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Présidentielle américaine : Hillary Clinton va-t-elle changer la vie des Américain(e)s ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz - Recueilli par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Hillary Clinton lors d'un meeting à Coconut Creek, en Floride, le 25 octobre 2016. (JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Si Hillary Clinton l'emporte le 8 novembre, la démocrate entrera dans l'histoire. Mais sa possible élection à la tête de la plus grande puissance mondiale aura-t-elle un impact sur la condition des femmes aux Etats-Unis ?

En tête dans les sondages face à Donald Trump, Hillary Clinton pourrait bien devenir, mardi 8 novembre, la première présidente des Etats-Unis. Dans ce pays où les femmes ont obtenu le droit de vote en 1920, l'élection d'une Américaine à la fonction suprême peut-elle avoir des répercussions sur le quotidien de ses concitoyens et, surtout, ses concitoyennes ? 

Franceinfo a interrogé Susan J. Carroll, professeure de sciences politiques et des études sur le genre à l'université de Rutgers (New Jersey) et chercheuse au centre d'étude sur les femmes en politique à l'institut d'études politiques d'Eagleton.

Franceinfo : Pourquoi a-t-il fallu attendre 2016 pour qu'une femme soit investie candidate à la présidence des Etats-Unis, et pour qu'elle soit en position de l'emporter ?

Susan J. Carroll : Cela aurait dû arriver il y a bien longtemps. Il a fallu de nombreuses années pour que les Américains s'habituent à l'idée de voir des femmes accéder aux plus hauts postes de direction. La première femme à avoir porté sa candidature pour l'investiture d'un parti à la présidentielle était la républicaine Margaret Chase Smith en 1964. Entre-temps, il a fallu beaucoup de femmes pour ouvrir la voie à Hillary Clinton. Aujourd'hui, l'opinion publique y est plus favorable.

Il faut aussi prendre en compte le fait que tous nos présidents de l'époque moderne ont été soit sénateur, soit gouverneur d'un Etat, avant de devenir président. Or, les femmes sont encore très sous-représentées à ces postes : sur les 100 sièges que compte le Sénat, seuls 20 sont occupés par des femmes. Et il n'y en avait jamais eu autant ! Parmi les gouverneurs, six sont des femmes, sur un total de 50. Il a fallu attendre que des femmes arrivent à ces postes pour répondre à ce critère. C'est le cas de Hillary Clinton, qui a effectué deux mandats en tant que sénatrice de l'Etat de New York, avant de se présenter aux primaires démocrates, dès 2008.

Le problème vient notamment du fait que nous avons un système politique qui n'encourage pas le renouvellement. Les élus ont tendance à être réélus et il y a très peu de turnover, notamment au Sénat. Quant au poste de gouverneur, il est d'autant plus difficile d'accès pour les femmes qu'il s'agit d'un mandat exécutif. Dans ce pays, il existe une forme de résistance à l'idée que les femmes accèdent à ces postes de commande plutôt qu'à des postes de législateurs, de représentantes du peuple.

Pourquoi cette méfiance ? 

Quand une femme est élue dans une assemblée, elle est une voix parmi d'autres. En position exécutive, elle décide, elle a le dernier mot. Aux Etats-Unis, beaucoup de gens ont du mal à imaginer qu'une femme puisse être à la tête de notre armée, or c'est le rôle du président, qui est "commander in chief". Et ce n'est pas surprenant : les femmes militaires n'ont accès à tous les postes de combat que depuis la fin 2015. 

Les fonctions exécutives, et tout particulièrement la fonction présidentielle, s'inscrivent dans des institutions traditionnellement très masculines. De même, elles reviennent à des individus perçus comme forts et durs, des caractéristiques généralement attribuées à des hommes. 

Une femme présidente pourra-t-elle mettre un terme à cette différence de perception à l'avenir ? 

Nous l'espérons, bien sûr. Mais l'inverse est également possible. Si Hillary Clinton est élue et qu'elle est une présidente efficace - bien sûr, elle ne sera pas populaire aux yeux de tous ! -, et perçue par les Américains comme compétente, alors sa présidence ouvrira la porte à d'autres femmes. Comme elle est la première, la perception que les Américains auront de son mandat va grandement jouer.

Si pour une raison X ou Y, la présidence d'Hillary Clinton est un échec, les gens diront : "Non merci, on a déjà essayé avec une femme et cela s'est mal passé".  Elle a donc une pression énorme sur les épaules.

Susan J. Carroll, professeure de sciences politiques

à franceinfo

Enfin, il faut se demander si les femmes candidateront davantage dans des élections après une éventuelle victoire de Clinton. Là encore, deux scénarios possibles : oui, dans la mesure où les politiciennes sauront que le plafond de verre est percé. Et non, car l'exemple de cette campagne, et la violence des attaques dont Hillary Clinton a fait l'objet, peut aussi décourager des femmes, soucieuses de se protéger elles-mêmes ainsi que leurs proches. Rappelons que Hillary Clinton a été comparée au diable par son adversaire. Il l'a qualifiée, entre autres, de "mauvaise femme".

