Cet article date de plus de seize ans.

Depuis les élections législatives du 10 juin, la Belgique en proie à ses divisions internes, n'a plus de gouvernement

Depuis plusieurs années, les frictions s'aggravent entre la Flandre riche et la Wallonie, affaiblie par la crise économique.Le vote des députés flamands le 7 novembre, supprimant certains droits des francophones en périphérie flamande de Bruxelles, au centre de tous les débats, a encore aggravé la crise.
Article rédigé par Jean-Claude Rongeras, Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 14 min

Depuis plusieurs années, les frictions s'aggravent entre la Flandre riche et la Wallonie, affaiblie par la crise économique.

Le vote des députés flamands le 7 novembre, supprimant certains droits des francophones en périphérie flamande de Bruxelles, au centre de tous les débats, a encore aggravé la crise.

Une crise record

La Belgique a battu le record de la crise politique la plus longue de son histoire, jusqu"ici de 148 jours en 1988. Le gouvernement répond toujours absent, près de cinq mois après les élections législatives de juin.

Le libéral flamand Guy Verhofstadt, à la tête du gouvernement sortant, ne fait, depuis, que gérer les "affaires courantes".

Jusqu"ici, son challenger chrétien-démocrate flamand, Yves Leterme, candidat à la fonction, n"est parvenu à rassembler libéraux et chrétiens-démocrates, néerlandophones et francophones, que sur des sujets consensuels : justice, politique étrangère et emploi. Car les points de discorde relèvent des questions budgétaires et surtout communautaires. Les tensions n"ont en effet jamais été aussi fortes entre Flamands et francophones.

"Le communautaire n'est pas le point le plus important du programme, mais c'est la pierre sur laquelle on bute", déclarait Yves Leterme dans une interview daté du 4 novembre. "Il est temps maintenant de prendre des décisions, d'accepter des compromis", ajoutait-il.

Cette pierre d"achoppement se trouve exacerbée dans l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, dit "BHV", où les Flamands ont remporté le vote au Parlement pour instaurer une scission, répartie entre communautés linguistiques majoritairement néerlandophone et francophone. Si la Belgique est séparée en deux grandes régions, Flandre et Wallonie, Bruxelles en constitue une troisième en raison du maintient d"un bilinguisme auquel rechignent les Flamands.

Bruxelles dans l'oeil du cyclone

L"agglomération de Bruxelles, qui compte 19 communes francophones et 35 flamandes constitue l"oeil du cyclone de la crise. L"enjeu dépasse les seules questions linguistiques et culturelles, mais l"organisation du scrutin électoral.

En effet, les francophones vivant dans les communes néerlandophones de BHV ont jusqu"à aujourd"hui le droit de voter pour des listes francophones. Ils sont les seuls dans ce cas dans tout le royaume. Ils ont également le droit de saisir les tribunaux en Français. Le vote intervenu au Parlement mercredi 7 novembre a supprimé ces droits. En signe de protestation, les élus francophones avaient quitté l"hémicycle, juste avant le scrutin, puisqu"ils sont minoritaires par rapport aux partis flamands qui avaient tous appelé à voter dans le sens adopté.

Nous sommes dans quelques chose qui s'apparente à une crise de régime", a déclaré immédiatement après le vote Yvan Mayeur, député francophone socialiste. La scission de la région de Bruxelles entérinerait celle du royaume, en supprimant le bilinguisme de rigueur dans l"agglomération. Les 19 communes francophones seraient ainsi rattachées à Bruxelles, enclave francophone en Flandre, et les 35 flamandes à l"arrondissement de Louvain, ce qui constituerait sans ambiguïté la frontière entre un Etat flamand et wallon en cas d"explosion du pays.

Dans une telle éventualité, les partis wallons demandent une compensation, sous la forme d'un élargissement de la région de Bruxelles, à certaines communes de la périphérie. Provocation ! s"écrient les Flamands qui devraient céder dans ce cas une partie de leur territoire, en assurant du même coup une continuité territoriale entre la Wallonie et Bruxelles.

"Les conséquences seraient incalculables. C'est un enjeu qui peut faire capoter toutes les négociations gouvernementales", pour Vincent de Correbyter, directeur du Centre de recherches et d'informations sociopolitiques (Crisp), selon lequel, il s"agit d'une "agression d'une communauté contre une autre". Pour la simple raison de son poids démographique, elle imposerait une réforme, rejetée avec force par l'autre.

Les francophones disposent toutefois de leviers pour bloquer un temps la scission de BHV. Si elle s'avérait, les responsables politiques wallons ont prévenu qu'elle s'apparenterait à un "acte de
guerre" qui annihilerait toute négociation pour la formation d'un gouvernement fédéral, en panne.

