CAPTURE D'ÉCRAN FACEBOOK “Mulhouse avec Lara Million”)

Le MON condamné à payer 60 000 euros à Yannick Agnel  

L’audience s’est déroulée en l’absence des intéressés, le 9 juin 2020, sans spectateurs, et n’a pas fait une ligne dans la presse locale. Un mois plus tard, le 7 juillet, le tribunal judiciaire de Mulhouse condamne le MON à payer 60 000 euros à Yannick Agnel. Le champion olympique de Londres n’a pas été payé de sa dernière année de contrat au club. Pourtant, les conditions semblaient réunies à son arrivée fin 2014 pour qu'il y retrouve son meilleur niveau après une expérience mitigée aux États-Unis. "Les deux années avec Agnel ont été un enfer, explique aujourd’hui Franck Horter à la cellule investigation de Radio France. Aux jeux de 2016, ça a été la catastrophe. Il a foutu le bordel dans le relais 4 × 200, ça faisait la une de L’Équipe et il annonce la fin de sa carrière sans même nous prévenir. Il nous a fait passer pour des débiles. Cela nous a pris des mois pour retrouver un semblant de crédibilité auprès des élus", lâche-t-il. La justice n’a cependant pas eu cette lecture. Le MON devait honorer le contrat qui le liait au nageur.  

L’affaire Agnel n’est pas sans rappeler ce qu’avait écrit un autre champion olympique passé par Mulhouse, Amaury Leveaux, dans un livre paru en 2015 : "Après les championnats d’Europe en 2008, la ville de Mulhouse m’a donné une prime de 15 000 euros pour mes bons résultats. Les dirigeants m’ont fait signer un papier selon lequel cette somme serait directement versée au club. Comme un idiot j’ai accepté. Le club m’a reversé 5 000 euros mais je n’ai jamais vraiment revu les 10 000 euros qui me restaient dus. Ce n’est pas faute de les avoir réclamés pendant six mois. Quand je suis parti, j’ai compris que je pouvais faire une croix dessus."

Licencié à Mulhouse jusqu’en 2012 l’ancien champion olympique Amaury Leveaux y est revenu cette saison. (DAREK SZUSTER / MAXPPP)

La championne d’Europe Coralie Balmy, elle aussi, a quitté Mulhouse amère en 2014. Dans un courrier que nous avons pu consulter, son avocate réclamait près de 20 000 euros de primes et honoraires impayés. Le club estimait qu’elle n’avait pas rempli sa part du contrat, notamment parce qu'elle ne portait pas le bonnet marqué du logo de la région Alsace. De guerre lasse, la nageuse ne s’est pas lancée dans une procédure judiciaire. D'après nos informations, le champion d’Europe Sébastien Rouault a lui aussi dû passer par un avocat pour toucher ses émoluments qui tardaient à arriver.

"Le jour où tu annonces que tu pars, c’est la guerre"  

Un ancien nageur du club, qui a souhaité garder l’anonymat, confirme : "Quand tu es là-bas, et que tu es performant, c’est le bonheur. La famille t’entoure, tu manges chez eux, tu dors chez eux, tout le monde est là pour toi. Le jour où tu annonces que tu pars, c’est la guerre, tu n’es plus rien." Jean-François Salessy était l’agent de Camille Lacourt, qui était sous contrat avec Tyr, la marque représentée par Franck Horter en Europe : "Je garde un souvenir amer de ma collaboration avec Franck Horter, raconte-t-il. Il devait 80 000 euros à Camille, ce qui correspondait à une année de prime fixe. Il ne payait pas et faisait traîner. Il n’y avait plus moyen de l'avoir au téléphone. Du coup, il a fallu se fâcher, prendre un avocat et le menacer de poursuites judiciaires. Il a fini par payer." 

