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Mana Neyestani ou les tribulations d’un réfugié politique iranien en France

Le dessinateur iranien Mana Neyestani a publié un «Petit manuel du parfait réfugié politique» en France (Arte Editions). Lui-même réfugié politique depuis 2012, il dessine et parle d’expérience. Une expérience avec l’administration française qui rappelle à la fois les mondes d’Ubu et Kafka. Interview.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La couverture du «Petit manuel du parfait réfugié politique». Bienvenue dans les méandres de l'administration française ! (Mana Neyestani - Arte Editions)
Ce livre est-il le récit d’une expérience personnelle ?
Oui, en partie. Mais je raconte aussi ce qui est survenu à certains de mes amis. Ils m’ont ainsi fourni des informations supplémentaires.
 
Par quoi le demandeur d’asile est-il le plus marqué au cours de ses démarches ?
La première étape est la plus marquante et la plus pénible. A savoir l’atmosphère qui règne à la Préfecture de police de la capitale, la manière dont on y traite les gens. Alors, évidemment, je ne veux pas généraliser. Certains employés se montrent gentils et amicaux. Mais d’autres peuvent se montrer incorrects et grossiers. Je pense que c’est dû au fait que l’on se trouve dans un endroit où il y a beaucoup de monde. Dans ce contexte, je peux comprendre que quelques-uns perdent patience face aux demandeurs d’asile. Pour autant, je n’ai pas entendu de propos racistes.
 
Dans les difficultés rencontrées, il y a aussi le fait que l’on doive toujours attendre. Cela en devient humiliant. Cela finit par vous déshumaniser. Vous n’êtes plus qu’un nombre dans une rangée. Si, par malheur, vous perdez ce nombre, vous n’êtes plus rien.

«Dans les difficultés rencontrées, il y a aussi le fait que l’on doive toujours attendre. (...) Vous n’êtes plus qu’un nombre dans une rangée»
 (Mana Neyestani - Arte Editions)

Le parcours du combattant, que vous décrivez avec humour, est-il typique de l’administration française ?
Je pense que cette administration se montre plus rude vis-à-vis des demandeurs d’asile que vis-à-vis d’autres personnes. Pour autant, je ne saurais pas dire comment cela se passe dans d’autres pays. Quand j’ai quitté l’Iran en 2007, j’ai notamment séjourné aux Emirats, en Turquie et en Malaisie. Mais j’y ai vécu comme étudiant et les démarches n’étaient pas les mêmes.

Dans ce parcours administratif, qu’est-ce qui est typiquement français ?
Quand il rencontre l’administration française, un demandeur d’asile est confronté à un premier gros problème : tout le monde s’attend à ce qu’il parle français. Pour ce dernier, ce n’est pas évident parce qu’il n’a pas forcément demandé à venir et ne connaît pas forcément la langue française. A la Préfecture de police, c’est d’autant plus compliqué que personne ne parle anglais.

Cela donne parfois des situations cocasses. Comme cet employé qui avait demandé devant moi à un demandeur d’asile de s’en aller dans la mesure où son dossier n’était pas complet. Mais le malheureux étranger était perdu car il ne parlait pas français. Il ne comprenait pas le mort «sortie» utilisé par son interlocuteur. Il ne savait donc pas où aller !

«Quand il rencontre l’administration française, un demandeur d’asile est confronté à un premier gros problème : tout le monde s’attend à ce qu’il parle français.» (Mana Neyestani - Arte Editions)

On est tenté de vous dire qu’en Iran, l’administration doit aussi être bureaucratique…
C’est tout à fait vrai. Et ce d’autant plus que le système administratif iranien est calqué sur son homologue français ! Pour moi, arriver en France, cela a été un peu comme si j’étais soudain, au Louvre, confronté à l’original de la Joconde. Alors qu’en Iran, je n’avais été confronté qu’à des copies du tableau de Léonard de Vinci !
 