Désirs discordants

Alors que le Flamand Yves Leterme est le grand vainqueur de ces élections, avec son parti-démocrate (le CD&V) allié avec les indépendantistes du NV-A, il n'a pu former de coalition avec les Flamands de l'Open VLD et les Francophones, les libéraux du MNR et les anciens démocrates-chrétiens du CDH.




Joëlle Milquet, 46 ans, président du Centre démocrate-humaniste (PSC) et Didier Reynders, du Mouvement réformateur (RM), ont opposé une fin de recevoir aux propositions flamandes qui voulaient transférer aux régions certaines fonctions régaliennes comme la fiscalité, la sécurité sociale, le statut des étrangers, l'acquisition de la nationalité, etc.

Face à cette offensive en règle, les francophones répliquent en exigeant un agrandissement de la région bruxelloise comprenant plusieurs régions situées en Flandre mais majoritairement peuplées de francophones. Un des buts est d'asssurer un couloir entre Bruxelles et la Wallonie dans le cas d'une scission du pays. Ces différences de point de vue expliquent l'impasse actuelle.

Depuis lors, le roi Albert II, a nommé un "explorateur", Herman Van Rompuy, un démocrate-flamand, qui préside la chambre des représentants. L'homme doit multiplier les contacts, dialoguer avec des hommes politiques réputés comme étant des vieux sages, dans l'espoir d'inventer une solution ayant l'aval des deux camps. Il doit remettre un rapport au roi fin septembre.

Les sondages montrent l'étendue du problème. En Flandre, 43% des personnes interrogées dans une récente enquête se déclarent favorables à l'indépendance de leur région. Mais les hommes politiques de Wallonie, une région appauvrie par la désindustrialisation, alliés aux francophones bruxellois, qui représentent plus de 85% de la population de la capitale belge, refusent ces revendications d'autonomie qui priveraient le pays des derniers ciments de la solidarité Nord-Sud.

Le Parlement après les dernières élections

Dates et repères

1815: Après l'échec des guerres napoléoniennes, le Congrès de Vienne créé un Etat tampon unissant provinces catholiques belges et protestantes néerlandaises.

1830: les provinces se soulèvent, proclamant leur indépendance, Le premier roi des Belges est Léopold de Saxe-Cobourg.

1885: Léopold II devient le chef d'Etat du Congo

1932: création de la première université flamande

1945-1950: Leopold II, compromis par son attitude durant l'occupation allemande abdique. Il est remplacé par son fils Baudoin 1er.

1957: La Belgique est l'un des co-fondateurs de l'Europe

1960: Le Congo devient indépendant.

1970-1993: Après le vote de plusieurs réformes, la Belgique devient un Etat fédéral. Elle comprend trois régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles) et trois comunautés linguistiques (néerlandophone, francophone et germanophone).

ECONOMIE
Population PIB chômage

(millions d'habitants) mds Euros (2004) en % (2006)

Belgique: 10,48 313,2 8,3%

Flandre: 6,06 165 5%

Wallonie: 1,03 67,2 11,8%

Bruxelles: 3,39 55,6 17,7%

Un antagonisme profond

L'antagonisme entre les deux groupes linguistiques est ancien. Au dix-neuf-neuvième siècle, les flamands sont les pauvres du royaume. Une partie d'entre eux sont au service de la bourgoisie francophone, des industriels liés à l'industrie du charbon wallone.

Le mouvement de revendication flamand s'est notamment développé sur le souvenir des morts de la grande guerre à Ypres, où se dresse un monument aux morts flamands. "Ils sont morts parce qu'ils ne comprenaient pas les ordres de leurs officiers francophones", indique Anna, une flamande qui milite au parti d'extrême droite flamand Vlaams Belang.

Après la seconde guerre mondiale, une forte démographie et l'essor économique de la période permet aux Flamands de redresser la tête et d'inverser les rôles. Ils s'enrichissent et passent devant les wallons dont les usines dépassées ferment et les haut fourneaux dépérissent.

Les Flamands affirment qu'en cas de séparation entre les deux communautés, la richesse des Wallons baisserait de 15%.

Charleroi est la symbole de cette faiblesse de l'économie wallone. Les friches industrielles ont poussé comme des champignons. La ville a vécu une descente aux enfers. Le système social est exsangue. La corruption de nombreux édiles socialistes de la cité et les scandales à répétition ont été mis au jour depuis deux ans. Un nouveau maire, Jean-Jacques Viseur, ex-ministre des finances chrétien-démocrate est en place pour assainir les finances et redorer le blason de Charleroi. Dans le même temps, le parti socialiste local est totalement repris en mains par les instances nationales.

