Espagne : pourquoi le Premier ministre est acculé par un scandale de corruption
Caisse noire, salaires parallèles et textos embarrassants : Mariano Rajoy est acculé, après de nouvelles révélations sur la gestion de son parti.
Mariano Rajoy refuse de "céder au chantage" et s'accroche. Mais le Premier ministre conservateur espagnol est au bord du gouffre, mardi 16 juillet. Cité à plusieurs reprises dans une vaste affaire de corruption concernant le Parti populaire (PP), qu’il préside depuis 2004, il a vu l’étau se resserrer autour de lui ces toutes dernières semaines. Récit.
Le trésorier du parti emprisonné
Les ennuis du Premier ministre commencent avec le trésorier du parti, Luis Bárcenas, 56 ans, look d’homme d’affaires dandy, bronzé toute l’année. Gérant du PP de 1990 à 2008, il est ensuite nommé trésorier par Mariano Rajoy lui-même. Son nom intéresse la justice dès 2009, dans le cadre d’un scandale de corruption national nommé "caso Gürtel" (le cas Gürtel). Dans cette affaire, un entrepreneur du BTP aurait bénéficié de traitements de faveur de la part de plusieurs régions autonomes, toutes gérées par les conservateurs du PP à l’époque des faits.
L’enquête remonte progressivement l'organigramme du parti et déterre des documents comptables compromettants : neuf caisses de carnets que Luis Bárcenas a pourtant pris soin de rapatrier chez lui (lien en espagnol) un samedi après-midi de juillet 2009. Ils témoignent de l’existence d’une caisse noire du parti de droite ibérique.
Le trésorier est finalement placé en détention provisoire le 27 juin 2013 pour éviter qu’il fuie ou détruise des preuves.
La comptabilité parallèle confirmée
Fin janvier, El País publiait (en espagnol) "les comptes secrets de Bárcenas", des copies des manuscrits du trésorier. Ce dernier nie farouchement en être l’auteur… jusqu’au lundi 15 juillet. Lors de sa quatrième comparution devant les juges sur le sujet, Luis Bárcenas reconnaît avoir rédigé ces notes. Et, bien décidé à ne pas tomber seul, il apporte des dizaines de documents accablants pour le parti, ainsi qu’une clef USB en contenant d’autres. La caisse noire a notamment reçu plus de 7,5 millions d'euros de dons, provenant essentiellement d'entrepreneurs des travaux publics.
Selon El País, qui cite des sources judiciaires, les documents enfoncent particulièrement Mariano Rajoy, la secrétaire générale du parti, María Dolores de Cospedal, et son prédécesseur aux finances du PP, Álvaro Lapuerta, qu’il accuse d’avoir conçu le système de corruption. Il aurait également affirmé aux juges : "J’ai remis des espèces à Cospedal et Rajoy en 2008, 2009 et 2010." Près de 95 000 euros entre 2009 et 2010, dont 25 000 euros cette dernière année, délivrés en coupures de 500 dans une enveloppe marron, précise El Mundo (en espagnol), qui publie de nouveaux documents manuscrits. "Tout le monde connaissait le versement de ces salaires parallèles", confirme finalement l'un des membres de l'exécutif du parti dans les années 90, Manuel Milián Mestre.
Des textos embarrassants révélés
"Jamais, je répète, jamais, je n'ai reçu ni distribué de l'argent au noir, ni dans ce parti, ni ailleurs", s'était défendu Rajoy devant les cadres de son parti, samedi 2 février, alors que le scandale éclatait. Difficile à croire après la publication par El Mundo, dimanche 14 juillet, de textos échangés avec Luis Bárcenas. "Luis, je comprends, sois fort. Je t'appelle demain. Je t'embrasse", encourage l'un des messages attribués au Premier ministre et daté du 18 janvier. "Luis, rien n'est facile, on fait ce qu'on peut, courage", indique un autre.
D'après le quotidien ibérique, le chef du gouvernement a entretenu un contact direct et permanent de mai 2011 à mars 2013 "au moins" avec le trésorier dans la tourmente. Et Rajoy de lui demander de "nier l'existence de la comptabilité occulte et les compléments de salaires", écrit le journal. Lundi, Luis Bárcenas a profité de son audition pour relater de supposées négociations avec les avocats du parti. Ils lui auraient proposé 500 000 euros pour son licenciement, et la conservation de 25% de son patrimoine en échange de son silence. "Si tu parles, ta femme ira en prison", aurait même menacé l'un des avoués, d'après par El Mundo (lien en espagnol). Des tractations niées en bloc par l'exécutif du PP.
Dans la foulée, le Parti socialiste espagnol (PSOE) et le parti de gauche Izquierda Unida (IU) sont montés au créneau. Le premier réclame la démission de Mariano Rajoy, le second celle de tout le gouvernement, ainsi que des élections générales anticipées.
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