Interrogé sur cet épisode, Franck Horter affirme que Camille Lacourt était sous contrat avec Tyr USA. En revanche, c’est bien sa société Aquatik Performance qui a été condamnée par la cour d’appel d’Aix en Provence en 2017 pour le non-paiement de primes à un autre nageur de l’équipe de France, Dorian Gandin. Dernièrement, plusieurs jeunes nageurs français se sont plaints eux aussi que des primes dues par Tyr ne leur soient pas payées. Le directeur général de la Fédération française de natation nous a confirmé s’en être entretenu avec Franck Horter.

Yannick Agnel s’entraîne au Mulhouse olympic natation, avec son coach américain Bob Bowman, le 3 avril 2014. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

Des parents de nageurs se plaignent aussi  

Un autre nuage menace le Mulhouse Olympic Natation. Il a été placé sous le statut de témoin assisté, de même que son ancien président, Laurent Horter, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte à Mulhouse. Celle-ci fait suite à la plainte pour "escroquerie" d’un couple d’agriculteurs de la Meuse, Jean-François et Véronique Bernard. Leur fille, Margaux a intégré la section sport-étude privée du MON en 2015. "Les frais de scolarité étaient élevés, 5 900 euros par an, explique Jean-François Bernard, c’est une grosse somme pour nous, mais nous l’avons fait notamment parce que le club nous a promis une aide grâce à une subvention qu’il allait toucher de la région." La note, que nous avons pu voir, précise aux parents qu’ils toucheraient la somme en deux versements. 

Leur fille termine la saison, change de club, mais l’aide promise n’arrive pas. Les époux Bernard décident alors de saisir un conciliateur de justice. En retour, ils reçoivent une facture à payer de 5 417 euros de la part du club. "Nous étions catastrophés quand nous avons vu cette facture, expliquent les parents. Ils nous demandaient de rembourser des frais de stage de Margaux."

Margaux Bernard et d'autres nageurs au centre d'entrainement de l'Illberg Ă  Mulhouse, le 21 octobre 2015. (THIERRY GACHON / MAXPPP)

Interrogé sur le sens de cette facture, Franck Horter explique : "Margaux Bernard a eu une conduite inadmissible cette saison. Nous avons décidé de l’exclure. Il faut bien comprendre que la formation d’un nageur coûte cher. On a dépensé beaucoup d’argent pour cette fille. Le club a donc décidé d’appliquer une sanction financière." Ce raisonnement fait bondir Jean-François Bernard : "Ils expliquent avoir exclu notre fille le 12 juillet, mais nous n’en avons jamais été avertis, et le 25 juillet, elle participait aux championnats de France sous les couleurs du MON !" 

À notre connaissance, le club n’a jamais pu fournir un document prouvant que la jeune fille avait bien été exclue. Trois ans après la plainte du couple, l’instruction est toujours en cours et semble piétiner.

"Le MON facturait des compléments alimentaires que mon enfant ne prenait pas"  

Plus récemment, au moins deux familles se sont aussi plaintes des factures envoyées par le MON visant à récupérer une partie des aides d’État que touchent les parents de sportifs de haut niveau. Si le procédé est légal, il n’en reste pas moins très encadré, et le MON ne semble pas leur avoir fait signer les conventions obligatoires pour ce genre d’opération. "Le MON nous facturait notamment des compléments alimentaires alors que notre enfant n’en prenait pas", explique l’un de ces parents. 

De nombreux témoins que nous avons contactés n’ont accepté de nous parler qu’à condition que leur nom ne soit pas cité. "Il est compliqué de s’attaquer ouvertement à des gens qui maîtrisent autant de leviers dans leur sport", explique un agent sportif. Jean-François Bernard déplore que ses nombreux courriers aux dirigeants de la fédération et aux élus locaux n’aient jamais eu de suites. "J’en veux surtout aux collectivités, explique-t-il, ce sont elles qui financent le club." De fait, le MON est totalement dépendant des fonds publics. Les bonnes années, le club a bénéficié de près d’un million d’euros de subventions et d’aides publiques.  

