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Les lauréats du prix Bayeux montrent la guerre mais refusent de s’y habituer

Le prix Bayeux-Calvados, qui rend hommage au travail des correspondants de guerre, a distingué les journalistes de l'hebdomadaire allemand Die Zeit pour le texte, de l'agence Reuters pour la photo, de la BBC dans la catégorie radio, de France 2 et de Vice en télévision.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le photographe Yannis Behrakis distingué pour son reportage sur les réfugiés en Grèce. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

La ville de Bayeux, première ville libérée en 1944 par les troupes alliées, a gardé en mémoire le travail de ces reporters arrivés sur les plages de Normandie. C’est sans doute pourquoi Bayeux récompense chaque année les reporters de guerre de tous les medias: presse écrite, télé, radio, et aujourd’hui webdocumentaire. Un reportage sur l'arrivée de réfugiés en Grèce par la mer, intitulé Les persécutés, s'est particulièrement distingué lors de cette 23e édition, en recevant à la fois le premier prix Photo du jury professionnel présidé par Jean-Claude Guillebaud et celui du public.

«La guerre est venue à moi»
«D'habitude je couvre des guerres et quand je rentre chez moi j'ai l'impression de rentrer au paradis. Là, la guerre est venue à moi. Mais j'ai aussi vu aussi beaucoup d'humanité. Des gens du monde entier sont venus aider», remarque son auteur, le journaliste grec de Reuters Yannis Behrakis, qui a fait don de son prix public (3.000 euros) à Médecins sans frontières. Le photographe né en 1960 qui peinait à retenir ses larmes a été ovationné par les 1.500 personnes qui assistaient à la soirée de remise des prix à Bayeux et se sont levées pour l'applaudir.

Réfugiés afghans à Lesbos (Grèce) (Yannis Behrakis/Reuters)

Alep sous les bombes, l’errance des réfugiés en Europe, l’enfer de Daech, la guerre au Yémen ou encore en Ukraine, les photographes et reporters de guerre témoignent sans relâche, malgré les obstacles, des conflits du monde. Ils étaient à l’honneur cette semaine pour la remise du prix Bayeux des correspondants de guerre.  

Montrer les conflits sans exhibitionnisme
Les djihadistes de Daech se moquent du métier de journaliste. Ils n’en ont pas besoin, ils font leur propre communication. Le film Jim: l’histoire de James Foley, réalisé par son ami d’enfance Brian Oakes et présenté à Bayeux, montre à travers des interviews intimistes le parcours de ce journaliste exécuté par Daech. «Les journalistes sont devenus des cibles délibérées, des cibles de guerre et de propagande», témoigne dans ce film le grand reporter et otage de Daech Didier François.

En télévision, le prix format court est revenu à Arnaud Comte et Stéphane Guillemot de France 2 pour Mossoul: fuir à tout prix, tourné aux côtés de combattants kurdes, que rejoignent les civils irakiens fuyant le joug de l'organisation Etat islamique alors que l'étau se resserre sur la capitale autoproclamée de l'EI. «On n'a pas pu montrer certaines images, insoutenables», souligne Arnaud Comte. En TV grand format, Ayman Oghanna et Warzer Jaff de Vice l'emportent pour un reportage en Irak: La route de Falloujah.

Arnaud Comte et Stéphane  Guillemot de France 2  distingués pour «Mossoul : fuir à tout prix» (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

«Cela paraît lointain mais cela nous concerne tous»
Les guerres quelque peu oubliées du Congo et du Soudan du Sud étaient présentes dans plusieurs reportages. Un millier de personnes a assisté aux projections et débats sur ces conflits pourtant peu médiatisés. «J’ai compris lors de cette soirée que le chaos dans le sud de la République démocratique du Congo était organisé par les pays voisins, pour mieux piller les minerais du pays», explique un lycéen à la fin des débats. «C’est de cette région du Kivu que vient le Coltan, nécessaire aux puces de nos téléphones portables.»

On a pu également mesurer cette semaine à Bayeux l’immense détermination nécessaire pour enquêter dans ces nombreux pays où les journalistes ne sont pas les bienvenus. Le cameraman et documentariste Xavier Muntz a mis huit mois pour obtenir l’autorisation de travailler dans le nord du Nigeria pour son film sur les origines du groupe islamiste Boko Haram. C’est l'Allemand Wolfgang Bauer, reporter indépendant né en 1970, qui a été récompensé pour un reportage au Nigeria auprès de femmes qui ont  été victimes de Boko Haram. L'article paru dans Die Zeit  s'intitule I've become someone else. Someone I no longer recognize (Je suis devenue quelqu'un d'autre. Quelqu'un que je ne reconnais plus).

 Wolfgang Bauer, récompensé pour un reportage au Nigeria  (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Métier à risque  
Pour la photoreporter Nicole Tung, «il est plus nécessaire que jamais de témoigner» mais aussi de «mieux protéger ses nombreux journalistes free lance, qui n’ont pas toujours les moyens de se payer un bon fixeur, une assurance et un gilet pare balle, et peu soutenus par certains patrons de presse». Le métier de correspondant de guerre n’est pas sans risques. Sur les stèles qui composent le mémorial des reporters de la ville de Bayeux, sont inscrits les noms des journalistes tués sur le champ de l’information: 67 en 2015, 787 depuis 2005.

Une stèle pour mémoire. La silhouette d’un reporter-photographe sculpté dans le métal, inaugurée cette année, symbolise l’absence de ceux dont les corps n’ont jamais été retrouvés, et «dont l’espoir subsiste qu’ils puissent revenir un jour». Les lauréats du prix Bayeux montrent la guerre mais refusent de s’y habituer. Ils nous disent que l’on est plus libre lorsque l’on est informé.

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