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Infographies Pourquoi certaines communes éteignent leur éclairage public la nuit

L'alimentation des lampadaires pèse lourd dans le budget des municipalités. Certaines ont donc choisi de les débrancher, pour des raisons à la fois économiques et environnementales.

Article rédigé par franceinfo - Jérémy Fichaux
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Publié
Temps de lecture : 7 min
Un lampadaire devant l'hôtel de ville de Wattrelos (Nord), le 29 novembre 2021. (MAXPPP)

Il y a près de 11 millions de points lumineux en France, soit l'équivalent d'un lampadaire pour six habitants, d'après les derniers chiffres de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). C'est aux communes de décider d'éteindre l'éclairage public la nuit et certaines ont décidé de franchir le pas récemment, à la faveur des confinements liés à la pandémie de Covid-19

Cependant, il s'avère très difficile de cartographier cette dynamique à l'échelle nationale. Tout simplement parce que les données sont quasi inexistantes. "Nous travaillons actuellement sur un standard d'éclairage public, où chaque commune pourra, si elle le souhaite, informer de son nombre de points lumineux, des lampes utilisées…" explique Jennifer Amsallem, ingénieure d'études à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Néanmoins, deux bureaux d'études experts dans l'analyse des images satellitaires, La TeleScop et DarkSkyLab, ont modélisé des données en cœur de nuit en région Occitanie depuis 2014. Sur l'image ci-dessus, plus la zone est bleue, plus l'éclairage public est faible. Toutefois, cette méthode comprend des biais et les résultats ne peuvent représenter fidèlement la pollution lumineuse. Dans le détail des données communiquées par la région, 520 municipalités sur 4 516 pratiquent l'extinction après minuit en Occitanie, soit plus d'une commune sur dix. Franceinfo vous explique pour quelles raisons – économiques, environnementales, voire touristiques – certaines villes ont fait ce choix.

Parce qu'elles font d'importantes économies 

L'éclairage public pèse lourd dans les dépenses énergétiques des communes. D'après son dernier rapport quinquennal de 2019, l'Ademe évalue cette compétence à 41% des dépenses en électricité des municipalités. La facture s'est alourdie avec la hausse du prix de l'énergie. L'ouverture à la concurrence entérinée par la loi Nome (pour "Nouvelle organisation du marché de l'électricité"), appliquée depuis 2011, est aussi pointée du doigt. 

"La loi Nome a fait augmenter la facture de 25%, et face à cette augmentation, certaines communes se sont retrouvées coincées."

Roger Couillet, vice-président de l'Association française de l'éclairage

à franceinfo

Certains maires ciblent quant à eux la baisse de la dotation globale de fonctionnement, versée par l'Etat aux collectivités. Cette enveloppe a baissé de 11,5 milliards d'euros en 2014, selon le rapport annuel sur la situation financière et la gestion des collectivités locales, obligeant certaines villes à réduire leur consommation. "Il fallait faire des économies quelque part, alors nous avons coupé nos 7 800 points lumineux dès l'année suivante", se remémore Dominique Fouchier, maire de Tournefeuille (Haute-Garonne).

De plus, entre 2005 et 2017, le coût de l'énergie dédiée à l'éclairage public a doublé, passant de 7,7 à 15 centimes d'euro par kilowatt-heure, selon le dernier rapport de l'Ademe. Face à cette situation, des municipalités tentent de réduire leur facture annuelle en éteignant leurs lampadaires. "Depuis cette décision en 2015, la commune économise près de 163 727 euros par an", chiffre Martine Berry-Sevennes, adjointe déléguée à la transition écologique de Colomiers (Haute-Garonne). 

Malgré ce gain, certaines communes, à l'image de Fleury (Aude), reviennent sur cette décision. "Des habitants croyaient qu'il y avait une panne et ne comprenaient pas le dispositif. Alors nous avons rallumé les lumières en 2019", témoigne David Bouyer, directeur des services de la ville. Perte due à ce rétropédalage : 15 000 euros par an. Pour compenser ce manque à gagner, la commune a décidé de changer son parc lumineux avec des lampes LED, moins énergivores. 

Parce qu'elles réduisent leur gaspillage énergétique

Aujourd'hui, la majorité des installations doivent encore être rénovées. Le potentiel de réduction de la consommation est estimé entre 50 et 75% dans les communes de moins de 2 000 habitants, selon l'Ademe (lien PDF). Sébastien Vauclair, fondateur du bureau d'étude DarkSkyLab, met en garde : "On peut économiser de l'énergie et des dépenses publiques, tout en polluant plus. Il faut donc avoir en tête une sobriété lumineuse. C'est-à-dire vraiment réduire l'impact de la pollution lumineuse sur l'environnement avec, notamment, des lampes plus orangées." L'enjeu énergétique est devenu de plus en plus politique. En témoigne le nombre croissant d'élus chargés de l'énergie dans les communes françaises. 

En 2017, les lampes à sodium, plus gourmandes en énergie, représentaient 57% du parc lumineux français, d'après le dernier rapport quinquennal de l'Ademe. A consommation équivalente, un luminaire LED éclaire 20% à 40% de plus qu'une lampe à sodium. Les parcs lumineux communaux s'orientent de plus en plus vers les LED. Grâce à elles, il est possible de réduire l'intensité lumineuse durant la nuit, donc la pollution lumineuse. Les lampes à sodium sont vouées à disparaître à Toulouse afin de réduire le coût énergétique de l'éclairage public. "A l'horizon 2026, l'entièreté de notre parc lumineux sera constitué de LED", projette Jean-Baptiste de Scorraille, adjoint au maire chargé de l'éclairage public.

