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Il y a 25 ans, l'assassinat du juge Falcone : "Ces images sont impossibles à effacer, elles sont une blessure trop profonde pour notre génération"

Le 23 mai 1992 a marqué à jamais les habitants de Sicile, en Italie. Le juge Giovanni Falcone est assassiné. La mort de cet homme, qui avait sacrifié sa vie pour lutter contre la mafia, agira comme un détonateur.

Article rédigé par Mathilde Imberty
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
  (LUCIANO DEL CASTILLO/FARABOLA / MAXPPP)

C’était il y a 25 ans. Le 23 mai 1992, le juge Giovanni Falcone était tué dans l'explosion de sa voiture en Sicile. L'assassinat de ce magistrat symbole de la lutte anti-mafia agira comme un détonateur. Toute une société se réveille alors pour dire "non" à Cosa Nostra. À Palerme, ce funeste jour est encore dans toutes les mémoires.

25 ans après la mort du juge Falcone, où en est la lutte anti-mafia en Sicile ? Le reportage de Mathilde Imberty

"J'ai entendu l'explosion. Il était 17h58."

Chaque Palermitain se souvient où il se trouvait ce 23 mai 1992 lorsqu'un détonateur est actionné depuis la colline qui surplombe l’autoroute à la sortie de l’aéroport de Palerme. La voiture de Giovanni Falcone est pulvérisée par une demi-tonne d’explosifs. Le photographe Antonio Vassallo est l’un des premiers à arriver sur place. "J’ai entendu l’explosion. Il était 17h58. J’ai sauté sur mon scooter. La scène que j’avais sous les yeux était digne des films de guerre américains. Les oliviers aux racines centenaires avaient été arrachés du sol. Un bout d’autoroute avait disparu, remplacé par un cratère. Et au sommet de ce cratère : la voiture blanche de Falcone. 

Le soir même nous nous sommes rendus sur cette colline avec quelques amis. Pour peindre un gigantesque message "Non à la mafia". 

Antonio Vassallo, photographe sicilien

à franceinfo

Les assassins de Falcone, membres de Cosa Nostra, ont été condamnés. Antonio, lui, intervient encore aujourd'hui auprès de lycéens lors de voyages scolaires en Sicile. Cette initiative pédagogique a été imaginée par Dario Riccobono, l'une des figures de l’anti-mafia, dont l'association Addio Pizzo fédère aujourd’hui un millier de commerçants palermitains qui refusent de se faire racketter par la mafia. "Nous essayons de la soigner d’abord par la mémoire, pour que leur sacrifice ne soit pas vain, et puis par le travail, raconte celui qui avait 13 ans à la mort de Falcone. Falcone disait : 'Chacun porte une part de responsabilité'. C’est la seule manière d’espérer pouvoir vaincre la mafia, si la bataille devient collective."

Ces images sont impossibles à effacer. Elles sont une blessure trop profonde pour notre génération.

Dario Riccobono, figure de l’anti-mafia

à franceinfo

À la suite du 23 mai 1992, plusieurs citoyens se sont organisés dans des coopératives qui gèrent les biens confisqués aux mafieux comme Guido Agnello. Aujourd'hui âgé d'une soixantaine d'années, il a été l'un des premiers entrepreneurs à s’être rebellé contre la mainmise de Cosa Nostra. Selon lui, le virage a été culturel : "Quand j’étais jeune, le qualificatif mafieux était un compliment. Une femme mafieuse était une belle femme. Un cheval mafieux avait de la fougue. Aujourd’hui, mafieux c’est une insulte. Et ça, c’est fondamental pour nous !"

Des magistrats anti-mafia sous haute-protection

Cet engagement contre la mafia est toujours d’actualité. Aujourd'hui, il est incarné par les héritiers de Giovanni Falcone : les magistrats des pools anti-mafia, des groupes spécialisés créés par le juge assassiné. Ces hommes vivent sous la protection permanente de plusieurs policiers. 

"Dans les jours qui ont suivi le 23 mai, nous avons exposé les cercueils de Falcone, de sa femme et de ses gardes du corps au palais de justice. Des milliers de gens sont venus leur rendre hommage, se souvient Roberto Scarpinato, l’un des premiers collaborateurs du pool anti-mafia de Palerme, devenu procureur auprès de la cour d'appel. Paolo Borsellino, qui était le bras droit de Falcone, s’est alors adressé à nous, les jeunes magistrats. Il nous a dit : 'Vous voyez ce qui nous attend. Nous allons mourir. Vous avez le choix de rester ou de partir.' Naturellement, nous sommes restés. Et arriva ce qui devait arriver : Borsellino fut tué le 19 juillet 1992 dans l’explosion d’une voiture piégée."

Paolo Borsellino (gauche) et Giovanni Falcone (droite) (ROPI / MAXPPP)

De cette saison du terrorisme mafieux, restent les outils que le juriste Falcone avait pensé et pour lesquels la mafia le haïssait, comme le délit d’association mafieuse ou encore le rôle central du repenti. "D’un point de vue technique, nous les enquêteurs, sommes tous les héritiers de Falcone et de Borsellino, poursuit Roberto Scarpinato. S’il n’y avait pas eu d'hommes comme eux, à cette heure la mafia aurait probablement remporté sa guerre contre l’État parce qu’elle avait atteint une telle puissance qu’elle disposait de complices au sommet de l’État italien."

"La mafia s'est mondialisée"

"Dans les années 80, les mafieux paradaient en Sicile et dans Palerme. Aujourd’hui, ils sont contraints de se cacher. Mais il faut dire aussi que le monde a changé : la mafia s’est mondialisée, ce que, en dehors de l’Italie, on a du mal à comprendre."

La mafia opère avec le capital, il n’y a plus Palerme d’un côté et Paris de l’autre. La mafia devient une puissance financière, les conséquences sont pour tous et non plus uniquement pour Palerme.

Roberto Scarpinato, procureur auprès de la cour d'appel de Palerme

à franceinfo

Aujourd'hui, ces héritiers de Falcone plaident pour davantage de coopération face aux nouvelles formes mafieuses qui font couler moins de sang mais qui corrompent plus.

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