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L’immigration, une des principales causes du Brexit: fantasmes et réalités

L’immigration a été au cœur de la campagne du Brexit. De fait, les chiffres montrent que ces dernières années, on a constaté une augmentation du nombre de migrants au Royaume-Uni. Les partisans du «leave» ne se sont pas privés d’exploiter ce thème à fond. Quitte à commettre des dérapages xénophobes.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
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«C’est le côté émotionnel qui l’a emporté» lors du référendum, observe un professeur à la London School of Economics (LSE), Iain Begg, cité par l’AFP. Un côté émotionnel qu’a très bien su mettre en scène Nigel Farage député européen et leader du parti europhobe Ukip. Il n’y a qu’à le voir poser devant une affiche désignant un flot de migrants. Avec comme slogan : «Le point de rupture : l’UE n’a pas tenu ses engagements vis-à-vis de nous. Nous devons nous libérer de l’Europe et reprendre contrôle de nos frontières». Sous-entendu vis-à-vis des hordes de migrants-envahisseurs…

Le leader politique a été accusé d’«inciter à la haine raciale». Pour le chancelier de l’Echiquier (ministre des Finances), George Osborne, ce type d’affiche, «écœurante et vile», rappelle la propagande fasciste des années 30. «Effectivement, la campagne pro-Brexit a largement flirté avec la xénophobie, et plus particulièrement l’islamophobie», constate un Français installé à Londres.

Dans le cas d’espèce, cette affiche joue à fond sur l’émotionnel, quitte à tordre le cou à la réalité : elle montre une longue file d’immigrants et/ou de réfugiés venus du Moyen-Orient. Le problème, c’est que les chiffres font état d’une réalité quelque peu différente : selon CNN, 50,5% des migrants arrivant en Grande-Bretagne sont extérieurs à l’UE et sont originaires des Etats-Unis, du Canada, d’Inde, du Pakistan, d’Australie... Le reste, 49,5% viennent effectivement de pays membres de l’Union européenne.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les europhobes ont d’ailleurs insisté sur la nécessité d’arrêter l’immigration en provenance de l’UE.

Et les chiffres dans tout ça ?
Au-delà de prévisions toujours un peu hasardeuses, qu’en est-il des chiffres de l’immigration? Selon les statistiques officielles, le nombre d'étrangers arrivant en Grande-Bretagne a nettement augmenté sur la période 1970-2014. 


En 2015, selon l’Office for National Statistics (ONS), l’Insee de sa Majesté, 333.000 travailleurs étrangers sont arrivés en Grande-Bretagne, trois fois plus qu'en France. «Sur les 63 millions d'habitants du pays, on compte cinq millions d’étrangers venus du monde entier et trois millions venus de l'Union européenne. Parmi eux, beaucoup de Polonais», observe le correspondant de France 2 à Londres, Loïc de la Mornais. On parle ainsi de 600.000 Polonais ayant franchi la Manche. D’une manière générale, «la grande majorité» des citoyens de l’UE en Grande-Bretagne vient des pays de l’ancien bloc communiste : Pologne, mais aussi Etats baltes, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie... On trouve aussi beaucoup de Français : le chiffre de 300.000 de nos compatriotes installés en Grande-Bretagne est fréquemment cité.


Parmi les 333.000 migrants évoqués ci-dessus, «308.000 sont venus pour travailler, une augmentation de 30.000 par rapport à l’année précédente» (2014), commente l’ONS. «La croissance relative de l’économie britannique et son rôle continu d’‘‘usine à emplois de l’Europe’’ continuent à attirer un nombre croissant de migrants», constate le Guardian.  

Coûts et bénéfices
Ces étrangers coûtent-ils plus cher à Albion qu’ils ne rapportent ? «Généralement, les migrants européens qui viennent ici ont déjà été formés dans leurs pays d'origine. Et la plupart du temps, ils ne sont pas très vieux, donc ils ne passent pas beaucoup de temps dans notre système de santé. Ils sont donc bons pour notre économie et pas chers pour nos finances publiques», estime Hugo Dixon, directeur de l'institut In Facts, cité dans un sujet de Loïc de la Mornais.