Pour un grand nombre d'élus, l'intérêt est double : faire des économies et moins polluer, en transformant les parcs lumineux vieillissants. Et pour cause, 40% des luminaires en service ont plus de 25 ans et nécessitent une révision, selon l'Ademe (lien PDF)"Les anciens lampadaires n'ont pas été pensés pour éclairer. Aujourd'hui, ces derniers s'encrassent et la lumière ne sort plus du luminaire, alors il pollue et consomme pour rien", explique Bruno Lafitte, ingénieur à l'Ademe, spécialiste des questions liées à l'éclairage. Il ajoute : "Heureusement qu'ils sont en voie d'extinction !" En effet, ces vieux luminaires font partie des plus polluants, car leur flux lumineux est orienté vers le ciel et non vers le sol. Cependant, un décret sur les nuisances lumineuses de 2018 prévoit la suppression de ces boules des espaces publics et privés en 2025.

Bien que la France soit plutôt une bonne élève dans la lutte contre la pollution lumineuse en raison de sa législation sur le sujet, la Cour des comptes estime, dans un rapport du 18 mars 2021, que cette compétence communale est exercée de manière "trop dispersée et sans vision de long terme". En réponse, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a annoncé, le 16 février, le programme "lum'ACTE". Doté de 10 millions d'euros, il permettra de "diagnostiquer, d'ici à deux ans, 3 à 4 millions de points lumineux et d'en rénover au moins 70%". La ministre a rappelé que diminuer la consommation d'énergie est le "premier des trois piliers de la transition énergétique", lors de la dernière commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Parce que la lumière nuit à la biodiversité nocturne

"La pollution lumineuse participe à un génocide sur la biodiversité", s'indigne Sébastien Vauclair, du bureau d'étude DarkSkyLab. De plus en plus, les politiques publiques prennent en compte le bien-être animal. Car si la nuisance lumineuse peut dérégler le rythme circadien de l'être humain, elle entrave également la vie nocturne des autres êtres vivants. Beaucoup d'insectes sont par exemple attirés par la lumière, et l'éclairage de nuit empêche le bon déroulement de leurs déplacements. 

La lumière artificielle de l'éclairage public peut affecter tous les aspects de la vie des animaux, comme la recherche de nourriture. 

"Les halos lumineux empêchent une bonne migration des oiseaux", ajoute Jennifer Amsallem, de l'Inrae. Sur la carte ci-dessus, on voit que l'extinction des lampadaires dans certaines communes réduit ces halos en cœur de nuit. Cela crée des couloirs nocturnes permettant aux oiseaux migrateurs, qui se repèrent grâce aux astres, de se déplacer plus facilement.

Pour préserver la biodiversité, "il faut rallumer les étoiles", confirme Agnès Langevine, vice-présidente chargée du climat, du pacte vert et de l'habitat durable de la région Occitanie. C'est ce que fait la ville de Toulouse afin de protéger la vie animale autour de la Garonne. "Nous éteignons à 1 heure du matin l'éclairage près des monuments pour laisser la vie nocturne se dérouler", explique Jean-Baptiste de Scorraille, adjoint au maire chargé de l'éclairage public.

"L'avantage de cette pollution, c'est qu'elle est totalement réversible", s'enthousiasme tout de même Bruno Lafitte, de l'Ademe. Une extinction des feux la nuit a ainsi des effets immédiats sur la biodiversité nocturne.

Parce que leur ciel étoilé devient un atout touristique

"Nous ne sommes pas un village avec une vie nocturne", reconnaît Daniel Bancel, maire de Sauliac-sur-Célé (Lot). Ce village de 134 habitants a réduit considérablement son éclairage la nuit, car il n'est pas utile à ses administrés. En optant pour l'extinction des feux en cœur de nuit, Sauliac-sur-Célé a fait d'une pierre deux coups : alléger sa facture et attirer les admirateurs de la voûte céleste. La réduction de la pollution lumineuse permet en effet le développement de l'astrotourisme, dans lequel la région Occitanie est une référence. Elle fait partie des plus grandes réserves internationales de ciels étoilés d'Europe. Ce label est attribué par l'International Dark-Sky Association et récompense un ciel étoilé d'une "qualité exceptionnelle"

"Il y a beaucoup d'astronomes amateurs qui viennent dans notre commune observer le ciel."

Daniel Bancel, maire de Sauliac-sur-Célé

à franceinfo

La France compte quatre réserves de ce type : celle du Pic du Midi (Occitanie), le parc national des Cévennes (Occitanie), la réserve Alpes Azur Mercantour (Provence-Alpes-Côte d'Azur) et le parc naturel régional de Millevaches (Nouvelle-Aquitaine). 

Au-delà du gain économique et énergétique, la réduction de l'éclairage public peut donc être un atout d'attractivité. "Nous sommes une région avec 50 000 nouveaux habitants chaque année, nous devions penser à un tourisme nocturne", conclut Agnès Langevine, vice-présidente chargée du climat à la région Occitanie.

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