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Que deviennent les corps des migrants repêchés en Méditerranée ?

Plusieurs centaines de migrants auraient péri en mer, ce week-end, dans le naufrage de leur embarcation. Comment sont pris en charge les cadavres repêchés lors des opérations de sauvetage ?

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le corps d'un migrant mort lors d'un naufrage en Méditerranée est rapatrié à L'Isla (Malte), le 20 avril 2015. (MATTHEW MIRABELLI / AFP)

La Méditerranée est devenue un immense cimetière. Près de 3 500 personnes sont mortes en 2014 en tentant de quitter l'Afrique clandestinement, à destination de l'Europe, selon l'ONU. Et l'année 2015 risque de connaître un bilan encore plus terrible. Près de 700 migrants auraient trouvé la mort, samedi 18 avril, après le naufrage du chalutier à bord duquel ils avaient pris place, à 110 kilomètres des côtes libyennes. Une opération de sauvetage a permis de retrouver une vingtaine de personnes vivantes. Vingt-quatre corps ont d'ores et déjà été acheminés vers Malte.

Pour les survivants, la terre ferme est une promesse de vie. Mais que deviennent les corps des personnes qui ont péri en mer ? Leurs familles peuvent-elles espérer récupérer leur dépouille ?

Priorité donnée au sauvetage des vivants

Les naufrages de bateaux de migrants posent d'abord une question juridique. Le droit international oblige-t-il les secours à repêcher des corps inertes ? "Il n'existe rien de tel dans ce domaine", affirme Jean-Paul Pancracio, professeur émérite de droit international à l'université de Poitiers, interrogé par francetv info. La convention internationale sur la sauvegarde de la vie humaine en mer, signée en 1974, rend seulement obligatoire, comme son nom l'indique, les opérations de sauvetage de vivants. "En 2014, 600 navires marchands ont dû se détourner de leur route pour secourir des migrants en péril", précise Jean-Paul Pancracio.

Des opérations toujours périlleuses. Deux cas de figure tragiques se présentent. Soit les migrants sont directement projetés dans l'eau, et "les corps sont éparpillés à la surface. Il faut intervenir le plus vite possible, en quelques heures maximum", sous peine de voir ces corps sombrer pour toujours. Soit les personnes sont prisonnières du bateau, comme c'est en partie le cas avec le naufrage du 16 avril. L'épave coule alors au fond de la mer. "A ce moment-là, vous ne pouvez pas aller chercher les corps. Ou bien il faudrait une opération extrêmement lourde", poursuit l'universitaire.

Les corps de migrants morts lors du naufrage de leur embarcation en Méditerranée sont disposés sur le pont d'un bateau des garde-côtes italiens, à L'Isla (Malte), le 20 avril 2015. (DARRIN ZAMMIT LUPI / REUTERS)

Le dispositif de l'Union européenne ne prévoit que la surveillance de migrants, et l'assistance en cas de danger de mort. Les bateaux étant affrétés par des passeurs mafieux, une remontée d'épave n'est pas envisageable. D'un point de vue financier et technique, remonter les épaves semble impossible pour l'UE à l'heure actuelle. Le dispositif, nommé Triton, et coordonné par l'agence Frontex, a pris la relève de l'opération Mare Nostrum en novembre 2014. Il bénéficie d'environ 3 millions d'euros par mois, des moyens "ridicules", selon Jean-Paul Pancracio. "Son budget est vraiment très insuffisant, d'autant que le flux de migrants ne va faire qu'augmenter, compte tenu de la crise en Libye." 

L'ADN conservé pour une identification ultérieure

Que deviennent ensuite les (rares) corps repêchés par les autorités ? Samedi 18 et dimanche 19 avril, la marine italienne a rapatrié les vivants à Catane (Italie), mais a d'abord fait escale à Malte pour y déposer les dépouilles d'une vingtaine de migrants. Pourquoi un tel détour ? "Les raisons ne sont pas claires, mais l'Italie tente d'associer Malte à cette tragédie, pour ne pas être le seul pays à faire face à la gestion des migrants", avance Renaud Bernard, correspondant à France 2. Le petit archipel conserve les cadavres dans la morgue de son seul hôpital, le Mater Dei. 

Il existe ensuite un protocole destiné à identifier les victimes. "Les corps sont autopsiés, photographiés, numérotés, et leur ADN est prélevé, explique à francetv info Glen Cachia, de la Croix-Rouge maltaise. Si on retrouve une carte d'identité sur ces personnes, les autorités tentent de contacter la famille." Il arrive ainsi que des familles voyagent jusqu'en Europe pour récupérer la dépouille, "même si cette situation reste très rare, surtout de la part des populations subsahariennes". Une enquête peut également être ouverte dans le pays d'origine du migrant, à la demande des familles. "D'où l'importance de conserver l'ADN, pour permettre une éventuelle identification."

Une fois ces dispositions prises, les migrants sont enterrés "dans un cimetière chrétien ou musulman" de l'archipel, avec leur numéro affilié, permettant une éventuelle identification ultérieure. A l'été 2014, une vingtaine de migrants avaient ainsi été enterrés dans le cimetière chrétien Addolorata, selon le Times of Malta. Un autre, qui avait trouvé la mort en même temps que ces personnes, avait lui été enterré dans un cimetière turc. 

Des migrants d'origine africaine portent le cercueil d'un Nigérian mort lors du naufrage d'un bateau en Méditerranée, au cimetière Addolorata de La Valette (Malte), le 16 octobre 2012. (DARRIN ZAMMIT LUPI / REUTERS)

En attendant qu'une sépulture soit offerte aux femmes et aux hommes décédés ce week-end dans le naufrage du chalutier, l'hôpital Mater Dei lance un appel de solidarité à la population : "Je vous prie d'envoyer un bouquet de fleurs, d'avoir une petite pensée pour ces gens qui n'ont personne pour le faire à Malte, plaide le directeur de l'établissement, cité par le Times of Malta (en anglais). Ils n'ont pas eu la chance d'avoir une vie meilleure, qu'ils aient au moins une sépulture décente. Ce sont des êtres humains, ils le méritent."

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