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Rébellion armée en Russie : quelle est la nature des relations entre le général Sergueï Sourovikine et le groupe Wagner d'Evguéni Prigojine ?

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Le général Sergueï Sourovikine lors d'une réunion militaire en présence de Valéri Guerassimov (à gauche) et du président russe (hors cadre), le 3 novembre 2021 à Sotchi (Russie). (MIKHAIL METZEL / SPOUTNIK / AFP)
Les rumeurs se multiplient sur le sort réservé à cet adjoint de l'état-major des opérations russes en Ukraine. Il était l'un des rares haut gradés de l'armée à bénéficier de la mansuétude du patron du groupe paramilitaire.

Où se trouve Sergueï Sourovikine ? Le plus grand mystère plane sur le sort de ce haut gradé de l'armée russe, et les rumeurs à son endroit se multiplient sur les réseaux sociaux. Le général était notamment absent lors du discours de Vladimir Poutine aux forces armées, mardi 27 juin, après la marche avortée de Wagner vers Moscou. Le sort de Sergueï Sourovikine, apprécié d'Evguéni Prigojine, suscite une attention d'autant plus vive qu'il aurait été informé, au préalable, du projet des paramilitaires, affirmaient mercredi le New York Times et le Wall Street Journal. Des "spéculations et commérages", avait répondu le Kremlin.

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Plusieurs médias, depuis, ont affirmé que le général avait été arrêté. En réalité, rien ne permet de le confirmer. "Mes sources au ministère de la Défense et au FSB démentent que Sergueï Sourovikine ait été mis en prison", explique à franceinfo Roman Anin, journaliste russe et fondateur d'Important Stories, un média indépendant. "Elles confirment en revanche qu'il a été interrogé, avant d'être relâché." Le Kremlin, de son côté, se contente de renvoyer vers le ministère de la Défense. "Une éventuelle enquête ne veut pas forcément dire qu'il est soupçonné de complicité, mais qu'il a peut-être connaissance de certains éléments sur Wagner", nuance la politologue russe Tatiana Stanovaya, interrogée par franceinfo.

A ce stade, une seule certitude. Sourovikine n'est plus réapparu depuis samedi matin, jour de la mutinerie. Le visage grave et défait, il demandait alors à Wagner d'abandonner sa marche vers Moscou. "Avant qu'il ne soit trop tard, il faut obéir à la volonté et à l'ordre du président élu de la Russie", implorait-il en simple treillis, guère à son avantage. Cette déclaration était-elle spontanée ou a-t-il été contraint de l'enregistrer ? Les deux options sont débattues par les observateurs. Le ministère de la Défense, qui a diffusé ces images, n'a fourni aucune précision sur le lieu et les circonstances du tournage.

Le général Sergueï Sourovikine dans une vidéo tournée dans un lieu indéterminé et diffusée par le ministère de la Défense russe, le 24 juin 2023. (MINISTERE DE LA DEFENSE RUSSE / AFP)

Si les rumeurs circulent si vite sur son compte, c'est que Sergueï Sourovikine est un visage important de la guerre. Entre octobre et janvier, il dirigeait en effet le groupe des forces russes engagées en Ukraine, avant d'être rétrogradé au rang d'adjoint, sous les ordres de Valéri Guerassimov. Le général avait notamment dû gérer l'évacuation militaire de la grande ville de Kherson, abandonnée aux Ukrainiens. Cet épisode reste la plus grande déconvenue subie par l'armée russe depuis le début du conflit. Mais Evguéni Prigojine avait salué les actions d'un "homme raisonnable", alors qu'il étrillait pourtant le commandement militaire depuis des mois. Le général est l'un des rares officiers, sinon le seul, à susciter la sympathie de Wagner.

D'une tentative de coup d'Etat à l'autre

Ironie du sort, Sergueï Sourovikine avait lui-même participé à une tentative de coup d'Etat militaire, en 1991. Le convoi de blindés qu'il dirigeait avait alors forcé des barricades installées par des manifestants à Moscou, tuant trois personnes. Il passera sept mois en prison, avant d'être gracié par le président Boris Eltsine. Vétéran de la guerre civile au Tadjikistan, dans les années 1990, il a également participé à la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2000). Mais Sergueï Sourovikine s'est surtout illustré à la tête de l'opération russe en Syrie, qui lui vaut le surnom de "boucher d'Alep".

Déployées en masse dans le pays, les unités de Wagner ont entretenu d'excellentes relations avec Sergueï Sourovikine, à la tête d'un groupe de police militaire. En 2017, il a même reçu une carte de membre honoraire chez les paramilitaires, selon les informations du Dossier Center. Ce projet, fondé par l'opposant russe Mikhaïl Khodorkovski, affirme détenir les noms d'une trentaine d'autres officiers et fonctionnaires dans ce cas. Puis, en février 2018, 100 à 300 combattants de Wagner ont été tués par les forces américaines à Deir ez-Zor (Syrie). Evguéni Prigojine a accusé le ministre Sergueï Choïgou d'avoir précipité les combattants dans un traquenard, et gagné un ennemi juré.

