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Présidentielle américaine : comment les complotistes du mouvement QAnon sont devenus les meilleurs alliés de Donald Trump

En moins de trois ans, cette mouvance politique conspirationniste d'extrême droite a pris un poids politique non négligeable aux Etats-Unis, sous la présidence du milliardaire américain.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Un manifestant brandit un drapeau à la gloire du mouvement QAnon, le 22 août 2020, à Los Angeles (Etats-Unis). (KYLE GRILLOT / AFP)

Au recto, le drapeau américain. Au verso, le slogan "Trump 2020". Ken agite sa bannière, lundi 24 août, près du centre des congrès de Charlotte (Caroline du Nord), où le parti républicain investit officiellement Donald Trump comme candidat pour la présidentielle de novembre. Ken arbore une casquette rouge ornée du mot d'ordre de campagne du président, "Keep America Great" ("Préservons la grandeur de l'Amérique") mais il porte surtout un t-shirt orné d'un Q enflammé aux couleurs des Etats-Unis. Ken est un QAnon, un partisan de cette mouvance conspirationniste d'extrême droite.

Les QAnon (contraction de "Q" et "Anonymous") sont apparus fin 2017, lorsqu'un mystérieux internaute, connu sous le pseudonyme de "Q", s'est mis à répandre sur le sulfureux forum 4chan une théorie du complot : Donald Trump serait parti en guerre contre un "Etat profond" ("Deep State") qui gouvernerait l'Amérique en secret depuis des décennies et compterait dans ses rangs des démocrates, comme Hillary Clinton et Barack Obama, des milliardaires philanthropes, tels Bill Gates et George Soros, mais aussi des stars d'Hollywood.

Cette croisade patriotique se conclurait par le "Grand Eveil" ("The Great Awakening") et la "Tempête" ("The Storm"), lorsque Donald Trump, héraut des QAnon, démasquerait la conspiration et ferait arrêter cette élite mondialisée, adoratrice de Satan, se livrant au trafic d'enfants pour le compte de réseaux pédophiles.

En moins de trois ans, cette croyance aux accents millénaristes s'est répandue dans la société américaine, d'autres thérories du complot venant s'y greffer avec l'arrivée de nouveaux adeptes. Les QAnon, que la presse américaine compare volontiers à une nouvelle religion et que le FBI a classé comme menace terroriste intérieure potentielle, sont passés des recoins sombres d'internet au premier plan de la scène politique américaine. Voici cinq signes qui prouvent leur poids politique à l'approche de la présidentielle.

Ils sont (peut-être) des millions grâce aux réseaux sociaux

Une enquête interne de Facebook, que la chaine de télévision NBC* a pu consulter début août, donne une idée de l'ampleur prise par le mouvement. Le réseau social a identifié des milliers de groupes et de pages, rassemblant plus de trois millions de membres et d'abonnés, un même internaute pouvant toutefois être lié à plusieurs de ces groupes ou pages. Les QAnon sont donc au moins des centaines de milliers.

Les théories du complot suscitées par la pandémie de coronavirus ont agi comme un accélérateur, observe le Wall Street Journal* (article payant). Depuis mars, les pages et groupes Facebook liés à la mouvance ont grossi de 651%, et le contenu à leur sujet s'est accru de 71% sur Twitter, d'après les recherches de Marc-André Argentino, doctorant à l'université Concordia, à Montreal (Canada), citées par la chaîne ABC*.

Sans les réseaux sociaux, le phénomène n'aurait jamais pris une telle importance aussi rapidement. D'après une recherche interne de Facebook, à laquelle le Wall Street Journal* (article payant) a eu accès, "64% de l'ensemble des inscriptions dans les groupes extrémistes sont dus à ses outils de recommandations". Il a ainsi suffi à la chercheuse et artiste Erin Gallagher de rejoindre un groupe anti-confinement pour que l'algorithme lui recommande un groupe QAnon, selon ce que l'interessée a indiqué sur Twitter.

Les réseaux sociaux ont mis du temps à prendre la mesure du problème. Reddit a certes fait le ménage dans ses fils de discussion dès 2018, mais les dizaines de milliers d'internautes bannis ont migré vers les autres plateformes : YouTube, Twitter, Instagram et surtout Facebook. Il a fallu attendre fin juillet pour que Twitter suspende 7 000 comptes. Dans la foulée, TikTok a annoncé bloquer des mots-dièse liés à la mouvance. Et mi-août, Facebook a supprimé près de 800 groupes et 100 pages. "A moins qu'il n'y ait une sorte de coordination entre les plateformes pour se débarrasser des principaux influenceurs QAnon, cela réapparaîtra en permanence", prévient Joan Donovan, directrice d'un centre de recherche à Harvard, interrogée par NBC.