Les radicaux flamands ont beau jeu de s'en prendre à ce parfait contre-exemple d'un bonne gestion. Pourtant, un journaliste de la Gazette de Charleroi, Georges Hupez, dénonce "Et Anvers? son extrême-droite, ses ratonnades, la mise en tutelle de la ville pour mauvaise gestion...pourquoi n'en parlent-ils pas?".

Albert II: un rôle discret

Le roi des Belges Albert II fait face à la première grande épreuve de son règne avec la crise politique entre Flamands et francophones, qui menace sa couronne mais lui confère aussi un pouvoir d'initiative rare pour un monarque européen.

Dans une Belgique où chaque communauté a déjà son gouvernement et son Parlement, la monarchie est pour beaucoup le dernier ciment entre Flamands et francophones. Le roi Albert s'est efforcé de le renforcer depuis le début de son règne en 1993 en soulignant à de nombreuses reprises les "richesses" d'un pays multiculturel.

Lorsque Yves Leterme eu jeté l'éponge et renoncé à former le gouvernement, il a dû rentrer dare-dare du midi de la France où il se trouvait en convalescence après une fracture du col du fémur. Albert II a dû se plonger pour la première fois dans les arcanes de la formation d'un sytème de gouvernement parmi les plus complexes du monde.

A l'exception de l'extrême-droite, il a reçu tous les ténors politiques du royaume dans sa résidence du Belvédère. Il a nommé tour à tour un "informateur", un "négociateur" puis un "formateur", le chef des chrétiens-démocrates flamand Yves Leterme qui n'a pas réussi à forger une coalition de centre-droit.

"Son rôle est de mettre un peu d'huile dans les engrenages, de donner un coup de pouce, mais il n'a pas de pouvoir de commandement", souligne le sénateur et professeur de droit constitutionnel Francis Delperée.

"Son rôle est de jeter des ponts", souligne M. Delperée, mais "il peut aussi donner le tempo par une communication extérieure subtile".

Depuis fin août, les communiqués succints du Palais évoquent ainsi explicitement une "crise politique", signe de la gravité de la situation. Censé être politiquement et linguistiquement neutre, il est libre de convoquer qui bon lui semble pour des entretiens en tête-à-tête dont la confidentialité est strictement respectée.

Mais finalement, "ce sont les Belges, pas le souverain, qui font la Belgique. Si les Belges ne veulent plus vivre ensemble, le roi n'y changera pas grand chose", estime le constitutionnaliste.

Après l'échec de la tentative d'Yves Leterme, dont le style avait heurté les francophones, le roi espère qu'un autre chrétien-démocrate flamand, Herman Van Rompuy, posera enfin les jalons d'une coalition gouvernementale qui permettrait de sortir de la crise.

Il n'a jamais évoqué publiquement l'hypothèse d'un éclatement de son pays, préférant souligner le "formidable atout" que représente la "diversité culturelle" belge.

Bruxelles-capitale: une forte identité

Entre la Flandre et la Wallonie, une troisième entité plantée dans la terre de Flandre, Bruxelles-capitale, a elle aussi son mot à dire dans les discussions en cours.

Si évolution il y a, Bruxelles-capitale, sera au centre du changement. Son ministre président, Charles-Picqué, est bien déterminé à renforcer son statut de capitale de l'Union européenne.

L'octroi à la région de Bruxelles - une des trois régions belges avec la Flandre et la Wallonie - d'un statut particulier en Europe comparable à celui de la capitale fédérale des Etats-Unis, Washington DC- est une des pistes évoquées dans le cadre d'une éventuelle scission de la Belgique.

M.Picqué se dit convaincu qu'il faut "confirmer la vocation internationale de Bruxelles", qui constitue "le maillon fédérateur du pays".

Autour de Bruxelles, des villes -où habitent souvent des gens travaillant dans la capitale- faisant partie de l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), vivent des situations différentes selon la proportion de leur peuplement entre néerlandophones et francophones. Ces villes, une quarantaine, font l'objet d'un enjeu important.

Les Flamands souhaitent le rattachement à la Flandre de ces communes néerlandophones alors que les francophones souhaitent à l'inverse l'élargissement de la région bilingue Bruxelles-Capitale. Sur les 400.000 habitants de cette périphérie, environ 150.000 parleraient le français.

En dehors de Bruxelles, la Flandre exige qu'on ne parle que flamand dans les écoles, au tribunal et dans les administrations dans cet arrondissement.

Sauf -exception qui confirme la règle- dans six communes dites "à facilités linguistiques" où les services publics utilisent les deux langues.

