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Les sénateurs s'opposent à la levée de l'immunité parlementaire de Serge Dassault

Le sénateur UMP est mis en cause dans le cadre d'une enquête sur des achats présumés de votes à Corbeil-Essonnes. Il dit se tenir à la disposition des juges.

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le sénateur UMP Serge Dassault assiste au 70e anniversaire de la bataille de Stalingrad, le 2 février 2013 à Paris.  (MICHEL STOUPAK / CITIZENSIDE / AFP)

Les sénateurs se sont opposés, mercredi 8 janvier, à la levée de l'immunité parlementaire de Serge Dassault, mis en cause dans le cadre d'une enquête sur des achats présumés de votes à Corbeil-Essonnes (Essonne). La levée de son immunité parlementaire aurait permis aux magistrats du pôle financier de Paris, Serge Tournaire et Guillaume Daïeff, de placer le sénateur UMP de 88 ans en garde à vue et de perquisitionner ses locaux. 

Par la voix de ses avocats, Serge Dassault indique mercredi soir se tenir à la disposition des juges chargés de l'enquête. "En prétendant que le refus de lever l'immunité parlementaire de M. Serge Dassault constituerait une entrave à la Justice et empêcherait les juges d'enquêter, on trompe, les Français", estiment-ils.

En juin, le bureau du Sénat avait refusé une première fois de lever l'immunité du milliardaire, patron du groupe aéronautique du même nom et propriétaire du Figaro. La demande transmise par le procureur général près la cour d'appel de Paris avait été, fait inédit, assortie d'un avis négatif.

Que reproche la justice à Dassault ?

Dans cette instruction ouverte depuis mars pour achat de votes, corruption, blanchiment et abus de biens sociaux, les magistrats s'intéressent aux élections municipales organisées en 2008, 2009 et 2010 à Corbeil-Essonnes, remportées par Serge Dassault puis par son bras droit, Jean-Pierre Bechter.

En annulant le scrutin de 2008, le Conseil d'Etat avait tenu pour "établis" des dons d'argent aux électeurs, sans se prononcer sur leur ampleur et bien que des témoins se soient rétractés. Mi-septembre, les avocats de Serge Dassault, Jean Veil et Pierre Haïk, avaient estimé que leur client était "l'objet, depuis plusieurs années, de demandes pressantes de remise d'argent par divers individus qui avaient été informés de sa générosité". Il lui est arrivé "d'accorder un soutien financier, mais toujours en dehors de toute démarche électorale", avaient déclaré les avocats.

Parallèlement à cette information, plusieurs instructions distinctes sont en cours à Evry, notamment sur deux tentatives d'assassinat à Corbeil-Essonnes, en janvier et février.

Que garantit l'immunité parlementaire ? 

Cette disposition, mise en place depuis la Révolution française, constitue un régime juridique particulier pour les parlementaires français. Elle vise à les protéger de potentielles mesures d'intimidation et entend garantir leur indépendance. Ce statut, défini par l'article 26 de la Constitution, assure une double immunité, comme le détaille l'Assemblée nationale sur son site

L'irresponsabilité. Cette immunité de fonction ou absolue protège le député ou le sénateur pendant toute la durée de son mandat. Mais même après, l'élu ne pourra pas être "poursuivirecherché, arrêté, détenu ou jugé" pour des actes ou des interventions liés à l'exercice de son mandat.

Grâce à elle, un député ou un sénateur ne pourra pas se voir reprocher ses opinions, ses questions posées en séance, ses votes, ses propositions de lois ou ses amendements, ses avis rendus. Cette irresponsabilité ne couvre toutefois pas les propos tenus par le parlementaire en dehors de ses fonctions. Ainsi, les insultes, coups et blessures sur un collègue, les déclarations dans une interview ou un livre ne sont pas protégés. Dans certains cas (outrage au président de l'Assemblée, menaces contre le chef de l'Etat...), des mesures disciplinaires peuvent toutefois être adoptées.  

L'inviolabilité. C'est la seule immunité à pouvoir être levée et celle dont on parle dans le cas de Serge Dassault. Ce second principe évite que le mandat soit entravé par des actions pénales visant des actes accomplis par l'élu en tant que simple citoyen. Il concerne les infractions pénales (criminelle et correctionnelle) et ne tient que le temps du mandat.

Ainsi, l'inviolabilité ne permet pas à l'élu d'échapper aux conséquences judiciaires de ses actes. Elle ne fait que différer le temps de la procédure pour garantir le bon déroulement et la tranquillité du mandat.

Depuis 1995, sa portée est plus limitée : le député ou le sénateur peut ainsi être mis en examen ou entendu comme témoin dans une affaire. En revanche, il ne peut pas être arrêté, détenu de manière provisoire, placé en garde à vue ou sous contrôle judiciaire sans l'autorisation du bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Reste que cette disposition n'est pas requise en cas de crime, de flagrant délit ou de condamnation définitive.

Comment se passe la levée de l'immunité ?

La demande de la levée de l'immunité d'un élu ne peut concerner que l'inviolabilité. Elle doit être formulée par le procureur de la République près la Cour d'appel compétente, puis transmise au ministre de la Justice. Celui-ci la communique ensuite au président de l'Assemblée nationale ou du Sénat.

Ce sont les bureaux de ces deux assemblées, composées de 22 membres pour le Palais-Bourbon et de 26 pour le Sénat, qui se prononcent à ce sujet. Ils doivent étudier "le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande", et non le fond de l'affaire. Ils reçoivent aussi le parlementaire concerné. Depuis 1995, ces bureaux délibèrent à huis clos et votent à bulletins secrets. 

Ils peuvent choisir de valider ou de rejeter la requête, voire n'en approuver qu'une partie. Il s'agit alors d'une levée d'immunité partielle. Leur décision est publiée dans le Journal officiel.

L'image du Sénat écornée

Mais les sénateurs sont embarrassés. Selon la présidente du groupe Communiste, républicain et citoyen (CRC), Eliane Assassi, et le sénateur PS David Assouline, sur les 26 membres du bureau du Sénat, douze se sont prononcés pour, et un s'est abstenu. 

La sénatrice centriste Nathalie Goulet évoque "un désastre, un carnage en terme d'image". Europe Ecologie-Les Verts parle d'un "scandale", d'une "décision incompréhensible et choquante""Dans une période où les citoyens doutent fort de leurs institutions, où la défiance envers les élus est en berne", le vote de mercredi "ne fera qu'en rajouter", s'alarme la communiste Michelle Demessine. Et les réactions à gauche sont d'autant plus virulentes que les deux voix de gauche qui ont manqué à l'appel resteront anonymes, le vote étant secret.

Car le basculement du Sénat à gauche en 2011, pour la première fois de son histoire, a paradoxalement brouillé les cartes. La deuxième chambre du Parlement est devenue un vrai cauchemar pour le gouvernement socialiste, qui voit ses textes de loi soit rejetés, soit totalement réécrits. Après le détricotage du texte sur les retraites, Laurence Rossignol (PS) comparait le Sénat "au triangle des Bermudes des projets de loi".

En cause, une majorité de gauche fragile, de seulement six voix. Car le PS n'a pas la majorité à lui seul : il a besoin des voix d'Europe Ecologie-Les Verts, des radicaux de gauche mais aussi des communistes.

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