Des partisans du mouvement complotiste QAnon posent autour d'une représentation en carton de Donald Trump le 20 août 2020 à Old Forge (Etats-Unis), lors de la campagne présidentielle. (DAN RAINVILLE VIA IMAGN CONTENT /SIPA / AFP)

Ils sont capables de se mobiliser dans la rue

Durant l'été, les mots-dièse #SaveTheChildren et #SaveOurChildren ("Sauvez les/nos enfants") ont émergé sur les réseaux sociaux. De prime abord, les messages semblaient faire écho à une campagne citoyenne appelant à agir contre le trafic d'enfants. Mais à y regarder de plus près, les publications sont utilisées par les militants du mouvement QAnon pour relayer leurs thèses, relate le New York Times*.

Le point d'orgue de cette vaste opération numérique a été une mobilisation bien réelle des militants, samedi 22 août. Ce jour-là, NBC* a recensé plus de 200 rassemblements "Save the Children" à travers les Etats-Unis. Ils ont eu lieu sur Hollywood Boulevard à Los Angeles, devant le Capitole de l'Etat du Minnesota à Saint Paul, dans le centre-ville de Portland (Oregon) ou au cœur de New York quelques jours plus tôt.

Sur leurs pancartes, le slogan "Save Our Children" voisinait avec des messages aux accents conspirationnistes comme "Le confinement est le rêve de tout pédophile" ou encore "Le coronavirus est une énorme diversion". "Il ne s'agit pas de protection de l'enfance, mais d'une théorie du complot qui essaie de s'exprimer en d'autres termes pour séduire plus de monde", analyse sur NBC* l'universitaire Whitney Phillips, spécialiste de rhétorique à l'université de Syracuse (Etat de New York). 

Des manifestants participent au assemblement "Save Our Children", le 22 août 2020 devant le Capitole de St Paul dans le Minnesota. (STEPHEN MATUREN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Ils ont infiltré le parti républicain

Si la vieille garde républicaine voue les QAnon aux gémonies, de nombreux candidats conservateurs au Congrès ont embrassé la cause. L'organisme Media Matters for America* en a recensé 72. Certains se défendent d'être QAnon et assurent qu'ils ne font que s'adresser à des électeurs potentiels. D'autres revendiquent leur appartenance à la mouvance sur les réseaux sociaux.

Après sa victoire à la primaire pour l'investiture républicaine dans l'Oregon, fin juin, Jo Rae Perkins a posté une vidéo dans laquelle elle "prête serment" en tant que "soldat numérique" des QAnon. Pour la candidate, croire en Q, c'est comme croire en Jésus Christ, confesse-t-elle dans une interview* repérée par Media Matters for America. Sauf que son prophète est "probablement le renseignement militaire qui regarde ce qui se passe dans notre pays depuis des décennies et qui est en partenariat avec le président Trump pour arrêter la corruption et sauver notre république." 

Il y a aussi Lauren Boebert, propriétaire d'un restaurant (le bien nommé Shooters Grill, le "grill des tireurs") où le personnel travaille armé, comme le rapporte National Public Radio*. Candidate dans le Colorado, elle confie, dans une émission* dont la présentatrice est elle-même QAnon, "très bien connaître" le mouvement. "[Si] tout ce que j'ai entendu à [son] propos est réel (...) cela pourra être vraiment formidable" pour les Etats-Unis, a ajouté Lauren Boebert.

Marjorie Taylor Greene constitue un autre exemple. Celle qui a remporté la primaire en Géorgie a toutes les chances d'être élue dans son district très conservateur en novembre. Elle a d'ailleurs été félicitée pour sa nomination par Donald Trump lui-même sur Twitter. Le président américain l'a qualifiée de "future étoile républicaine".

"Q est un patriote", qui "est très pro-Trump" et qui "vaut la peine d'être écouté", a-t-elle déclaré dès 2017 dans une vidéo citée par CNN*. Les vidéos découvertes par la presse américaine, dans lesquelles elle tient des propos racistes, islamophobes et antisémites et relaie des théories du complot, n'ont pas freiné sa désignation. 

