Cinéma : "Madame Hyde" en DVD et VOD le 31 juillet
Une timide professeure de physique est méprisée et chahutée par ses élèves d’un lycée de banlieue. Mais un jour, lors d’une expérience dans son laboratoire, elle est touchée par la foudre. Elle sent alors en elle une énergie nouvelle, mystérieuse et dangereuse …
Extrait d’un entretien entre Jean Douchet, critique et historien du cinéma français et Serge Bozon, réalisateur du film
Jean Douchet : Madame Hyde est à la fois un film social, où les couleurs de peau, le rap et la banlieue sont plus qu’un décor ; un film fantastique, qui repose sur une transformation de l’héroïne ; et un film sur l’école, au sens le plus simple du terme : pourquoi transmettre le savoir et comment le transmettre ? Pourquoi est-ce si important et si dur de le transmettre ? Et pourquoi est-ce que ce ne serait pas si important si ce n’était pas si dur, et vice-versa ?
Serge Bozon : Je suis d’accord.
JD : Mais l’essentiel est pour moi qu’on ne sente aucune volonté « originale » de mélanger les trois genres, comme si le geste de mélanger de l’extérieur trois choses si différentes vous excitait en soi. La force du film, c’est que ce qui les mélange, et même les unit, vient de l’intérieur. Les trois n’en font forcément qu’un. Pourquoi ? L’héroïne du film (Madame Géquil) est une prof obscure. Elle est obscure parce qu’elle n’arrive pas à transmettre la lumière du savoir. Et la seule manière dont elle peut y arriver, c’est en devenant elle-même cette lumière. Il faut, pour sortir de l’obscurité, qu’elle « s’allume » enfin. D’où la simplicité des effets spéciaux : Madame Hyde est juste le négatif lumineux de Madame Géquil. Or c’est dangereux de « s’allumer ». En un mot, Madame Géquil ne peut répandre la lumière sans devenir lumière et elle ne peut devenir lumière sans prendre le risque de brûler. Donc le fantastique vient bien de l’intérieur. On ne le comprend pas tout de suite, mais peu à peu.
SB : Je n’y avais pas pensé. La simplicité (des effets) dont vous parlez a été en fait dure à trouver. J’espérais au début réussir à tout faire en direct, sur le plateau, par des projections d’images de feu, mais cela n’altérait pas assez l’apparence de Madame Géquil. Alors on a eu l’idée, grâce à Djibril Glissant, de ce passage au négatif en post-production qui permettait de remplacer le feu par la lumière. La lumière, c’est plus simple et plus mystérieux que du feu – on n’essaie plus de faire les Quatre Fantastiques avec Huppert en femme-torche… Mais vous disiez que les trois genres n’en faisaient qu’un, alors quel rapport avec le dernier genre, le film social ?
JD : C’est que les jeunes à qui elle n’arrive pas à enseigner sont eux-mêmes dans l’obscurité, mais sociale cette fois. Ils sont relégués en banlieue et relégués en classe technique. Ce sont à la fois les pauvres, les descendants d’immigrés et les mauvais élèves. Ils sont triplement obscurs. Et l’élève-phare de Madame Géquil, Malik, est quadruplement obscur, parce qu’il est en plus handicapé.
SB : Il faut différencier ce qu’on projette sur la banlieue et ce qui est dans le film. La pauvreté, par exemple, n’est pas vraiment traitée dans le film. Et Malik est handicapé, mais il est aussi très insolent. Au début, j’avais imaginé un acteur maladif et malingre pour le rôle. Quand j’ai rencontré Adda Senani, qui n’avait jamais joué, j’ai été conquis alors qu’il n’est pas du tout maladif. Il a un cran qui rend le personnage antipathique au début, par l’assurance avec laquelle il agresse à répétition Madame Géquil, ce que je trouve finalement plus intéressant que la compassion immédiate.
JD : Oui mais vous ne pouvez nier qu’il est le canard boiteux des élèves comme elle est le canard boiteux des profs. Dans la première scène du film, une collègue dit « La pauvre » en regardant Madame Géquil. Dans la première scène dans la cour de récréation, un élève dit « Pauvre Malik » en regardant Malik. Ils sont donc unis tous les deux par quelque chose qui touche à l’humiliation, et qui est aussi important dans le film que le savoir. C’est un duo, la mauvaise prof et le mauvais élève, comme l’humiliation et le savoir sont un autre duo. Il y a le duo des deux personnages et le duo des deux thèmes. Et la mauvaise prof va devenir bonne prof précisément au moment où le mauvais élève va devenir – grâce à elle – bon élève, dans la scène étonnante du laboratoire. Ce n’est pas réaliste, car il ne suffit jamais d’un seul cours pour tout faire basculer, mais c’est d’autant plus marquant. Une parenthèse : ce que j’aime dans cette scène, c’est son humilité et son calme. Où avez-vous trouvé cette petite preuve qui ne suppose aucune connaissance mathématique ?
SB : C’est un classique qu’on enseigne au collège, en quatrième. À propos de symétrie, la première scène avec Huppert s’ouvre par les déléguées qui lui reprochent de n’avoir aucune interaction pédagogique avec ses élèves, et la dernière scène avec Huppert est un cours sur la notion d’interaction.
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Sortie du film en DVD et VOD le 31 juillet 2018.
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