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Russie : un boom des naissances, contre toute attente

Après la catastrophe démographique des années 1990, le gouvernement de Poutine a lancé un vaste programme pour booster les natalités. En atteignant ses objectifs, le plan pour la croissance contredit toutes les prévisions.
Article rédigé par Celia Mascré
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un couple sort de la maternité avec son nouveau né, à Rostov-sur-le-don. (SERGEY PIVOVAROV / RIA NOVOSTI)

La chute de l'URSS fut un drame démographique pour la Russie. Entre 1991 et 1999, le taux de natalité a chuté et le taux de décès augmenté simultanément. A l'époque, les démographes parlent de «Croix Russe» à l'image des lignes qui se croisent sur les graphiques (voir ci-dessous). Il y a quelques années, la presse occidentale titrait allègrement sur la fin de la croissance russe : La fin des Russes (The Wall Street Journal), Le suicide démographique de la Russie (The Economist), Russie: de l'espace mais pas d'habitants (Die Welt) ... Dès les années 2000, les experts de l'ONU prévoyaient que la Russie n'atteindrait pas 130 millions d'habitants en 2015. Au 1er avril, elle s'établit à 146,3 millions. Ajoutez 2,4 millions en comptant la Crimée.

  (Wikipedia Commons)


Aujourd'hui, le taux de fécondité russe de 1,7 enfant par femme est plus élevé que la moyenne de l’Union européenne. Et cela grâce à un vaste programme gouvernemental pour la croissance.
 
Depuis 2000, le nombre de naissances n'a cessé d'augmenter, passant de 1,2 millions en 2000 à 1,9 millions naissances en 2013 tandis que le nombre de décès a connu un recul constant, passant de 2,3 millions en 2003 à 1,8 en 2013. Le taux de natalité le plus bas – 1,3 million de personnes – qui a été enregistré en 2000, était de 20% inférieur à celui de 1992.
 
Un programme spécial pour booster les naissances
En cause, un plan étatique mis en place par Vladimir Poutine sur 2007-2016. «La politique démographique de la Fédération de Russie vise à accroître l'espérance de vie, réduire le taux de mortalité, augmenter la fertilité, réguler la migration interne et externe, préserver la santé et améliorer la situation démographique dans le pays.» prévoit le programme. La Russie souhaite également «attirer des migrants pour répondre aux besoins de l'évolution démographique et socio-économique, en tenant compte de la nécessité de leur adaptation sociale et de l'intégration.»
 
En objectif chiffré, la Russie aimerait que la population atteigne 142 à 143 millions d'habitants d'ici à 2015 et augmenter l'espérance de vie de 70 à 75 ans d'ici à 2025. Cela passe par le renforcement de l'institution familiale, le renouveau et «la préservation des traditions spirituelles et morales de la famille», selon le gouvernement qui s'est chargé de mener diverses campagnes de communication. Pour anecdote, une fête «de la conception» a été lancée dans une région connue pour être celle où Lénine a passé son enfance. Elle tombe exactement 9 mois avant de la grande fête patriotique (le 9 mai). Chaque mère qui accouche le jour du 9 mai recoit un prix spécial, à savoir une voiture de fabrication russe.

Au niveau fédéral, le gouvernement a mis en place en 2006 une prime pour la naissance ou l'adoption d'un deuxième enfant. Appelée «matkapital» (capital maternel), elle s'élève à de 350.000 roubles (5.600 euros environ, quasiment 10.000 euros à l'époque) soit dix fois le salaire moyen. 
 
La population rurale plus touchée que celle des villes
Plusieurs études sociologiques le montrent, cette mesure a en partie convaincu les jeunes femmes de faire un second enfant même si son influence est imperceptible au niveau purement statistique. De la même manière, le programme «aide aux jeunes familles» a contribué à accroître le taux de fécondité, avec un crédit accordé aux jeunes parents qui veulent acheter un logement. Ce dernier concerne évidemment plutôt la population rurale, où les prix de l'immobilier sont bien moins élevés qu'à Moscou. D'ailleurs, les chiffres montrent que le taux de fécondité augmente largement dans les régions où il était déjà élevé, comme dans le Caucase du Nord ou dans la République de Touva, dans le sud de la Sibérie centrale. Globalement, l'augmentation du taux de natalité est beaucoup plus prononcée dans les zones rurales que dans les zones urbaines. A ces mesures s'ajoutent des congés payés et des «récompenses» (réfrigérateur, voiture, etc.)
 
Au-delà de ces dispositions, il a aussi fallu lutter contre des problèmes endémiques comme la fuite des cerveaux. Ainsi, le plan du gouvernement prévoit aussi d'augmenter l'attractivité du pays en tant que résidence permanente afin de réduire l'exode des professionnels qualifiés.

Dégâts persistants dans le domaine de la santé
Même si les signaux sont bons, la crise actuelle risque de freiner la tendance, notamment avec les sanctions occidentales contre la Russie. Le ministère des Finances estime que les dommages qui leur sont directement liés aboutiront sur une perte de 40 milliards de dollars pour l'économie russe. Il se peut que le gouvernement ne puisse plus se permettre de mener sa politique sociale
Le même ministère a d'ailleurs proposé d'indexer le capital maternel pour une durée de trois ans, ce qui permettrait à l'Etat d'économiser 20 milliards de roubles. Les jeunes couples ont moins confiance en l'avenir et peinent à s'en sortir. De plus, le nombre d'hommes et de femmes en âge de procréer s'est considérablement réduit. Ajoutons à cela une forte mortalité qui persiste, avec plus de deux millions de décès par an. De même, les problèmes d'alcool et de drogue marquent la société. En Russie, 550.000 toxicomanes sont recensés, dont 138.000 sont des enfants et des adolescents. Selon les experts, la plupart d'entre eux mourront d'ici 5 à 7 ans. Les politiques publiques de lutte contre la toxicomanie sont clairement inefficaces.
 
Une politique d'encouragement des natalités visiblement efficace, donc, mais qui ne se suffit pas à elle-même.

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