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Italie : cinq choses à savoir sur la 'Ndrangheta, la mafia calabraise dont le procès historique vient de s'ouvrir

Un procès historique, qui doit durer au moins deux ans, s'est ouvert mercredi en Italie, plus précisément en Calabre, au sein d'un vaste centre d'appels aménagé en tribunal et placé sous haute protection.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le procès de la mafia calabraise la 'Ndrangheta s'est ouvert le 13 janvier 2021, dans la zone industrielle de Lamezia Terme, dans le sud de l'Italie. (SALVATORE MONTEVERDE / ANSA)

Les chiffres donnent le tournis. Plus de 350 accusés, 900 témoins et 400 avocats seront entendus pendant deux ans – le plus souvent en visioconférence à cause de la pandémie de Covid-19 –, lors du procès gigantesque qui s'est ouvert mercredi 13 janvier. Il se tiendra pendant au moins deux ans dans la ville de Lamezia Terme, une ville de Calabre où un centre d'appels a été spécialement aménagé en tribunal. Selon les experts, la 'Ndrangheta calabraise est considérée comme la mafia italienne la plus puissante après qu'elle a supplanté la Cosa Nostra sicilienne et la Camorra napolitaine. Franceinfo fait le point sur les cinq choses à savoir sur la 'Ndrangheta.

1 C'est une mafia "archaïque"

La 'Ndrangheta "s'occupe du trafic international de drogue et des activités typiques des organisations criminelles, les règlements de comptes, l'extorsion, le trafic illégal de déchets, le blanchiment d'argent", énumère le magistrat Roberto Di Bella à l'AFP. Personne ne sait exactement quels sont les effectifs de l'organisation, mais selon la justice italienne elle compte au moins 20 000 membres dans le monde. En France, elle est principalement enracinée dans le sud-est du pays, précise le procureur Nicola Gratteri dans une interview donnée au Monde

Elle prospère aussi dans le BTP, fait main basse sur les fonds européens et même les contrats de pompes funèbres en pleine pandémie. "Elle pratiquait l'enlèvement contre rançon, à la traîne derrière la Cosa Nostra sicilienne, qui était plus tournée vers des business modernes comme celui de la drogue", complète sur franceinfo Clotilde Champeyrache, maître de conférences en économie à l'Université Paris 8 et enseignante en criminologie au Centre national d'Arts et Métiers.

Ce qui la différencie des autres mafias est sa structure familiale, "qui la rend très fiable car il y a peu de repentis", poursuit Roberto Di Bella. "La 'Ndrangheta, c'est celle qui s'appuie le plus sur les liens biologiques et donc dans laquelle trahir c'est aussi rompre avec sa famille, complète la spécialiste. C'est aussi une mafia qu'on a peu étudiée parce qu'on la considérait comme archaïque."

2 C'est l'organisation mafieuse "la plus riche"

Le procureur italien Nicola Gratteri, qui siège à Catanzaro, l'un des fiefs de la 'Ndrangheta en Calabre, l'une des régions les plus pauvres d'Italie, estime son chiffre d'affaires annuel à 50 milliards d'euros, en grande partie tiré du trafic de cocaïne, dont l'argent est "recyclé selon un système de fausses factures – en trichant sur la caisse enregistreuse", précise, toujours dans Le Monde, le magistrat, placé sous protection policière depuis trente ans. Selon le magistrat Roberto Di Bella, la 'Ndrangheta est l'organisation criminelle "avec le plus de ramifications et présente sur les cinq continents"

C'est également la mafia "qu'on connaît le moins bien", mais aussi "la plus dangereuse, sans doute la plus riche et celle qui est la plus capable de s'étendre à l'étranger", précise Clotilde Champeyrache.

"L'énorme flux d'argent qui arrive de la drogue permet à la 'Ndrangheta de tout acheter, les commerces, les restaurants, d'empoisonner l'économie non seulement de l'Italie mais de tant d'autres pays du monde", ajoute Roberto Di Bella à l'AFP. Financièrement, elle serait plus importante que la banque d'Allemagne et l'entreprise McDonald's réunies, selon le Guardian.

