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Mort de Ruth Bader Ginsburg : comment fonctionne la Cour suprême des Etats-Unis ?

Démocrates et républicains se sont lancés dans une bataille politique autour de la nomination du nouveau juge de la Cour suprême. Franceinfo fait le point sur le fonctionnement de cette institution.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des fleurs et des bougies sont déposées devant la Cour suprême pour honorer la mémoire de la juge Ruth Bader Ginsburg, à Washington, le 19 septembre 2020. (JOSE LUIS MAGANA / AFP)

Qui va remplacer Ruth Bader Ginsburg à la Cour suprême des Etats-Unis ? La question agite démocrates et républicains après la mort de la magistrate progressiste, vendredi 18 septembre. Les deux partis s'affrontent sur la question de la date à laquelle un nouveau juge sera nommé : Donald Trump souhaite désigner un conservateur avant la présidentielle du 3 novembre, alors que les démocrates veulent attendre, dans l'espoir de remporter la présidentielle et le Sénat (et de contrôler ainsi la nomination des magistrats) en janvier. Quel est le rôle de la Cour suprême ? Pourquoi est-elle devenue un enjeu dans la campagne ? Comment sont désignés les juges qui y siègent ? Franceinfo répond à quatre questions sur la plus haute juridiction des Etats-Unis.

Quel est le rôle de la Cour suprême ?

La Cour suprême des Etats-Unis (également désignée par son acronyme anglais SCOTUS, pour Supreme Court of the United States), fondée en 1789, est la plus haute juridiction du pays. Elle a pour mission de vérifier, en dernier recours, si les décisions, lois et décrets pris dans chacun des 50 Etats ou par l'Etat fédéral sont conformes à la Constitution américaine, rappelle Le Monde. Elle est donc un élément central de l'équilibre des pouvoirs dans le pays.

Son rôle est d'autant plus important que les magistrats s'expriment aussi bien sur les évolutions des institutions du pays (le financement des campagnes électorales, les pouvoirs du président ou le droit de vote) que sur les libertés des citoyens. Leurs décisions "ont une influence extraordinaire sur la vie des Américains. C'est la Cour suprême qui a garanti le droit à l'avortement, qui a autorisé le mariage pour tous en 2015, qui a décidé d'instaurer la ségrégation puis d'y mettre fin", rappelle Jean-Eric Branaa, maître de conférences et chercheur à l'université Paris 2 Panthéon-Assas, interrogé par franceinfo. "Ces questions devraient être tranchées par les représentants du peuple, mais ce sont les juges qui les règlent. Les débats autour de la peine de mort ou du droit de porter une arme, par exemple, ne bougent pas au Congrès, mais à la Cour suprême."

Selon Libération, les magistrats peuvent recevoir de "7 000 à 11 000 saisines par an". La juridiction ne statue toutefois que sur un peu moins d'une centaine de cas chaque année. Tous les jugements de la Cour suprême sont rendus à la majorité. Aucun appel n'est ensuite possible.

Comment sont nommés les juges qui y siègent ?

La Cour suprême compte neuf juges, dont un "Chief Justice" qui agit comme un président. Ils sont désignés sur proposition du chef d'Etat, qui choisit des magistrats qui "correspondent à [sa] politique", explique Jean-Eric Branaa à franceinfo. "Dans un sens, ces nominations sont un moyen d'assurer la prolongation de [la politique du président] sur les décennies qui suivent", car les juges sont nommés à vie, précise le spécialiste des Etats-Unis. A moins qu'ils ne décident de démissionner, à l'image du juge Anthony Kennedy* en 2018.

Une fois la proposition faite, le candidat fait l'objet d'une enquête (vetting), une procédure durant laquelle on décortique sa vie et celle de sa famille pour s'assurer qu'il n'y a pas d'obstacle à sa nomination. "En moyenne, cela dure 25 jours", poursuit Jean-Eric Branaa.

Reste l'étape cruciale de la confirmation par le Sénat. Le candidat est d'abord auditionné publiquement par la commission des affaires judiciaires, ce qui a fréquemment mené à des passes d'armes entre les magistrats et les élus du camp opposé. Ainsi, lorsqu'il était président de cette commission en 1987, Joe Biden a bloqué la nomination d'un juge ultra-conservateur désigné par Ronald Reagan, rappelle le journal Les Echos (article payant). De son côté, la candidate démocrate à la vice-présidence des Etats-Unis, Kamala Harris, avait aussi été remarquée pour ses questions acérées à Brett Kavanaugh en 2018.

Après un premier vote au sein de la commission des affaires judiciaires, la nomination d'un nouveau juge doit être approuvée en séance plénière au Sénat. Au moins 50 votes en faveur du candidat sont requis.

Pourquoi la mort de Ruth Bader Ginsburg pose-t-elle la question de l'équilibre au sein de la Cour suprême ?

Actuellement, cinq des neuf juges de la Cour suprême ont été nommés par des présidents républicains, rappelle Le Figaro. Donald Trump en a déjà désigné deux depuis son arrivée à la Maison Blanche : Neil Gorsuch, en 2017, et Brett Kavanaugh, en 2018. Les conservateurs sont donc majoritaires à la Cour suprême, même si l'institution a parfois continué d'adopter des positions progressistes au cours des dernières années. Elle a ainsi déclaré inconstitutionnelle une loi de Louisiane rendant quasiment impossible l'avortement, et a inscrit dans le droit fédéral l'interdiction des discriminations au travail sur la base de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, note Le Figaro. Le vote du président conservateur de la Haute Cour, John Roberts, a été à chaque fois déterminant.

Il arrive en effet que des juges "pivots" assurent l'équilibre entre les deux camps, en votant parfois avec les conservateurs et parfois avec les progressistes, note Libération. C'était par exemple le cas d'Anthony Kennedy, nommé par Ronald Reagan en 1988 et parti à la retraite 30 ans plus tard. "C’est un juge qui s’est principalement illustré pour s’être prononcé en faveur du mariage homosexuel et [pour] avoir protégé les lois concernant l’avortement", explique Vincent Michelot, spécialiste de la politique et de la justice américaine, à Libération.

La mort de Ruth Bader Ginsburg donne toutefois l'opportunité à Donald Trump de garantir aux conservateurs le contrôle de la Cour suprême pour les années à venir. Le président, qui s'est engagé à nommer une femme, va donc faire son possible pour désigner rapidement une juge, alors que les démocrates pourraient reprendre la Maison Blanche et le Sénat en janvier.

Quels sont maintenant les scénarios ?

Selon plusieurs médias américains, les favorites seraient deux magistrates, Amy Coney Barrett (connue pour ses positions anti-avortement) et Barbara Lagoa. Mais une nomination accélérée s'annonce compliquée, car les républicains ne disposent que d'une très courte majorité (53 sièges contre 47) au Sénat.

En cas d'égalité parfaite, il reviendrait au vice-président, Mike Pence, de voter pour départager les deux camps. Il suffit donc de quatre défections dans les rangs républicains pour bloquer la confirmation d'un juge conservateur cet automne. Deux sénatrices du camp présidentiel, Susan Collins et Lisa Murkowski, se sont déjà déclarées opposées à une nomination rapide à la Cour suprême.

* Les liens marqués par un astérisque sont en anglais.

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