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Quatre questions sur la taxe européenne sur les transactions financières

Onze pays de l'UE se sont accordés sur le principe d'une "taxe Tobin" nouvelle génération d'ici à 2016. Francetv info fait le point sur le dispositif, qui traîne dans les cartons depuis plusieurs années.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Lors d'une manifestation à Londres (Royaume-Uni) en faveur de la taxe "Robin des Bois" sur les transactions financières, le 23 mars 2010. (WARREN ALLOTT / AFP)

En réunion à Bruxelles (Belgique) lundi 5 mai, le ministre des Finances, Michel Sapin, s'enthousiasme, annonçant "un pas décisif", devant ouvrir la voie à "un dispositif ambitieux". Pas de révolution, finalement : à moins d'un mois des élections européennes, onze pays de l'Union européenne ont accepté, mardi, le principe d'une taxe sur les transactions financières (TTF) d'ici à 2016, mais sans pour autant s'accorder sur ses modalités. 

Théorisé dans les années 1970, le projet est dans les cartons de l'UE depuis plusieurs années déjà. Mais de quoi s'agit-il exactement ? Francetv info fait le point sur ce dispositif.

Une taxe, mais pour quoi faire ?

La TTF est souvent surnommée la "taxe Tobin", du nom de l'économiste américain James Tobin. Il fut le premier, dans les années 1970, à lancer l'idée de taxer les activités spéculatives, à l'époque sur le marché des devises.

Après avoir été promue par l'organisation altermondialiste Attac dans les années 1990, plusieurs ONG ont soutenu une variante de la taxe Tobin, baptisée la "taxe Robin des Bois" dans la foulée de la crise économique et financière amorcée en 2008. Le concept est emprunté au héros légendaire : prendre aux riches – les banques, les spéculateurs, via une taxe sur les transactions financières – pour donner aux pauvres, via l'aide au développement.

L'idée d'une taxe sur les transactions financières est étudiée par la Commission européenne depuis plusieurs années. En septembre 2011, une proposition prévoit un tel dispositif, pour "s'assurer une contribution substantielle et équitable du secteur financier aux finances publiques" et "décourager les transactions financières qui ne contribuent pas à l’efficacité des marchés financiers et aux économies réelles". Un symbole, après la dévastatrice crise des subprimes, qui devait en partie être reversé aux Etats, en partie servir de ressources propres à l'UE.

Une taxe, mais qui concerne quoi ?

La première version de la TTF, ébauchée en 2011 par la Commission européenne, prévoit d'abord de taxer les échanges d'actions et d'obligations à hauteur de 0,1%. "Inutile et peu efficace", juge auprès de francetv info Christophe Nijdam, analyste financier pour le cabinet indépendant Alphavalue. Prévue sous le quinquennat Sarkozy, une telle mesure a été partiellement mise en place sur les actions à la Bourse de Paris sous le quinquennat Hollande : "Elle ne rapporte pas grand-chose", affirme l'expert.

Mais ce n'est pas le seul volet de la TTF première version. Les échanges de produits dérivés seraient également mis à contribution avec un taux de 0,01% : ce sont ces instruments financiers complexes, dont la valeur est fondée sur d'autres actifs, qui sont prisés par les spéculateurs. Le texte n'est jamais entré en vigueur, faute de consensus.

Après plusieurs mois de négociations et de tergiversations, l'accord européen annoncé ce mardi 6 mai est bien plus flou. Onze pays se sont engagés à mettre en place la TTF au 1er janvier 2016 au plus tard pour les actions et "certains produits dérivés""Cet accord, c'est beaucoup de bruit pour pas grand-chose, commente, auprès de francetv info, Alexandre Naulot, qui travaille pour l'ONG Oxfam France. Les engagements sont très vagues : on ne sait pas quels produits dérivés seront taxés, on ne sait pas à quel taux, et il n'y a aucun engagement sur l'affectation des recettes aux enjeux de solidarité internationale."

Une taxe, mais qui rapporte combien ?

Selon l'étude d'impact (PDF en anglais, page 24) réalisée par la Commission européenne en 2013, la TTF rapporterait 57 milliards d'euros par an si tous les pays de l'Union l'appliquaient, dont 37,7 milliards uniquement pour les dérivés. Mais seuls onze pays sont aujourd'hui autour de la table des négociations, avec des recettes potentielles évaluées à l'époque à 34 milliards d'euros.

Aujourd'hui, la TTF en préparation pourrait être loin du compte. Evoquant des sources officielles, l'agence Reuters affirme que la nouvelle mouture pourrait ne lever qu'un dixième de la somme initialement prévue : 3,5 milliards d'euros, voire moins.

Une taxe, mais pourquoi tant de réticences ?

La TTF est aujourd'hui loin des ambitions affichées en 2011. Faute de pouvoir envisager un accord unanime, en raison de l'hostilité de certains Etats comme le Royaume-Uni, le dispositif est actuellement négocié par onze membres : la Belgique, l'Allemagne, l'Estonie, la Grèce, l'Espagne, la France, l'Italie, l'Autriche, le Portugal, la Slovénie et la Slovaquie.

De leur côté, les banques et certains autres acteurs financiers, farouchement opposés à la TTF, se mobilisent. La Fédération bancaire française (FBF) dénonce "un projet dangereux pour le financement de l'économie", évoquant des conséquences "considérables" en cas de mise en place. "La taxe entraînerait (...) l'arrêt ou la délocalisation de certaines activités de marché", s'alarme la FBF.

"Le chiffon rouge agité par les banques ne se justifie pas de mon point de vue sur le plan économique, explique l'analyste financier Christophe Nijdam. On peut très bien financer l'économie réelle sans utiliser des produits dérivés dans les volumes aussi débridés qu'actuellement."

Il faut dire que les banques françaises sont friandes des produits dérivés : BNP Paribas était, en 2012, le deuxième plus gros acteur européen sur ce marché, avec des montants notionnels de 48 300 milliards d'euros, selon Alphavalue. Soit tout de même près de 24 fois le PIB de la France. La TTF devrait permettre de diminuer en grande partie ces volumes, selon la Commission européenne, pour aboutir à un marché "beaucoup plus raisonnable, beaucoup plus rationnel", explique Christophe Nijdam.

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