Les Indiens de Standing Rock face au "serpent noir" de Trump
À l'occasion du premier grand discours de Donald Trump mardi devant le Congrès, franceinfo sillonne les États-Unis pour comprendre les implications des décrets déjà signés par le président américain. Étape dans le Dakota du Nord, avec la reprise de la construction d'un oléoduc contesté par les Sioux de la réserve de Standing Rock.
Donald Trump doit prononcer mardi 28 février devant le Congrès son premier grand discours. franceinfo a sillonné les États-Unis pour comprendre les effets des décrets déjà signés par le président américain. Étape dans le Dakota du Nord, avec la reprise de la construction d'un oléoduc contesté par les Sioux de la réserve de Standing Rock.
Cinq jours après son investiture, Trump a donné le feu vert pour la construction de deux oléoducs dans le quart nord du pays. Barack Obama avait rejeté en décembre, avant de partir, ces projets gelés depuis des mois. Les défenseurs de l’environnement voient rouge : l’un des deux chantiers se situe dans le Dakota du Nord, dans la réserve indienne de Standing Rock, où l'opposition est vive.
Des plaines enneigées à perte de vue et au milieu : des dizaines de yourtes, tipis, campings cars et cabanes plantés dans la boue, fin février. Malgré le blizzard, malgré les -15°C, malgré l’évacuation par la police du chantier la semaine dernière, quelques milliers d’activistes se relaient pour être toujours là en bordure de la zone de travaux. Leur ennemi ? Le "Black Snake", le "serpent noir" : comprenez le Dakota Access Pipeline, l’oléoduc qui doit acheminer à terme des millions de barrils de pétrole de schiste du Canada vers Chicago. La compagnie Energy Transfer veut creuser ici très profond dans la roche, sous la rivière Missouri.
Une hérésie pour Kandra, 52 ans, arrivée il y a trois semaines de San Francisco. "J’ai très peur de cet oléoduc, explique Kandra. Des possibles fuites. Au moins cinq ou six oléoducs dans le pays ont déjà cassé. On nous le cache mais cela empoisonne les sources, donc les hommes, les animaux, les plantes. Ces gens n’agissent pas dans notre intérêt. Il est temps de les arrêter. Et ce qui est positif, c’est qu’avec Trump, on a un capitalisme tellement extrême que ça provoque un réveil des consciences. On doit prendre nos responsabilités et résister."
Kandra, habituée à la douceur californienne, se réchauffe auprès d’un brasier. Derrière elle, une des dizaines de banderoles qui proclament partout ici "Water is life" : "l’eau c’est la vie". Californiens et New-Yorkais sont très représentés sur le camp de la réserve indienne de Standing Rock. On croise des militants de tout le pays : Montana, Colorado, Virginie, entre autres. Des trentenaires, souvent, qui mettent leur vie entre parenthèses quelques temps pour venir empêcher, disent-ils, "une catastrophe écologique".
Les leaders respectés du mouvement sont les locaux, les indiens Sioux, dont Ladonna, quinquagénaire élégante qui possède le terrain en bordure du chantier, à deux pas des pelleteuses. "C’est notre terre, défend Ladonna. On est là depuis des milliers d’années et un traité en 1851 nous les a accordées. Alors, qui a le droit, qui osera faire ça ? Des fous ! Une pénurie d’eau guette la planète. Alors notre combat doit devenir mondial. Maintenant on travaille dur sur l’aspect financier. Il faut que les banques qui investissent dans cet oléoduc retirent leurs billes. Notre bataille est seulement en train de commencer."
Chaque semaine Ladonna reçoit des visites de soutien d’autres tribus indigènes : des Navajos, des Cherokees, même des Incas ! Aujourd’hui ce sont des Cheyennes. Une cérémonie avec chants et prières rituelles s’improvise au pied d’un drapeau américain à l’envers, signe de défiance à l’égard de Washington. Les bannières sont omniprésentes ici et chacun apporte la sienne. On croise des drapeaux israéliens, japonais, canadien. Et même un drapeau bleu blanc rouge, laissé par des Français de passages.
Le son d’une flûte parvient à nos oreilles. En cherchant d’où provient cette douce mélodie, on finit par tomber sur John, cuisinier venu de l’Oregon. Ce trentenaire dit souffrir du dos depuis les heurts de ces derniers jours avec ceux qu’il appelle les "Robocop de la police" : "Ils utilisent des balles en caoutchouc, des bâtons pour frapper ! Nous, on est pacifistes, mais ils nous visent avec leurs canons à eau. Et comme ici, ça gèle tout de suite, des personnes se retrouvent en hypothermie. Quand j’ai été arrêté, ils m’ont brutalisé, vraiment. Et puis ils sont toujours là, au-dessus. Vous voyez cet hélicoptère ? On peut parler d’une violation de notre Constitution et même d’une violation des droits universels."
Ce qui ulcère le plus John ? Ce qu'il a appris il y a quelques semaines : Donald Trump aurait un demi million de dollars d’actions dans la société qui construit l’oléoduc. Le président a répondu qu’il les avait vendues et que, de toute façon, ce projet créateur d’emplois était essentiel à la croissance. "Cet homme-là ne comprend rien", commente très calmement un des plus âgés ici. Cheveux gris noués avec des plumes sur la nuque. Son nom indien : "Ghost". "Fantôme".
"Ils ne réfléchit pas avant d’agir ou de parler, ce Trump, se désole Ghost. Si tu es un leader, tu ne peux pas te comporter comme cela ! J’aimerais bien qu’il vienne ici, qu’il vienne voir les conséquences négatives de son chantier. Tous ces gens ne regardent pas assez loin dans l’avenir. Ils pensent à l’argent qui remplit leurs poches. Ils parlent tout le temps de dollars. Moi je leur parle d’Histoire, de la planète, d’un site sacré où sont enterrés nos ancêtres. Eux, ne voient rien de tout ça. S’ils ouvraient leurs yeux, peut-être qu’ils verraient."
Les Indiens et les militants écologistes savent que leur camp, à côté et non plus sur le chantier, désormais, ne suffit plus. Sur les réseaux sociaux, ils ont ouvert la boîte à idées pour de nouvelles actions. Ailleurs dans le pays, différentes, mais toujours pacifiques.
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