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Quand les Galeries Lafayette ou Kiabi pratiquent l'affichage publicitaire illégal

Au moins deux grands groupes ont recouru ce mois-ci à ce type de publicité proscrit par la loi.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Dimanche 17 novembre marquait la deuxième journée consécutive de mobilisation des gilets jaunes. Hier, ils étaient 10 fois moins nombreux par rapport à il y a un an selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, et encore moins aujourd'hui à Paris et en régions. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Le "nouveau chic" consiste-t-il à polluer les murs de Paris ? Le passant pouvait le déduire d'un affichage sauvage largement constaté dans la capitale depuis le 7 septembre 2015. Le slogan et le logo de la nouvelle campagne publicitaire des Galeries Lafayette, vantée par le magazine Elle, ont été abondamment reproduits sur les murs, les trottoirs, ou les équipements publics de la capitale, en toute illégalité. La mairie de Paris va d'ailleurs porter plainte, selon Le Parisien. Exaspérés, certains habitants ont partagé sur Twitter les photos du délit :

Une autre entreprise, Kiabi, s'était signalée en lançant le 12 septembre "une opération illégale de street marketing dans les rues de Grenoble, de Lille ou de Reims", rapporte La Gazette des communesFrancetvinfo revient sur cette pratique sans-gêne en trois questions.

Les marques connues avouent-elles pratiquer l'affichage sauvage ?

L'affichage sauvage est-il assumé par les groupes qui le pratiquent ? Si paradoxal que cela puisse paraître, pas toujours. Par e-mail, les Galeries Lafayette ont indiqué qu'elles refusaient de répondre aux questions "liées au déploiement de (leur) nouvelle identité visuelle".

Contactée au téléphone par francetv info, la directrice de la communication des Galeries Lafayette, Alexandra Van Weddingen, a néanmoins confirmé que la campagne publicitaire "Le nouveau chic" était bien lancée par les Galeries Lafayette. Sur l'étalement du nouveau logo du grand magasin parisien dans des espaces interdits, elle s'est bornée à déclarer : "On ne fait pas de commentaires. Je n'ai pas à vous dévoiler la façon dont on travaille", avant de raccrocher. Le respect ou non de la loi relèverait-il du secret industriel aux yeux de l'entreprise ?

En revanche, chez Kiabi, la porte-parole Véronique Retaux s'est montrée plus prolixe. Interrogée sur les centaines d'affiches publicitaires placardées dans les rues de onze villes sans autorisation, le 12 septembre dernier, elle s'explique sur l'intention initiale : "On a voulu rester dans le ton décalé propre à la marque, surprendre les clients, être où on ne nous attend pas." Mais elle confesse aussi : "On ne va pas refaire ça. Plusieurs mairies ont protesté parce que nous n'avions pas demandé des autorisations, ce qui est exact."

Quel est l'impact espéré ?

Kiabi a rétropédalé d'autant plus vite que, dans une formule malheureuse, son agence de communication avait qualifié cette débauche publicitaire hors des clous d'"attentat marketing" dans La Voix du Nord. L'élément de langage était mal passé.

Il est pourtant très utilisé dans ce milieu. Patron de l'agence de pub "expérientielle" Monsieur Loyal, qui vend de temps à autre des opérations "street art" à ses clients, Mikael Lavollé explique en termes guerriers le bénéfice supposé de ces formes illégales de publicité : "Beaucoup de marques voient dans la rue et le street art une alternative aux médias traditionnels. Cela s'appelle de la 'guérilla marketing'." Le client, précise-t-il, doit toutefois faire la balance entre les avantages et les inconvénients, car "il peut y avoir des amendes qui tombent. Nike a été condamné [à plus de 60 000 euros d'amende, selon le site spécialisé Juritravail] pour avoir mis le maillot de l'équipe de France sur une statue. L'opération a créé du bruit et de la notoriété, mais l'addition est lourde." 

Pourquoi des entreprises connues prennent-elles ce risque ? "Elles peuvent vouloir sortir une gamme un peu plus branchée, plus 'underground', renouveler le point de contact avec le public", développe-t-il. Autre bénéfice escompté : la résonance sur les réseaux sociaux, que l'on va doper au passage. "On peut payer tel ou tel blogueur pour qu'il relaie la campagneLa première photo ou le premier tweet influent doit souvent peu au hasard. C'est une sorte de marketing alternatif et moins cher."

Quelles sont les sanctions prévues ?

"Pour afficher sur un mur, il faut une autorisation écrite du propriétaire. Or, évidemment, toutes ces campagnes se font sans rien demander à personne", explique Jean-Philippe Strebler, juriste spécialiste de l'urbanisme et de l'environnement, contacté par francetv info.
 
Et d'énumérer la procédure : "Il convient d'abord que l'infraction soit relevée par un agent de l'administration. Dès qu'ils en ont connaissance, le préfet ou la mairie peuvent ordonner aux agents d'enlever le dispositif litigieux. En outre, cet enlèvement peut être facturé à celui qui a posé l'affiche. Le code de l'environnement prévoit enfin une amende pénale qui peut aller jusqu'à 7 500 euros par affiche. Dans la pratique, c'est rarement le cas : la justice est débordée par d'autres urgences. Mais il y a une procédure plus simple et plus rapide : sur la base du procès-verbal constatant l'infraction, le préfet peut infliger 1 500 euros par affiche. Ce type de campagne prévoit souvent plusieurs dizaines de dispositifs. A 1 500 euros pièce, faites le calcul, c'est dissuasif ! On a des lois bien faites, il faut les appliquer ! Sinon pourquoi le boulanger du quartier ne s'y mettrait pas demain ?"
 
Tout dépend, en effet, des limites posées par les citoyens, ou les municipalités. Au bout de plus de quinze jours d'affichage sauvage des Galeries Lafayette, la mairie de Paris annonce déposer une plainte. La mairie de Grenoble, qui a banni la plupart des panneaux publicitaires de ses rues, avait, elle, immédiatement dénoncé avec virulence l'"action totalement illégale" de Kiabi, le 12 septembre. Dans Le Dauphiné, l'adjointe à l'Espace public, Lucille Lheureux, y a vu, surtout"la preuve que les grands groupes pensent que l'espace public est un lieu qu'ils peuvent s'approprier".
 

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