Dans votre livre, vous évoquez deux traits qui vous semblent caractéristiques de l’administration française. La bureaucratie française, dites-vous page 90, «est une véritable culture, une vieille tradition et un horrible cauchemar»...
L’original ressemble à une situation à la Kafka. On ne sait pas à qui l’on a affaire. On ne sait pas contre qui protester en cas de problème. On ne sait pas quel comportement adopter. On ne sait pas par quelle formalité commencer. On cherche la boîte dans laquelle se mettre.
 
… Et page 115,  vous écrivez que «le principal critère» dans l'administration en France, «c’est d’avoir un réseau (...) qui a le pouvoir de faire passer votre dossier en haut de la pile»... Ce n’est pas le cas en Iran ?
Bien sûr que si. Mais en France, le fait qu’il soit important d’avoir un réseau m’a frappé. Moi, personnellement, je n’ai pas forcément été confronté à ce problème grâce aux contacts que j’ai eus à la mairie de Paris (qui l’a accueilli à son arrivée en France, NDLR). J’ai ainsi pu créer mon propre réseau, particulièrement utile quand il s’agir d’obtenir un document pour pouvoir voyager à l’étranger. Un document que je dois renouveler tous les ans. Et dont le renouvellement prend six mois…
 
D’une manière générale, quelle perception avez-vous de la France ?  Une chose que l’on observe : dans votre livre, vous n’êtes jamais méchant avec ce pays…
Je n’ai pas envie d’être méchant. Avec mes dessins, j’essaye, en faisant rire, de montrer quelque chose, de faire réfléchir sur les différentes perspectives d’une situation.
 
Pour revenir à votre question, j’aime, j’adore la France. J’y ai rencontré des gens extraordinaires, des endroits extraordinaires. Je n’ai pas d’expériences vraiment négatives à raconter.

Ma perception de la France, je l’avais avant de venir dans l’Hexagone grâce aux livres que j’avais lus et aux films que j’avais vus. J’appréciais donc déjà la baguette, la bonne cuisine et les bons vins. Mais j’étais aussi au courant des aspects difficiles de la vie ici comme, par exemple, le problème des banlieues. Et ce notamment grâce au film La haine, de Mathieu Kassovitz. Tout cela m’a permis de m’habituer assez facilement à la vie française.

«Pour moi, le grand paradoxe, c’est que je ne peux pas revenir dans mon pays d’origine mais je ne me sens pas pour autant français. Je ne me sens de nulle part.» (Mana Neyestani - Arte Editions)

A la fin de votre «Petit manuel», vous posez la question : «Où suis-je à ma place ?» Un réfugié politique perd-il son identité dans son pays d’accueil ?
Aujourd’hui, j’ai du mal à définir ma nationalité. Je m’en suis rendu compte quand j’ai fait une demande de visa pour les Etats-Unis. Je ne savais pas quoi mettre au chapitre «nationalité» : suis-je encore Iranien ? Suis-je devenu Français ?

Je suis confronté à une crise d’identité. Pour moi, le grand paradoxe, c’est que je ne peux pas revenir dans mon pays d’origine mais je ne me sens pas pour autant français. Je ne me sens de nulle part. En plaisantant, je dis que je suis un résident d’internet, devant lequel je passe six à sept heures par jour…
 
Quelle est votre prochain projet éditorial ?
Je travaille sur un projet de livre où je parlerai d’un sérial killer religieux en Iran. L’histoire vraie d’un homme qui a, vers 2000, tué 16 prostituées à Mashhad, la seconde ville du pays et une cité sainte du chiisme. Il disait agir «pour l’amour de Dieu». A son procès, il s’est défendu en s’appuyant sur des lois religieuses. Il a été condamné à mort et exécuté. Cette affaire, très controversée, montre certains aspects de la vie des femmes, et le conflit qui peut surgir entre les lois religieuses et les comportements individuels.

Mana Neyestani, auteur du Petit manuel du parfait réfugié politique, à Paris le 21 avril 2015 (France Télévisions)

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