Un centre d’entraînement haut de gamme  

Mais le plus beau cadeau de la puissance publique au MON reste la construction de son centre d’entraînement. Un chantier de sept millions d’euros inauguré en 2011 par le maire de Mulhouse à l’époque, Jean-Marie Bockel. "Laurent Horter avait beaucoup de talent et de relations, se souvient l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Il a frappé à la porte de toutes les collectivités, de l’État, et il a réussi à rassembler les fonds." 

Le club dispose, pour son usage exclusif, d’un bassin de 50 mètres extérieur, d’une piscine couverte pour les activités sportives et l’apprentissage, et d’installations annexes. Le tout lui a été confié par convention pour une durée de 16 ans, un bail particulièrement long pour ce genre d’équipement. Mais quel contrôle exerce la collectivité sur l’utilisation des moyens qu’elle met à disposition du club ?

Jean-Marie Bockel, Roxana Maracineanu et Laurent Horter, le 25 janvier 1998 Ă  Mulhouse. (GERARD CERLES / AFP)

Des assemblées générales en cercle très restreint  

Nous avons demandé à une demi-douzaine d’élus de l’agglomération et à une dizaine de membres et anciens membres du club s’ils avaient déjà assisté à une assemblée générale de l’association. La réponse est invariablement la même : jamais. Daniel Bux, le vice-président de Mulhouse Alsace Agglomération (M2A), principal financeur du club, admet qu’il n’a jamais été convié par le MON à y participer, alors que tous les autres grands clubs sportifs mulhousiens l’invitent tous les ans.

Nous avons pu retrouver un procès-verbal d’AG du club : 14 personnes figurent à l’appel, les membres du comité directeur. Pourquoi le club n’envoie-t-il jamais de convocation, demande-t-on à Franck Horter ? "Nous annonçons les AG par affichage, affirme-t-il, après viennent ceux qui veulent."  

La chambre régionale des comptes alerte dès 2017  

"Obtenir des chiffres de la part des Horter a toujours été quelque chose de compliqué", se souvient Jean-Marie Bockel. Daniel Bux tire le même constat : "On obtient des documents, mais avec beaucoup de retard."  En 2017, un rapport de la chambre régionale des comptes pointait le fait que les chiffres de recettes transmis par le MON à M2A différaient parfois de 300 000 euros avec ceux des comptes sociaux validés par le commissaire aux comptes. La chambre notait également que "l’accompagnement financier du MON est peu lisible" et que "le suivi des dépenses et recettes occasionnées par le centre d’entraînement, tel qu’il est effectué par [M2A], ne peut être regardé comme exhaustif et satisfaisant". En d’autres termes, la collectivité ne savait pas combien lui coûtait ce club et cette piscine.

Dans leurs réponses à la chambre, les présidents de l'agglomération et du MON s’engageaient à simplifier leurs relations financières. Trois ans après, rien n’a changé. Pourtant en interne également, les services de l’agglomération ont régulièrement alerté les élus sur la situation du club, la dernière fois en février 2020, dans une note interne que nous avons obtenue (voir ci-dessous).

Extrait d’une note adressée à la M2A à propos des situations financières de l’association MON et de la société MON Club. (Cellule investigation de Radio France)

La société des Horter ne paie pas la totalité du loyer prévu par les conventions  

Ces conventions ne sont pas seulement complexes. Elles sont aussi à l’origine de calculs particulièrement étonnants. En 2013, deux ans après l’ouverture du centre, les dirigeants du MON ont obtenu l’autorisation de créer une société privée, dont les actionnaires sont des membres de la famille, pour exploiter la partie "loisirs" des activités, l’association MON gardant la partie compétition. Cette société "MON Club" a donc elle-même signé une convention avec l’agglomération pour fixer ses conditions d’exploitation du centre d’entraînement. L’accord prévoit notamment que le club paiera tous les ans à Mulhouse Alsace Agglomération (M2A) une redevance d’occupation basée sur son chiffre d’affaires, plus les frais d’eau, d’électricité et de chauffage du centre au prorata de son utilisation.

