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Massacre d'Oradour: un témoin retrouvé s'exprime sur l'enquête allemande

Début 2013, l’un des trois derniers survivants d’Oradour (Haute-Vienne), Paul Doutre, 87 ans, a pour la première fois livré son témoignage sur le massacre du 10 juin 1944. «Redécouvert» par France 3, l’homme exprime ses doutes sur l'enquête rouverte par la justice allemande dans le cadre d'une instruction pour «crime de guerre». Un ex-SS de 88 ans a été inculpé en Allemagne le 8 janvier 2014.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Paul Doutre, l'un des trois derniers survivants du massacre perpétré par les nazis à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. (AFP / PASCAL LACHENAUD)
«C'était un carnage…». L'émotion est absolument intacte, le souffle et la voix hachée de sanglots. Lèvres pincées par le chagrin, yeux clairs exorbités lorsqu'il raconte l'horreur, Paul Doutre a la voix qui vacille en égrenant pour l'Agence France Presse ceux des membres de sa famille massacrés le 10 juin 1944 : «Mon père, 51 ans, ma mère, 53 ans, ma grand-mère, 84 ans, ma petite nièce, 5 ans et mon frère, 18 ans...» En juin 1944, Paul Doutre, alors âgé de 20 ans, vivait camouflé chez ses parents pour échapper aux Chantiers de jeunesse. Arrive soudain sur la place d’Oradour-sur-Glane la voiture blindée des Allemands «à 14h exactement». «Mon père est venu me dire de me cacher, que les Allemands venaient pour contrôler les papiers. Personne n’imaginait ce qui allait se produire», raconte le survivant.
 
Alors que les SS rassemblent les hommes avant de les exécuter, lui se cache dans un atelier, ressort et se fait tirer dessus. Sa planque est incendiée. Il parvient à s'enfuir, se cache de nouveau dans un champ de choux. «J'ai entendu au-dessus de ma tête deux Allemands, l'un deux a dit ‘‘kaputt’’. Ils ont cru que j'étais mort». De là, il se cachera dans un caveau en construction au cimetière, près de l'église en feu où femmes et enfants furent brûlés. Par les bois, il gagnera ensuite un autre village à 3 km de là. Avant de partir, il a appris par un voisin que ses proches ont été décimés. En tout, ce furent 642 civils qui furent tués.

Il n’est retourné à Oradour que le surlendemain. «J'ai aidé la Croix-Rouge. Nous avons mis les corps sur les volets pour les transporter à la fosse commune». Il n’a retrouvé aucun des 22 membres de la famille qu'il a perdus.
 
Par la suite, Paul Doutre quittera la région et prendra le maquis avec son beau-frère. Après la guerre, il reviendra à Oradour avec son épouse pour reprendre la menuiserie familiale. «Je ne pouvais pas aller ailleurs, c'est là que sont mes parents», lâche-t-il dans un sanglot.
 
Ruines d'Oradour-sur-Glane après le massacre. (AFP)

Un survivant «oublié»
A bien des égards, Paul Doutre est un rescapé «oublié». Il est resté largement dans l'ombre, participant discrètement aux commémorations. Il a toujours évité les interviews, au contraire de Robert Hébras, 87 ans, auteur d'un livre, et de Jean-Marcel Darthout, 88 ans, les deux autres survivants connus. Aujourd'hui, il dit ses doutes sur l'enquête rouverte par la justice allemande dans le cadre d'une instruction pour «crime de guerre». Une procédure qui a vu fin janvier 2013 un procureur et un commissaire allemands se déplacer dans le village-martyr. Une première vécue localement comme un symbole fort.
 
«Franchement, 68 ans ans après, je ne crois pas qu'il puisse sortir grand-chose de cette nouvelle enquête. Les auteurs du massacre, pour ceux qui sont encore en vie, sont beaucoup trop vieux», pense Paul Doutre. Selon la justice allemande, six suspects sont encore en vie, âgés de 86-87 ans, dont trois ne peuvent plus être poursuivis en raison de leur état de santé.

L’ancien menuisier dit qu’il n’est «pas certain de vouloir apporter son témoignage à la justice allemande», si celle-ci le lui demandait dans les semaines à venir.
 
Il a participé au procès de 1953 à Bordeaux au cours duquel furent jugés sept Allemands et 14 «Malgré nous», Français alsaciens enrôlés de force dans la Wehrmacht, l’armée allemande. Des condamnations à mort furent prononcées puis commuées. Les Français furent amnistiés au nom de la réconciliation. En Allemagne, de rares responsables furent poursuivis par la suite.
 
Paul Doutre s’est rendu à Bordeaux «pour témoigner». «J'ai vus les coupables, avec leurs cheveux gominés. Mais que voulez-vous que je vous dise, ils ont été graciés... Moi, ce que j'aurais voulu, c'est que Angela Merkel, vienne voir, se recueillir là. Voilà ce que j'aurais voulu », a-t-il déclaré sur France 3 Limousin.

L'interview de Paul Doutre sur France 3 Limousin


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