Le devenir des communes à "facilité" est une autre friction pour les hommes politiques à la recherche d'un hypothétique consensus.

Dans Libération, Thomas Gunzig, un écrivain francophone de 37 ans, estime que même pour lui, qui a étudié les sciences politiques "Je ne saurais expliquer comment fonctionne la région Bruxelles-Capitale".

Un compromis temporaire ?

Face à la complexité de la crise, certains observateurs facétieux ont affirmé que la solution ne pouvait venir que de surréalistes comme Réné Magritte.

Pourtant en examinant les dernières réactions politiques et les sondages, une meilleure forturne ne semble pas impossible à court terme.

Selon un sondage réalisé les 24 et 25 août, auprès d'un échantillon de mille personnes interrogées par téléphone, sept Belges sur dix pensent que leurs pays "a encore un avenir à long terme". Elle sont 20,55% à ne pas y croire.

Et les jeunes de 18-25 ans, sont les plus optimistes. Ils sont 82,% a avoir déclaré croire en l'avenir du pays. La tranche d'âge des 51-65 ans est la plus pessimiste. Cette tranche de la population estime à 33% que le pays ne devrait pas avoir un avenir à long terme. L'opinion des jeunes représente donc une pièce positive à verser au débat.

Du côté des hommes politiques flamands, la tendance n'est pas à mettre de l'huile sur le feu. Ainsi le nouveau ministre-président flamand, le chrétien-démocrate Kris Peeters, prône la patience et la poursuite des négociations avec les francophones. Adepte d'un système où les régions auraient la primauté sur le gouvernement central, il souhaite "bien sûr" "plus de compétences" pour la Flandre mais dans le même temps affirme que "la loyauté fédérale, c'est aussi important. Nos demandes ne sont pas dirigées contre la Wallonie ou contre Bruxelles (les deux autres régions belges) mais elles visent à rationnaliser le fonctionnement de l'Etat", insiste-t-il.

De son côté, la presse flamande met de l'eau dans son vin. "La scission de la Belgique". Plus facile à dire qu'à faire", concluait récemment De Standaard, le quotidien de référence du nord du pays qui s'est penché sur la question avec des économistes et des juristes. Le journal rappelle combien Bruxelles était importante pour la Flandre qui commettrait un suicide économique en se privant de ce qui est actuellement sa capitale.

Joëlle Milquet (CDH),elle, n'est pas vraiment optimiste. Dans Libération, elle met l'accent sur le "problème culturel " existant entre les deux communautés". Les francophones sont des Latins, proches de la France alors que les néerlandophones sont de culture germanique". Sur le plan des idées, il y a un véritable divorce: "Les Flamands ne veulent pas être freinés par des francophones qu'ils jugent plus progessistes en matière de libertés publiques, plus conservateurs sur les acquis sociaux".

Elle mise sur des hommes et des femmes d'Etat raisonnables pour trouver un compromis car "la situation ne peut pas s'éterniser".

L'économie, des rancunes séculaires et un appétit accru de pouvoirs régionaux, pour les Flamands, sont les facteurs premiers de ce pataquès politique.

Face au blocage, de simples citoyens se mêlent au débat, tel l'écrivain néerlandophone Geert Van Istendael: "les intellectuels se disent que si les hommes politiques ne sont pas d'accord pour s'accorder, ils vont le faire eux".

Dans cette incertitude générale, la situation de Bruxelles est à l'évidence la pyramide imprenable faisant hésiter les tenants d'une évolution radicale. Pour Jan Goosens, le directeur du Théâtre royal flamand (KVS) de Bruxelles, "Ce pays va nous survivre, entre autres, grâce" à la situation "de Bruxelles".

En conclusion, nul ne sait comment les acteurs de la politique belge sortiront du conflit. Les discussions vont se poursuivre en Palais du Roi, qui a reçu par exemple début septembre le secrétaire fédéral d'Ecolo, Jean-Michel Javaux, le parti Ecolo. Mais ceux-ci ne rejoindront une quelconque coalition qui si celle-ci met en place une politique "ambitieuse" en matière de politique climatique et ne remet pas en cause la sortie du nucléaire décidée lors de leur précédente participation au gouvernement (1999- 2003).

Un compromis sera certainement trouvé dans les jours où les

semaines à venir, mais il aura peu de chance de survivre aux élections régionales de juin 2009, surtout si les indépendantistes flamands marquent à nouveau des points. La Belgique n'a pas fini de se déliter.
Un processus qui ne fait pas l'affaire de l''Europe: le rapprochement entre les nations constituant un des buts de l'Union européenne. Tous les peuples auraient ainsi sous les yeux un cas néfaste, venant surtout d'un des pays pionniers en la matière.

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