D’après nos calculs, MON Club aurait dû ainsi payer environ 252 000 euros en 2019. Or, nous avons découvert que la société de la famille Horter réglait tous les ans, invariablement 150 000 euros de redevance d’occupation. Cette "ristourne" accordée par la collectivité aurait abouti à ne pas facturer près de 500 000 euros à la société MON Club depuis sa création. Les responsables de l’agglomération n’ont pas contesté cette évaluation.  

"Les Horter frappaient régulièrement à ma porte"  

Quelle négociation a permis cette entorse aux textes adoptés par les élus ? Daniel Bux, le vice-président de l’agglomération chargé des sports, en charge du dossier depuis près de 10 ans nous livre une réponse surprenante : "Je ne sais pas ce qui a pu conduire à cela. Mais à chaque fois qu’il y avait un problème, les Horter ne venaient pas chez moi, ils allaient frapper à la porte du dessus." Quand nous appelons "la porte du dessus" - Jean Marie Bockel - il est au dernier jour de son dernier mandat de sénateur, après 40 ans de carrière politique. L’ancien maire de Mulhouse, et président de l’agglomération ne se souvient plus "des détails". On ne saura donc pas pourquoi. "Ce que je peux vous dire, explique-t-il, c’est que les Horter frappaient régulièrement à ma porte pour faire état de difficultés, d’insuffisance de financement… Je me souviens de demandes permanentes de leur part."   

Des transferts de subventions étonnants  

Ces demandes auraient conduit à un autre accord étonnant. Tous les ans, l’association MON touche une subvention de 270 000 euros de l’agglomération M2A destinée à l’aider à payer son loyer... à M2A. En réalité, une grosse moitié de cette subvention est censée être transférée vers la SARL MON Club via un système de facturation, comme l’indiquent plusieurs documents consultés par la cellule investigation de Radio France (voir ci-dessous). Un tel système revient, dans les faits, à ce que la collectivité locale subventionne une société privée, ce qui est en théorie interdit. Dans une note adressée au président de M2A en février 2020, les services administratifs qui n’ignorent rien de cet "accord" s’étonnent que la rétrocession n’apparaisse pas dans les comptes de la société familiale. Que deviennent alors les 150 000 euros qui lui sont théoriquement destinés ?

Extrait d’une lettre adressĂ©e par le prĂ©sident du MON au prĂ©sident de l’agglomĂ©ration mulhousienne.  (Cellule investigation de Radio France)

Une cascade de sociétés  

Ce que ne semblent pas savoir non plus les élus mulhousiens, c’est combien rapportent les deux structures aux membres de la famille. Jusqu’en 2017, Franck Horter, bien que dirigeant de sociétés et représentant de Tyr en Europe, était aussi payé par la SARL MON Club, pour laquelle il faisait du "développement commercial" nous a-t-il expliqué. Une de ses sociétés facture également des prestations informatiques à MON Club. Une autre de ses sociétés, Eminos, exploitait la boutique d’articles de sport du club, sans avoir obtenu l’autorisation de le faire, comme l’impose pourtant la convention signée avec M2A.   

De la même façon, jusqu’en 2015, une société appartenant à Lionel Horter, facturait plus de 60 000 euros d’honoraires tous les ans au MON et exploitait le restaurant du club, quand, étonnamment, le matériel de cuisine était amorti dans les comptes de l’association. Par ailleurs, leur mère, Marie Octavie, était toujours salariée, à 75 ans, de MON Club en 2018. Un document présenté par Franck Horter en comité directeur la même année faisait état de près de 200 000 euros de salaires annuels pour le management des deux structures (hors entraîneurs et personnel administratif). Interrogé sur ce document, Franck Horter nous a simplement répondu : "Aucune personne ne perçoit les salaires que vous indiquez."

