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A Homs, la situation humanitaire est "un vrai désastre"

Les ONG redoutent une catastrophe dans cette ville syrienne assiégée par les troupes du président Bachar Al-Assad. Ce matin, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a demandé des couloirs humanitaires pour atteindre les populations victimes de "massacres".

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une photo prise le 11 février 2012 dans le quartier de Baba Amr à Homs (Syrie), cible de bombardements de l'armée. (AFP)

"Il y a beaucoup de snipers, personne ne peut quitter sa maison. (...) Ils cherchent à tuer n'importe qui essayant de bouger de sa maison." Sami Ibrahim, membre de l'ONG syrienne Syrian Network for Human Rights (SNHR) qui dit être sur place, témoigne pour FTVi de la situation à Homs. Mercredi 15 février, ce bastion de la contestation au régime de Bachar Al-Assad est bombardé pour la treizième journée consécutive par l'armée syrienne. Un oléoduc a explosé et la fumée envahit les rues de la ville.

Plus tôt dans la matinée, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a remis la question des couloirs humanitaires sur le tapis au micro de France Info"Il faut protéger les populations et la dimension humanitaire est très importante", a-t-il plaidé. L'idée de "corridors humanitaires permettant aux ONG d'atteindre les zones qui font l'objet de massacres absolument scandaleux devrait être reprise au Conseil de sécurité." Mais pour l'instant, l'instance onusienne est paralysée par le veto chinois et russe. 

Syrie: Juppé propose à nouveau des corridors humanitaires (Francetv info)

En novembre déjà, Alain Juppé avait fait part de son intention de saisir l'Union européenne, l'ONU et la Ligue arabe de cette idée de "couloirs humanitaires", mais rien ne peut se faire sans l'aval du Conseil de sécurité. Depuis le début des troubles en mars 2011, 6 000 personnes auraient perdu la vie sous les coups d'un régime devenu fou, semble-t-il, mais qui continue de promettre un référendum sur une nouvelle Constitution.

Snipers

A l'autre bout du fil, le militant syrien reprend son compte-rendu. "Aujourd'hui, il y a deux personnes qui se sont fait tirer dessus par des snipers" et le corps d'un troisième homme a été restitué par les hommes du régime. "Il y a des marques de tortures sur son corps. (...) Personne ne peut imaginer les tortures que cet homme a endurées de la part du régime d’Al-Assad."

Sami Ibrahim s'emporte. Son ONG ne peut accéder aux zones bombardées "pour mettre en place des corridors sûrs et laisser les enfants et les femmes quitter la zone. On ne peut pas bouger ! Le régime d'Al-Assad empêche tout média ou organisation d'aller là, d’aider les gens, d'apporter de la nourriture, personne ne peut gagner cette zone."

"Les infirmières font le travail des docteurs, elles opèrent"

"Cette situation est un vrai désastre", déplore-t-il. Et de redouter une catastrophe humanitaire : "Nous avons peur pour les gens qui sont blessés car ils ne peuvent pas être transférés. On ne laisse pas les médecins faire leur travail. Ce n’est pas acceptable. Nous n’avons pas assez de docteurs. Nous n’en avons que deux dans le quartier de Baba Amr [quartier rebelle de Homs] et les infirmières font maintenant leur travail, elles opèrent, font ce genre de choses."

Des ONG étrangères sont-elles sur place ? Non, les médecins "sont des Syriens, personne n’est entré, il n’y a que des Syriens. Personne ne vient de l’extérieur." Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a affirmé dimanche qu'un "convoi chargé de secours [était] entré dans la ville" la veille, mais Sami Ibrahim est formel : "Rien n'entre à Baba Amr, ne parvient jusque-là."

Dans son communiqué, la responsable du CICR ayant mené la mission à Homs partageait sa préoccupation sur "les conséquences que ces troubles ont sur le plan humanitaire et par la dégradation actuelle de la situation". Selon elle, "la population, en particulier les blessés et les malades, sont les principales victimes de la violence". Pire, dit Sami Ibrahim, l'armée n'hésite pas à cibler les médecins.

Personnel médical et blessés en ligne de mire

Une stratégie qui n'est pas l'exclusivité de Homs. Le 8 février, Médecins sans frontières (MSF) a ainsi dénoncé "une répression sans merci contre les personnes blessées lors des manifestations et contre le personnel médical qui tente de leur porter secours". L'ONG, qui s'était faite discrète jusqu'alors (elle souhaitait obtenir des autorisations pour intervenir, en vain), a publié une série de témoignages insoutenables recueillis auprès de réfugiés de toute la Syrie dans des pays voisins.

Un médecin affirme dans ces documents (dont plusieurs sont filmés) qu'un "grand nombre" d'entre eux "risquent leur vie pour respecter le serment d'Hippocrate qu'ils ont prêté" et que "la possibilité d'être arrêté est grande".


S'aventurer dans un hôpital où rôdent les forces de sécurité peut coûter la vie. "L’insécurité est trop importante dans les structures de santé publiques comme privées. Les blessés y sont achevés, battus ou arrêtés", rapporte un patient questionné par MSF.


 

La médecine peut aussi servir à persécuter. Un autre patient, blessé à la main, raconte : "Ma famille a décidé de m'envoyer [à Damas], considérant que la situation dans la capitale était calme. J’ai été opéré dans l'hôpital sous un nom différent, parce que je suis recherché par l'appareil de sécurité. Normalement, dans les pires circonstances, ils auraient retiré un doigt ou tout simplement fait un bandage, mais ils m'ont amputé à partir du poignet. Une blessure par balle ne nécessite pas une amputation. A l’hôpital de Damas, ils avaient tout ce qu'il fallait et ils auraient pu traiter ma main. Mais le plus étrange est qu’ils l’ont amputée. C'est ce qui me surprend le plus et qui me dérange. J'ai décidé de quitter l'hôpital au bout d’une journée."

Un ciblage des civils qui rappelle la Bosnie

Les ONG internationales peinant à intervenir, des structures parallèles rudimentaires se montent dans des lieux gardés secrets et déménagent régulièrement de peur d'être repérées.

De retour de plus de deux semaines passées à Homs, l'écrivain et ancien journaliste Jonathan Littell explique à France Inter "Un tel ciblage de civils, aussi spécifiquement, je n'ai pas souvenir d'avoir vu ça depuis la Bosnie, ça fait quand même presque dix-sept ans. (...) Cette politique du meurtre de civils à petit feu, c'est quand même quelque chose d'exceptionnel."

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