Là encore, la preuve se trouve dans les statistiques. Elles montrent ainsi que les Européens sont ceux qui travaillent le plus : 78% d’entre eux ont un emploi, contre 74% des Britanniques. Et ils ne touchent que 2,2% des allocations chômage contre 7,7% des personnes venues du reste du monde. «Il est prouvé que l’impact économique de l’immigration venue de l’UE (comme la pression sur le marché du travail, les finances publiques ou les services publics britanniques) est relativement faible», commente l’universitaire d’Oxford Madeleine Sumption, cité par le Guardian.

D’une manière générale, les immigrants contribuent à la richesse britannique. Ils «jouent un rôle essentiel pour améliorer les performances économiques du Royaume-Uni et ont un rôle vital dans le service de santé, le BTP, les services et le secteur technologique», explique Chai Patel, du Joint Council for the Welfare of Immigrants (Conseil conjoint pour le bien-être des migrants), cité lui aussi par le Guardian.

Vécu et ressenti
Le problème, c’est que face à la réalité, les pouvoirs publics peuvent se prendre les pieds dans le tapis des prévisions. Le chiffre de 333.000 étrangers effectivement venus en 2015, fourni par l’ONS, est 3,3 fois plus élevé que l’objectif gouvernemental de réduire leur nombre à moins de 100.000.

Par ailleurs, l’Office for National Statistics a revu les chiffres pour la période 2011-2015 : 2,4 millions de personnes ont immigré outre-Manche, alors que le gouvernement pariait sur 900.000. En fait, le chiffre du gouvernement ne comprenait pas les étrangers qui restent moins d’un an. Le débat sur de telles données est complexe. Mais ces données ont été exploitées par les pro-Brexit : le fossé entre les deux chiffres de 2,4 millions et de 900.000 «est aussi large que le grand Canyon», écrit ainsi ironiquement le Daily Telegraph qui a fait campagne pour le «Out», comme nombre de ses confrères.  

Et comme le dit fort justement l’universitaire Madeleine Sumptioncité par le Guardian, «l’immigration affecte le Royaume-Uni de différentes manières et ses conséquences ne peuvent être réduites à une simple statistique». En clair, il faut également tenir compte du vécu et du ressenti des électeurs. 

«C'est une bonne chose d'être préoccupé par l'immigration. Beaucoup de gens le sont. Cela ne veut pas dire qu'ils soient racistes ou xénophobes. Ils sont simplement préoccupés par les pressions sur les cabinets médicaux ou sur les écoles, par les changements touchant les centres-villes tels qu'ils les ont connus jusqu'ici. Ou alors ils craignent de ne pas être capables de concurrencer les travailleurs immigrés quand il s'agit de trouver un emploi», expliquait la député travailliste proeuropéenne Joe Cox, assassinée le 16 juin 2016, dans sa dernière tribune publiée par le Yorkshire Post cinq jours avant le drame.

Elle poursuivait: «La plupart des gens reconnaissent aussi des aspects positifs de l'immigration, quand elle fournit les travailleurs qualifiés dont nous avons besoins pour notre économie ou les remarquables médecins et infirmières venus de l'étranger pour nous aider à faire fonctionner nos services de santé»

«Le discours anti-immigrés des ‘‘Brexiters’’ (s'est avéré; NDLR) d’autant plus payant et parlant en Angleterre que l’immigration la plus récente et la plus massive vient des pays de l’est de l’Europe admis voilà onze ans dans l’UE. Dans certains quartiers de banlieues lointaines de Londres ou Manchester, les panneaux des boutiques et même de certains services sont exprimés en polonais ! Même dans un pays beaucoup plus habitué au communautarisme que la France, les transformations dans le paysage passent mal», rapporte un article publié à la fois dans Le Progrès, l’Est Républicain et le Dauphiné Libéré


Au bout du compte, les résultats «montrent un gouffre entre les classes urbaines libérales et les classes ouvrières sur la question de l'immigration, entre ceux qui se sortent bien de la mondialisation et les laissés-pour-compte qui n'en voient pas les bénéfices, ni en terme d'emploi, ni en terme de salaires», commente le quotidien en ligne The Independent cité par l’AFP.

Dans le même temps, les électeurs «ont l’impression qu’ils ont été dépassés par le changement trop rapide (de la société britannique). Combiné à l'euroscepticisme latent et au fait que les politiques ont voulu user des peurs sur les migrants, cela a donné un cocktail puissant pour le changement», analyse de son côté Brian Klass, de la London School of Economics. Reste à savoir désormais quelles mesures seront désormais prises par les autorités britanniques pour concrétiser le changement. Et lutter contre l’immigration.

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