Document comptable interne au MON de 2018.  (Cellule investigation de Radio France)

Des stages d’hiver sous les tropiques  

Plusieurs anciens salariés et nageurs du club nous ont également décrit les stages d’hiver sous les tropiques avec les nageurs du club auxquels participent les grands parents, les parents et les enfants Horter. En janvier dernier, Laurent Horter – âgé de 87 ans – et sa femme partaient ainsi trois semaines en Thaïlande aux frais du club. "Si des membres de la famille sont pris en charge par le club, c’est qu’ils participent à l’encadrement ou participent à ces stages comme nageurs. Mon père est président d’honneur du club, il me représentait", assure Franck Horter, qui précise néanmoins aussitôt : "Ils ont payé le surcoût du vol en classe affaires."  

Les certificats d’assurance des voitures de Lionel Horter au nom du club  

Nous avons également obtenu des documents qui montrent qu’en 2018, les assurances automobiles du Porsche Cayenne et du Land Rover de Lionel Horter étaient payées par le MON. La pratique nous a semblé d’autant plus étonnante que le Land Rover est actuellement localisé aux Antilles, en Martinique, dans une villa appartenant à l’entraîneur. Confronté à ces documents, Lionel Horter explique : "C’est une pratique ancienne que nous avions avec un assureur qui consistait à mettre un maximum de véhicules sur le contrat de façon à obtenir de meilleurs tarifs dans l’intérêt du club." 

Quand on lui objecte que le club n’a qu’un véhicule – un Dacia Lodgy –, que le gain semble limité et qu’en outre, ses deux véhicules ne sont pas assurés cette année-là chez le même assureur, Lionel Horter réplique : "On a changé d’assureur en 2018, de toute façon, je rembourse le club, on me présente la facture et je paie." Dans l’après-midi, il nous envoyait une attestation de l’expert-comptable du club expliquant que les frais professionnels qu’il ne se faisait pas rembourser par le club compensaient le coût des assurances.  

Lionel Horter épinglé par l’inspection générale de la jeunesse et des sports

En septembre 2014, Lionel Horter démissionne avec fracas du poste de directeur technique national qu’il occupait depuis moins de deux ans à la Fédération française de natation (FFN). À l’époque, le Mulhousien évoque des dissensions internes dans une fédération minée par les conflits. Si cette explication reste plausible, elle évacue un épisode qui n’a jamais été raconté. Depuis quelques mois, l’inspection générale de la jeunesse et des sports a débuté un audit sur la Fédération française de natation. Quand leur rapport paraît (on peut le lire ici), plusieurs pages ont été noircies et sont illisibles. Ces pages sont précisément consacrées à Lionel Horter.

En fait, d’après les informations de la cellule investigation de Radio France, les inspecteurs ont mis le doigt sur un problème. Ils ont découvert que Lionel Horter était le gérant de deux sociétés : Noumi et MON Club. Or ces fonctions sont incompatibles avec son statut de salarié de l’État. Il est alors convoqué au ministère des Sports en avril 2015. Un acteur de l’époque se souvient : "On lui a demandé de choisir, les sociétés ou la fonction publique." Lionel Horter liquide la société Noumi et transmet la gérance de MON Club à sa compagne, Marjorie. Il peut conserver son statut de cadre technique fédéral et continuer, jusqu’à aujourd’hui, à être payé par la fédération. Fin de l’histoire ?  

