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ArcelorMittal, LuxLeaks : la trop faible protection des lanceurs d'alerte

Ils ont dénoncé des pratiques illégales, et cela a bouleversé toute leur vie. Même si des lois existent, les lanceurs d'alerte sont encore trop peu protégés et se retrouvent parfois condamnés lors de procès.

Article rédigé par Grégoire Lecalot, franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Des soutiens du lanceur d'alerte Antoine Deltour se rassemblent devant la Cour d'Appel du Luxembourg, lors de son procès dans l'affaire "LuxLeaks" (AURORE BELOT / AFP)

L'affaire avait fait grand bruit en juillet 2017 : un ancien chauffeur de camion d'ArcelorMittal avait dénoncé, vidéo à l'appui, des rejets de produits chimiques dangereux en pleine nature par son entreprise.

Depuis, il a perdu son emploi. Persona non grata dans sa région, il vit désormais dans le sud de la France où il est toujours à la recherche d'un travail. Une vie bouleversée pour avoir voulu exercer un devoir citoyen : ce chauffeur n'est pas le seul "lanceur d'alerte" à en avoir fait l'expérience.

Perquisition et condamnation

Serge Humpich est un ingénieur passionné de technologies et curieux de nature. En 1997, il découvre par hasard un moyen de détourner le système des cartes bancaires. "J'ai compris qu'il faudrait remplacer toutes les cartes et tous les terminaux car le système existant était fichu".

Serge Humpich contacte le groupement des cartes bancaires mais personne ne le croit... jusqu'au jour où la police débarque chez lui. "Il y a eu 12 heures de perquisition avec des dizaines de policiers. La juge m'a beaucoup menacé pour que je ne parle pas. Je n'ai pas communiqué sur l'affaire pendant près d'un an."

En février 2000, il est jugé et condamné pour falsification de cartes bancaires et introduction frauduleuse dans un système automatisé de traitement, mais la faille a été prise en compte. Aujourd'hui, il ne regrette pas ces moments difficiles.

Une vie entièrement chamboulée

Raphaël Halet a aussi vécu cette situation : il est l'un des deux lanceurs d'alerte de l'affaire LuxLeaks, qui a mis en lumière les stratégies d'évitement fiscal agressives de plusieurs multinationales grâce au Luxembourg.

Lui aussi a vu sa vie complètement chamboulée. "Quand on lance une alerte, il faut avoir conscience que notre vie va être vécue d'une toute autre manière". Lui aussi estime être en accord avec lui-même. "J'ai fait ce que j'avais à faire, contrairement à d'autres au Luxembourg qui ne doivent pas bien dormir aujourd'hui".

Seuls neuf pays européens disposent d'une protection juridique pour les lanceurs d'alerte. En France ce sont les lois Sapin 2 et du Défenseur des droits, mais ces textes ne suffisent pas toujours à leur éviter de lourds procès.

Secret des affaires contre lanceurs d'alerte

La Commission européenne travaille à une directive de protection. "Il était plus que temps", estime Edouard Perrin, un journaliste qui a travaillé avec Raphaël Halet et Antoine Deltour sur l'affaire Luxleaks. "Il y a deux ans, une législation a été adoptée à Bruxelles pour protéger le secret des affaires. Et dans le même temps, on condamnait des lanceurs d'alerte!"

Pour lui, ils ne sont pas des délateurs. "S'ils dénoncent des choses qui vont à l'encontre de l'intérêt public, alors ils travaillent pour l'intérêt public, mais il faut beaucoup de courage pour faire ça."

Les promoteurs de la directive visent une adoption avant les prochaines élections européennes en mai 2019. En revanche, aucun fonds d'aide aux lanceurs d'alerte n'est prévu. L'enjeu économique est pourtant considérable : selon un rapport du Sénat, le coût de l'évasion fiscale en France est au minimum de 30 à 36 milliards d'euros.

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