Mort de Mikhaïl Gorbatchev : l'incroyable histoire de la pub pour Pizza Hut, avec l'ancien dirigeant soviétique en vedette
Ce n'est pas tous les jours qu'on voit un chef d'Etat et prix Nobel de la paix vanter les mérites d'une quatre fromages.
On peut avoir caressé du doigt le bouton nucléaire et, moins de dix ans plus tard, jouer à l'homme-sandwich pour des pizzas, américaines de surcroît. Si les hommages rendus à Mikhaïl Gorbatchev, mort mardi 30 août à l'âge de 91 ans, reviennent d'abord sur sa politique de détente, menée quand il dirigeait l'URSS, il s'est aussi fait remarquer dans les années 1990 pour un autre rôle : celui de guest-star dans une pub Pizza Hut.
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Le spot de 60 secondes le met en scène dans un restaurant moscovite de l'enseigne américaine, situé sur la place Rouge. Attablé avec sa petite fille, l'ancien dirigeant soviétique est reconnu par les clients d'une tablée voisine, qui s'invectivent en russe :
- "A cause de lui, nous avons droit à la confusion économique et à l'instabilité politique", grommelle un homme entre deux âges, qui lance les hostilités parmi les clients.
- "Grâce à lui, nous avons les opportunités et la liberté !", lui rétorque un jeune homme.
- "Grâce à lui, nous avons beaucoup de choses... Comme Pizza Hut", conclut une dame âgée.
Imparable. Le spot se conclut avec les clients qui lèvent leur pizza dégoulinante de fromage en scandant : "Chapeau Gorbatchev !", tandis que l'ancien leader soviétique sert, lui aussi, une part de pizza à sa petite-fille.
Mais comment l'homme qui a signé la chute de l'URSS en est-il venu à jouer son propre rôle dans une pub pour une marque américaine ? Le caméo était loin d'être écrit. Quand IMG, l'agence publicitaire de Pizza Hut, se creuse la tête pour relancer la marque, dont la dernière pizza ne déchaîne pas l'enthousiasme, elle décide de renouveler les visages de la firme. En cette année 1997, deux noms émergent : Mikhaïl Gorbatchev ou Mohamed Ali, l'ex-boxeur paria devenu une figure consensuelle.
Ne pas manger de pizza face caméra
"Gorby" constitue le premier choix, mais IMG s'embarque dans des mois de négociations pour convaincre le prix Nobel de la paix 1990, raconte le magazine Foreign Policy. L'ancien dirigeant russe, devenu impopulaire dans son pays, joue la montre pour faire monter les enchères, mais aussi car son entourage, particulièrement sa femme Raïssa, craint que ce spot n'abîme durablement sa réputation internationale. C'est contre un chèque au montant toujours secret, estimé, selon les sources citées par la presse américaine, entre 160 000 et un million de dollars (largement plus que ce que Pamela Anderson, dernière égérie de la marque à l'époque, a obtenu) que Gorbatchev cède aux avances du grand capital.
A certaines conditions : avoir le contrôle sur le script et ne pas manger de pizza face caméra. Au grand dam de Scott Helbing, tête pensante de la publicité chez Pizza Hut à l'époque, interrogé par Foreign Policy : "Nous voulions toujours que le héros du spot en mange une part." "En tant qu'ancien chef d'Etat, je ne le ferai pas", lui a rétorqué Gorbatchev. Fin de la discussion.
Une pub hollywoodienne sur la place Rouge
Quitte à débaucher une star mondiale, autant jouer la superproduction jusqu'au bout. La place Rouge est fermée une journée entière pour la réalisation des plans larges, ainsi que la scène où Gorbatchev, coiffé d'une casquette qui couvre sa célèbre tache de naissance, traverse l'esplanade sous un parapluie, accompagné de sa petite-fille.
S'il lui a fallu des mois pour accepter l'offre du géant de la pizza industrielle, "Gorby" continue de traîner les pieds jusqu'au jour du tournage. "C'était une véritable torture... Tomber à un tel niveau !", confie-t-il des années plus tard au magazine russe Snob. Signe de sa mauvaise volonté, il prend soin d'arriver en retard pour les premières prises, narre Foreign Policy. Le réalisateur Ted Shaine lui glisse : "Regardez, vous êtes dans une grosse production !" Réplique d'un "Gorby" plus inspiré : "J'ai été impliqué dans bien trop de grosses productions sur cette place..."
Besoin d'argent pour sa fondation
Aux Etats-Unis, la publicité est diffusée le 1er janvier 1998 à la mi-temps du Rose Bowl, une très grosse compétition universitaire de football américain. Elle entre aussitôt dans la légende des clips les plus gênants de l'histoire de la pub. Par la suite, le dirigeant soviétique a eu beau se justifier à de nombreuses reprises sur le bien-fondé de cette séquence, on le sent sortir les rames. Dans le communiqué de presse accompagnant la diffusion de la publicité notamment, Gorbatchev évoque un projet personnel : "Je suis en train de créer une bibliothèque sur la perestroïka [sa politique de libéralisation de l'économie soviétique, initiée en 1985]."
Il tente une autre justification auprès du New York Times en 1997 : "[La pizza], c'est une part importante de la vie. Ce n'est pas que de la consommation, c'est socialiser, rassembler les gens." Dans la même interview, il reconnaît qu'il aurait considéré cette proposition "irrecevable" quelques années plus tôt. Mais son successeur à la tête de la Russie, Boris Eltsine, vient de le mettre à la porte de l'immeuble qu'il avait alloué à la fondation Gorbatchev et ce ne sont pas les cachets des conférences qui vont suffire à bâtir le bâtiment de ses rêves. Au Guardian, en 1998, Gorbatchev avoue : "J'avais besoin d'argent... Et la crise économique m'a pratiquement mis sur la paille." Même discours auprès de France 24, en 2007 : "J'ai fait deux pubs en dix ans, il n'y a vraiment pas de quoi fouetter un chat. J'avais besoin d'argent, j'avais contracté un emprunt pour construire le bâtiment de ma fondation. Les ouvriers commençaient à partir."
Un spot jamais diffusé en Russie
Ironie de l'histoire, le spot n'a même pas été diffusé en Russie, à cause de l'impopularité de l'ancien dirigeant, qui sortait d'une gamelle à 0,5% des voix à la présidentielle de 1996. La tentative de la Pizza Hut pour s'implanter en Russie – notamment avec une pizza adaptée aux goûts russes avec maquereau, sardine et saumon – fera long feu. En 1998, la chaîne se retire de Russie à cause de la crise économique, qui réduira également à néant le bas de laine de Gorbatchev.
Il assure en 2010 au magazine russe Snob que ce spot lui a valu un abondant courrier de soutien. "Boris Eltsine s'attendait à ce que je me discrédite avec cette pub. Et des lettres sont arrivées de partout : 'Bravo Gorbatchev !' La réaction des gens a été très positive. Tout le monde a vu que je n'avais pas volé cet argent." C'est sa version de l'histoire. Dans un micro-trottoir de CNN au moment de la sortie du spot, un Moscovite brocardait son ancien dirigeant en des termes peu amènes : "Et après, il va faire une pub pour Tampax aussi ?"
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