Lionel Horter (à droite), avec le ministre des Sports Thierry Braillard (à gauche), et le président de la Fédération française de natation, Francis Luyce, le 11 avril 2014. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Un cumul de fonctions qui pose question  

Lionel Horter a-t-il cessé d’exercer toute fonction au sein de la société MON Club ? La question est permise à la lecture d’un courrier adressé par son frère, Franck, au président de l’agglomération de Mulhouse, Fabian Jordan. Au détour d’une phrase, le président de l’association MON écrit : "MON Club SARL dirigé par mon frère Lionel." Quand nous leur présentons ce courrier, les deux frères s’exclament en chœur : "C’est une erreur !" Mais si Lionel Horter ne touche plus de revenus de sociétés, il perçoit, parallèlement à son salaire de fonctionnaire, un salaire et des droits d’image du MON. A-t-il fait une demande de cumul d’activité comme la loi le lui impose ? "Mon autorisation est valable depuis 1999", nous affirme-t-il. Vérification faite auprès de la direction des sports du ministère, Lionel Horter n’a pas fait de demande d’autorisation.  

Les frères Horter semblent d’ailleurs être en délicatesse avec ce principe. En 2017, Franck a transmis la gérance de sa principale société, Aquatik Performance (qui distribuait la marque Tyr en Europe) à l’un des entraîneurs du club, David Zumbiehl. Problème : il est lui aussi fonctionnaire, employé de l’agglomération de Mulhouse, mis à disposition du club. Il lui est en principe interdit de gérer une société.   Quelques mois après sa prise de fonction, Aquatik Performance était liquidée. Pourquoi avoir effectué ce changement de gérant et transféré le siège de la société de Mulhouse à Paris quelques mois avant sa disparition ? Ni Franck Horter ni David Zumbiehl n’ont répondu à cette question.  

Une candidature aux municipales vécue comme une déclaration de guerre  

L’animosité semble être montée d’un cran quand Franck Horter a décidé, fin 2019, de se présenter sur la liste LREM qui défiait la majorité sortante LR (menée par la maire Michèle Lutz et son premier adjoint, Jean Rottner) aux élections municipales de Mulhouse. "Rottner a pris cela comme une déclaration de guerre, explique un connaisseur du milieu politique local. Le MON est le club de l’agglomération, or Rottner entretient des relations exécrables avec M2A depuis qu’il a été empêché de devenir président de l’agglo par une fronde des maires des petites communes. Horter sur la liste LREM, il a vécu ça comme une agression."    

Une enquête préliminaire ouverte en janvier dernier  

La campagne municipale, en pleine crise de Covid-19, fut âpre. Franck Horter, numéro deux de la liste menée par une inspectrice des impôts spécialiste des finances publiques, Lara Million, a activé ses réseaux familiaux. Le 18 février 2020, il fait partie des responsables associatifs qui rencontrent Emmanuel Macron en visite à Mulhouse. "C’était une rencontre d’associations qui travaillent pour l’insertion dans les quartiers. Ça nous a fait hurler de le voir là, parlant du rôle social du MON, quand on voit le prix des adhésions", s’étrangle un proche de Jean Rottner.

Franck Horter (deuxième en partant de la gauche) et Emmanuel Macron, le 18 fĂ©vrier 2020, lors d’une rencontre avec des associations Ă  Bourtzwiller, quartier populaire de Mulhouse.  (DAREK SZUSTER / MAXPPP)

Trois jours plus tard, Roxana Maracineanu se rend à Mulhouse et prend la tête du comité de soutien de sa liste. La ministre sait-elle que la justice vient d’ouvrir une enquête préliminaire visant le MON, les frères Horter et leur environnement ? Non, nous a répondu son cabinet.  

Un corbeau alerte la justice  

Courant janvier, la procureure de la République de Mulhouse a décidé de l’ouverture de cette enquête après avoir été destinataire d’une lettre anonyme de dénonciation. Intitulé "La galaxie Horter : Stop à l’impunité", ce courrier circule depuis quelques mois dans Mulhouse. La presse et plusieurs responsables politiques notamment l’ont également reçue. Il met en cause la gestion du club, les biens immobiliers de la famille et leurs relations politiques.

Le parquet a saisi la brigade financière de la PJ de Mulhouse pour vérifier les éléments qu’elle contient et qui concernent notamment la villa que Lionel Horter possède à la Martinique. Cette "villa tropicale d’exception" comme la décrivait une agence immobilière locale, a été récemment mise en vente à 979 000 euros. Peu après, Lionel Horter déposait un permis de construire modificatif. Il semble que des agrandissements de la maison n’aient pas été déclarés au moment des travaux, ce qu’il nous a confirmé.  