Cela étant dit, les petites filles qui grandissent dans ce pays en sachant qu'une femme peut exercer la fonction de présidente auront sans doute moins de réserve à s'investir en politique que leurs aînées. 

Pourtant, les sondages ont montré que les jeunes femmes démocrates soutenaient davantage la candidature de Bernie Sanders, et étaient peu sensibles au fait que son adversaire soit une femme.

Beaucoup de ces jeunes femmes ont la certitude qu'elles connaîtront une femme à la tête des Etats-Unis de leur vivant. En revanche, les femmes plus âgées sont beaucoup plus sensibles au fait de voter pour une femme présidente, car elles ont vécu dans une société très différente et veulent que ce rêve se concrétise. Ce n'est pas un segment de la population très visible, car elles ne se rendent pas dans les meetings, mais j'ai rencontré des femmes qui me disaient qu'elles avaient du mal à trouver le sommeil tellement elles étaient stressées par l'issue de cette élection.

Si Hillary Clinton l'emporte, ce sera un moment de grande émotion pour elles, même si elle se manifestera de manière moins visible que l'émotion qui a succédé à la victoire de Barack Obama. A l'époque, tout le pays avait conscience de vivre un moment historique. Cette fois, c'est moins évident, notamment parce que Donald Trump a considérablement occupé l'espace médiatique. On a simplement moins parlé de l'aspect symbolique du scrutin.

Quand Barack Obama a été élu en 2008, devenant le premier président noir des Etats-Unis, des commentateurs ont dit que les Etats-Unis entraient dans une ère post-raciale...

Oui, et ceux-là se sont bien trompés, comme l'ont tristement démontré les événements survenus pendant son mandat. 

Justement, quelles leçons pouvons-nous tirer de cela ? Qu'une société post-genre, ce n'est pas pour tout de suite non plus ? 

En effet, le choix d'un président ne fait pas basculer l'opinion publique du jour au lendemain. Face à des problèmes structurels, comme la discrimination raciale ou les inégalités homme-femme, il faut beaucoup de temps pour avancer.

Un président noir, ou une femme présidente, cela peut contribuer à faire évoluer les mentalités, mais c'est très loin d'être suffisant.

Susan J. Carroll, professeure de sciences politiques

à franceinfo

En tant que femme présidente, sur quoi est attendue Hillary Clinton ? 

Les Américains attendent qu'elle intervienne en faveur d'une vraie politique concernant les congés parentaux. Aussi, Hillary Clinton a beaucoup fait campagne sur la question de l'égalité salariale à travail égal. Il serait question d'introduire une législation qui permettrait aux femmes discriminées au travail de poursuivre leur employeur en justice plus facilement, afin d'encourager ces derniers à respecter l'égalité. Elle proposera des lois, mais ses marges de manœuvres seront plus ou moins importantes selon que le Congrès soit, ou non, aux mains des Républicains.

Par ailleurs, la question du droit à l'avortement est très importante pour les Américains. C'est un enjeu crucial dans cette élection, car le président qui sera élu devra nommer un juge à la Cour suprême, lequel sera susceptible de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Le résultat de cette élection aura donc un impact très concret pour la condition des femmes et leurs droits aux Etats-Unis. 

Plusieurs études ont tenté de démontrer que les femmes qui accédaient à des postes à très hautes responsabilités avaient tendance a être plus efficaces que leurs équivalents masculin. C'est un mythe ?

Quand vous interrogez des femmes politiques américaines, comme je l'ai fait — beaucoup ! — vous remarquez qu'elles disent toutes cela, quasiment sans exception. Elles estiment toutes que les femmes sont plus soucieuses de trouver des solutions plutôt que de se mettre en avant. Les politiciennes le disent très clairement et considèrent même que c'est une différence majeure entre les femmes et les hommes politiques, quel que soit leur parti. Evidemment, pour nous, chercheurs, c'est extrêmement difficile à évaluer. Mais que ce soit vrai ou pas, ce dont on est sûr, c'est que les femmes politiques partagent toutes ce sentiment. De même, il est difficile de savoir si les électeurs perçoivent ou non une différence. 

L'Allemagne et le Royaume-Uni, et bientôt sans doute les Etats-Unis, sont dirigées par des femmes. Peut-on imaginer que Hillary Clinton, parce qu'elle est une femme, aura une approche différente sur des secteurs tels que la politique étrangère des Etats-Unis ?

Juste parce qu'elle est une femme, non. A ce stade, ce n'est pas le genre qui dicte une quelconque façon de faire, mais la fonction. Un président agit comme un président. Qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme n'entre probablement pas vraiment en jeu, sauf à la marge. Par exemple, quand Hillary Clinton s'est rendue au sommet de Pékin en tant que secrétaire d'Etat de Barack Obama, et qu'elle a déclaré que les "droits des femmes [étaient] des droits humains". C'est effectivement difficile d'imaginer un homme faire cette déclaration...

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