Le général Sergueï Sourovikine lors d'une visite du président Vladimir Poutine sur la base militaire russe de Latakia (Syrie), le 11 décembre 2017. (MIKHAIL KLIMENTYEV / SPOUTNIK / AFP)

Le mercenaire a besoin de Sourovikine, commandant des forces aérospatiales russes à partir d'octobre 2017. Déjà visé par des sanctions, "le groupe Wagner reposait beaucoup sur les capacités des forces aériennes russes" pour assurer sa logistique et le déplacement de ses mercenaires, explique à franceinfo Gleb Irisov, aujourd'hui en exil après avoir été lieutenant dans l'armée de l'air et correspondant pour l'agence Tass. "Il était donc extrêmement utile pour Evguéni Prigojine de disposer d'une connexion directe avec le commandant suprême de ces unités." Sans le soutien matériel de l'armée, il aurait été difficile pour les mercenaires de mener leurs opérations extérieures.

"Ils ont beaucoup en commun"

Sergueï Sourovikine a mis à disposition des avions et les bases militaires russes de Chkalovsky et de Seshcha. Puis, à partir du printemps 2020, il a même fourni à Wagner des hélicoptères de combat, à destination notamment de la Libye. Ces deux hommes "semblaient de bons partenaires, sinon des amis, lors de leurs discussions", raconte Gleb Irisov, membre de l'équipage sur des vols réunissant l'officier et le mercenaire, en 2019 et 2020. "Ils ont beaucoup en commun, idéologiquement et dans le comportement". Ce ne sont pas les tapis de bombes qui valent à Sergueï Sourovikine son surnom de "général Armageddon", mais "la pagaille qui régnait au quartier général", en raison "de son caractère agressif et rude".

Ces derniers mois, Sergueï Sourovikine était resté un trait d'union entre le groupe Wagner et l'armée régulière. En février, quand il se plaignait de ne plus recevoir de munitions, Evguéni Prigojine avait fait remarquer que ses hommes étaient régulièrement livrés quand le général était aux commandes. Trois mois plus tard, le paramilitaire avait revendiqué une liberté d'action à Bakhmout, et déclaré que Sourovikine était chargé de la coopération avec le ministère, ce que ce dernier n'a jamais confirmé. Le 11 juin, enfin, Evguéni Prigojine chantait encore les louanges d'un "commandant intelligent et expérimenté".

Des compliments qui sonnent aujourd'hui comme un baiser de la mort. Pour le Financial Times, les "pressions" dont fait l'objet Sergueï Sourovikine sont d'ailleurs liées à sa proximité avec Evguéni Prigoijine, plutôt qu'à des soupçons de trahison. "Je suis convaincue que Vladimir Poutine était informé de ce rôle de médiateur entre Sourovikine et l'armée, et qu'il avait donné son accord, estime pour sa part Tatiana Stanovaya. "Pour autant, le général ne pouvait pas faire de miracle et fournir les quantités de munitions réclamées par Wagner", qui dirigeait sa colère sur le ministre Choïgou.

Comment va réagir Vladimir Poutine ?

"Il y a sans doute des sympathisants du groupe Wagner aux niveaux bas et intermédiaire des troupes de l'armée régulière", poursuit la politologue. Mais elle rejette l'idée d'un général "wagnérisé", maillon faible de l'armée. Malgré des désaccords de fond avec le duo Choïgou-Guerassimov, "Sourovikine et le commandement sont absolument loyaux envers Poutine". Les forces aérospatiales ont été "la seule branche de l'armée qui s'est opposée directement au groupe" lors de sa rébellion, relève également Gustav Gressel, expert militaire au Conseil européen des relations étrangères, cité par le média allemand Deutsche Welle. Plusieurs appareils, dont des hélicoptères de combat, ont été détruits par les mercenaires.

Le parcours atypique de cet "électron libre" de l'armée, selon les mots de Gleb Irisov, n'a pas encore trouvé d'épilogue. Le cas du général, médaille d'or de héros de la Fédération de Russie, relance en tout cas les incertitudes sur d'éventuels remaniements dans l'armée. Certains blogueurs militaires russes, dont Mikhaïl Zvinchuk, ancien attaché de presse du ministère de la Défense, ont affirmé que des commandants de niveau intermédiaire avaient déjà été visés par une purge, pour leur inaction supposée lors de la marche de Wagner.

Là encore, les avis divergent. "Pour Vladimir Poutine, la trahison est le péché ultime", souligne Roman Anin. Elle pourrait concerner tous ceux qui se trouvent dans le cercle d'Evguéni Prigoijne. Il est donc "possible que des répressions visent ses partenaires, amis et soutiens au sein de l'armée et des élites". Tatiana Stanovaya concède que le ministre Sergueï Choïgou pourrait être tenté de se débarrasser d'une opposition interne, en décrivant Sourovikine "comme un traître" auprès du président russe. Mais elle rappelle que Vladimir Poutine a toujours "été réticent à lancer des répressions, car il préfère résoudre les problèmes dans l'ombre".

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