À mots couverts, du côté de l’agglomération, on accuse le camp d’en face (la ville de Mulhouse) d’être à l’origine des courriers de dénonciation. Preuve de ce prétendu règlement de comptes, nous dit-on, la région Grand Est, présidée par Jean Rottner a décidé de bloquer ses subventions au MON et a confié à un grand cabinet, Deloitte, la tâche de réaliser un audit sur les comptes du club. Au conseil régional, on explique que la situation financière dégradée du club, et l’existence de procédures judiciaires en cours nécessitaient un audit avant toute décision de financement.  

Quand un député Modem nous appelle pour soutenir Franck Horter...

De gauche à droite, Franck Horter, Lara Million, Roxana Maracineanu, le député Bruno Fuchs (en chemise) et Laurent Horter, à Mulhouse, le 22 février 2020, lors de la campagne des municipales. (DAREK SZUSTER / MAXPPP)

La dimension politique de l’affaire est incontestable. Alors que nous écrivions cet article, nous avons reçu un coup de téléphone de Bruno Fuchs, le député (Modem) du Haut-Rhin, que nous n’avions pourtant pas sollicité. "Je sais que vous enquêtez sur le MON, nous explique cet élu qui a soutenu la liste Million-Horter aux municipales. Il faut que vous sachiez qu'on n’est pas dans un dossier purement sportif ou de financement public. Depuis que Franck Horter s’est lancé en politique, les choses se sont compliquées pour lui", tout en prenant bien soin de nous dire qu’il ne "voulait pas interférer" dans notre travail journalistique. Quand nous demandons à Bruno Fuchs si c’est Franck Horter qui lui a donné notre numéro de téléphone, il marque un silence, puis lâche : "Oui, effectivement, je l’ai rencontré. Mais il ne m’a pas demandé de vous appeler !" 

Lundi 5 octobre 2020, les deux quotidiens régionaux alsaciens ont annoncé qu’une enquête était en cours et publié une interview des frères Horter (article réservé aux abonnés) qui contestent toute irrégularité dans la gestion du club et affirment : "Tout est transparent." L’article – qui reprend la thèse du complot politique – est accompagné d’un entretien avec le président de l’agglomération de Mulhouse, Fabian Jordan, et de son vice-président, Daniel Bux. Lorsque nous avions rencontré ce dernier, le 2 octobre, il nous avait affirmé que sa collectivité allait elle aussi, lancer un audit sur les comptes du MON. Daniel Bux reconnaissait qu’il y avait probablement eu des manquements dans le contrôle du club de la part de l’agglo mais assurait : "À un moment ou à un autre, il faut mettre les pieds dans le plat. C’est vrai que les réactions n’ont pas été à la hauteur. Mais c’est terminé. Il y a un rendez-vous qui va être fixé avec Franck Horter, et on lui dira, voilà, ça fonctionnera comme ça ou ça ne fonctionnera plus !"

Mardi 6 octobre, c'est apparemment un autre Daniel Bux qui affirme à nos confrères : "On essaie de le soutenir au maximum [le club] parce que, sinon, on risque de se retrouver avec une coquille vide à la place de son centre d’entraînement." Ce changement de ton est peut-être lié à un épisode qui s’est produit entre les deux interviews. Le Mulhouse Olympic Natation a reçu la visite d’un huissier, envoyé par Yannick Agnel. Bien que le tribunal ait ordonné l’exécution immédiate de sa décision, le nageur n’a toujours pas été payé.

D’après les informations de la cellule investigation de Radio France, les finances du club sont dans le rouge, et cette procédure pourrait potentiellement le placer en situation de cessation de paiement. Un cauchemar pour les élus mulhousiens.  

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