3Elle est médiatisée à partir des années 1980

La 'Ndrangheta s'est fait connaître dans les années 1980 et 1990 par une série d'enlèvements. Elle est soupçonnée notamment du rapt, dans les années 70 à Rome, du petit-fils du magnat américain du pétrole Jean Paul Getty. Elle n'est considérée comme une mafia dans la loi italienne que depuis 2010, mais ses origines remontent au moins à l'unification de l'Italie, en 1861.

Elle pourrait même être antérieure au XIXe siècle. Durant son enquête, la police a trouvé un "pizzino", un bout de papier utilisé par l'organisation pour des communications de haute importance, contenant une citation de trois chevaliers du XVIIe siècle, qui, selon la légende, ont fondé la Cosa Nostra, la Camorra et la 'Ndrangheta, révèle le Guardian.

Selon la criminologue Anna Sergi, de l'Université britannique d'Essex, le nom serait d'origine grecque, le mot "andranghateia" se référant à "un groupe d'hommes d'honneur" et le mot "andrangatho" signifiant "exécuter une action militaire".

4En 2007, des massacres en Allemagne la projettent sur le devant de la scène

Un épisode sanglant en Allemagne a projeté la 'Ndrangheta sur le devant de la scène médiatique. En août 2007, les corps de six Italiens, âgés de 16 à 39 ans et membres d'un des deux clans mafieux de la localité calabraise de San Luca, sont découverts criblés de balles dans deux véhicules devant le restaurant italien Da Bruno, à Duisbourg. "Certains corps sont si méconnaissables que l'autopsie durera plusieurs jours. Tous ont été visés à la tête", rapportait le Monde au moment des faits.

Ce massacre était, selon les enquêteurs, une "vendetta" après l'assassinat, fin 2006, de Maria Strangio, épouse de Giovanni Nirta, chef du clan rival. Mais sur le vieux continent, "cela fait bien trente ans qu'elle a infiltré la Suisse et l'Allemagne. Le massacre de Duisbourg en 2007 étant la pointe émergée de l'iceberg", analyse Nicola Gratteri dans le Monde.

5Elle est au cœur d'un procès hors norme

Outre les chiffres impressionnants de l'affaire –  le nombre d'accusés, de témoins –, ce sont les moyens mis en place et la dimension historique du procès qui lui confèrent un aspect hors norme. Ce "maxi-procès" est "un jalon dans l'édification d'un mur contre les mafias en Italie", estime Nicola Gratteri. Ce procès est avant tout celui "de tous les honnêtes chefs d'entreprise et citoyens qui endurent, depuis des années, les attaques et harcèlements quotidiens de la part des patrons de l'organisation", poursuit-il dans le Guardian.

La plupart des accusés ont été arrêtés lors de raids de la police en décembre 2019 en Italie, en Allemagne, en Suisse et en Bulgarie. L'éventail des crimes et délits qui leur sont reprochés est large : association mafieuse, meurtre et tentative de meurtre, trafic de drogue, usure, abus de pouvoir, recel et blanchiment d'argent.

Un centre d'appels situé à Lamezia Terme, en Calabre, a été spécialement aménagé pour ces audiences. Le bunker mesure plus de 3 000 mètres carrés et il est placé sous très haute protectionPar ses proportions, ce procès n'est dépassé que par le premier maxi-procès qui s'est déroulé de 1986 à 1987 à Palerme contre la Cosa Nostra sicilienne, à l'issue duquel 338 accusés furent condamnés. Les juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino furent ensuite assassinés par la mafia.

"Ceci étant, attention, plus de 300 accusés, ça paraît énorme mais au regard de ce qu'est la mafia calabraise et de ses milliers d'affiliés, c'est relativement peu", nuance Clotilde Champeyrache. "Là, ce qui est ciblé, c'est une partie de la 'Ndrangheta. Même si les accusés ressortent tous avec des peines lourdes, on n'aura pas abattu la mafia calabraise."

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