Marjorie Taylor Greene, le 1 août 2020, à Rome en Géorgie, durant sa campagne pour l'investiture républicaine. (MIKE STEWART/AP/SIPA / AFP)

Dans une séquence révélée par Politico*, elle juge les Afro-Américains "maintenus en esclavage par le parti démocrate". Elle voit dans l'élection de deux musulmanes au Congrès une "invasion islamique". Elle qualifie de "nazi" George Soros, le milliardaire qui, enfant, a échappé à la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans d'autres extraits, débusqués par Media Matters for America*, elle affirme que Barack Obama est musulman et qu'il n'existe "aucune preuve" d'un "prétendu avion" précipité sur le Pentagone le 11-Septembre. Elle a depuis tenté de se dédouaner, comme l'a souligné le chercheur Alex Kaplan sur TwitterMarjorie Taylor Greene assurant avoir pris ses distances des QAnon, sans convaincre.

"Le vrai danger est que les QAnon, parce qu'ils s'écartent tellement du réel, pourraient conduire les politiciens à créer une législation, non pas fondée sur des préoccupations du monde réel, mais plutôt sur l'application de leurs croyances conspirationnistes", redoute Travis View, chercheur sur le complotisme, cité par CNN*.

Ils ont des alliés à la Maison Blanche

On ne compte plus les clins d'œil faits par l'entourage de Donald Trump à la mouvance sur les réseaux sociaux. Son fils Eric Trump a publié sur Instagram un message* avec en fond le Q des QAnon et le mot-clef #WWG1WGA, évoquant leur mantra "Where We Go One We Go All" ("Où l'un d'entre nous va, nous allons tous"). 

Le directeur adjoint de la communication de la Maison Blanche, Dan Scavino, l'avocat personnel du milliardaire, Rudy Giuliani, affichent aussi leur sympathie pour les QAnon, note Media Matters for America*. Brad Parscale, ex-cadre de l'équipe de campagne de Trump en 2016 et en 2020, a quant à lui posé à la Maison Blanche avec Bill Mitchell, républicain promoteur des thèses QAnon. Enfin, le haut gradé Michael Flynn, acteur de la campagne de 2016 et bref conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump a, lui, choisi le jour de la fête nationale pour publier une vidéo où on le voit prononcer en famille le serment des QAnon, note CNN.

Les républicains pro-Trump "n'ont absolument rien fait pour décourager les adeptes de QAnon", accuse dans Politico* le chercheur Travis View. QAnon est fondé sur l'idée qu'il existe un plan secret pour sauver le monde, donc ils prennent davantage ce silence comme faisant partie de ce secret."

Ils ont reçu le soutien tacite de Donald Trump

Lors d'un point presse à la Maison Blanche, le 19 août, une journaliste a interrogé Donald Trump au sujet des QAnon, comme le rapporte CNN*. "Il y a cette idée selon laquelle vous sauvez secrètement le monde d'un culte de pédophiles et de cannibales, vous y croyez ?", demande-t-il. La réponse du président a ravi les intéressés.

"Je n'ai pas entendu ça, réplique-t-il. (...) Si je peux aider à sauver le monde des problèmes, je veux bien le faire. En vérité, nous sommes en train de sauver le monde d'une philosophie de gauche radicale qui va détruire ce pays." Et le président de préciser : "Je ne sais pas grand-chose sur le mouvement à part que je comprends qu'ils m'aiment beaucoup, ce que j'apprécie." Quelques jours plus tard, il a glissé dans un tweet une allusion à "l'Etat profond" qui entraverait la lutte contre l'épidémie de Covid-19. 

D'après le décompte de Media Matters for America*, Donald Trump a relayé plus de 216 fois au moins 129 comptes QAnon différents, offrant à leurs thèses une large visibilité (il compte 85 millions d'abonnés sur Twitter) parfois plusieurs fois par jour, encore plus depuis le début de la pandémie.

L'un des grands promoteurs des idées QAnon, Michael William Lebron, a même eu les honneurs d'une visite du Bureau Ovale, où il a posé au côté du locataire des lieux, en août 2018. Peu après, indique Axios*, il tweetait une thèse complotiste à propos de puces implantées sous la peau et de surveillance de masse.

"Si Trump a l'impression que ces personnes le soutiennent à 100%, il va les protéger", résume dans Politico Rick Wilson, ancien stratège républicain et cofondateur du Lincoln Project, une alliance de conservateurs critiques à l'égard de Donald Trump. En août 2019, un sondage de l'Emerson College* a révélé que 5% des personnes interrogées croyaient aux thèses du mouvement QAnon. En mars 2020, le Pew Research Center* a estimé que 20% des Américains avaient déjà entendu "un peu" parler du mouvement, et 3% beaucoup. 

* Cette page est en anglais

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