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Singapour : l'Internet libère la parole

Au printemps 2011, après des décennies d'immobilisme politique, la riche Cité-Etat a connu, grâce aux réseaux sociaux, une effervescence démocratique. Le Parti d'action du peuple (PAP), au pouvoir depuis 1959, qui a gagné les élections, saura-t-il entreprendre des réformes que souhaite une bonne partie de la population?
Article rédigé par Jean-Claude Rongeras
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le district financier à Marina Bay,à Singapour, le 14 juin 2012 . (AFP/ROSLAN RASHMAN)

En mai 2011, le PAP n’a obtenu "que" 60% des voix aux élections législatives. Son plus mauvais score de l’histoire. Celui qui est considéré comme le père de la réussite économique de Singapour, Lee Kwan Yew, âgé de 89 ans, s’est plus ou moins retiré de la vie politique, laissant le poste de premier ministre à son fils, Lee Hsien Loong. Ce sera à ce dernier de proposer des avancées démocratiques dans un pays au fonctionnement autoritaire. 

Fort développement économique
Pendant plus de cinquante ans, après l’indépendance acquise aux dépens des Britanniques en 1965, la cité-Etat a fait résolument le pari, pour sa croissance, des nouvelles technologies, du développement des infrastructures et de l’accueil de multinationales étrangères. Cette efficacité économique (croissance de 14,5% en 2010 et 4,8% en 2011) s’est accompagnée, selon les observateurs, d’une absence de corruption au sein de l’appareil politique.

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NTDFfrench, le 24 janvier 2011

Arrestations d'opposants
L’essor, qualifié de «développement autoritaire», s’est fait au détriment de libertés publiques. Durant les années 1960, 70 et 80, Singapour a connu des campagnes massives d’arrestations d’opposants. L’un des compagnons de Lee Kwan Yew lors de la fondation du PAP, Lim Hock Siew, a passé 20 ans derrière les barreaux sans être jugé. Il a été libéré en 1982.

La Cité-Etat se veut à la pointe de l’Internet et compte, pour 5 millions d’habitants, 3 millions d’utilisateurs actifs de Facebook. La présence de ces derniers sur les réseaux sociaux a été le point de départ de la nouvelle contestation.

Le mouvement de protestation s'est développé en raison de la situation socio-économique : le creusement des écarts de revenus, la hausse du coût de la vie et des logements ainsi qu’un rejet de la forte  immigration. Les étrangers sont présents en nombre dans plusieurs types de métiers et représentent  25% de la population singapourienne.   

L'Internet fini par bousculer les habitudes
Jusqu’il y a peu, aucun débat politique n’était permis, même sur Internet. En 2009, deux lois du «Public Order Act» ont restreint davantage les velléités d'expression démocratique. Ces textes donnaient le droit à la police d’effacer toute photo ou vidéo lui déplaisant, de filmer des manifestations…

Mais une nouvelle loi, votée à la veille des élections, permettant un volume modeste de publicité sur la toile, a changé la donne. Les partis politiques ont alors eu le droit de produire des vidéos "factuelles  et objectives".

Le 27 avril 2011, le jour du dépôt des candidatures, la nouvelle situation juridique a permis une certaine ouverture, mettant fin à la peur irrationnelle de parler de politique. Le site The Online Citizen a commenté en direct la présentation des partis politiques. Ce site, dont l’audience a quadruplé (100.000 visiteurs/jour), n’a pas été censuré ou bloqué, comme cela se passe par exemple en Chine. Une chance pour l’opposition alors que les medias traditionnels sont contrôlés par le pouvoir en place.

Dialogues politiques sur la toile


4-5-2011

Une vidéo sur You tube indiquant que les votes des électeurs resteraient secrets a été vus par 115.000 personnes. Les Singapouriens, habitués à penser collectivement, se sont laissés aller à s'exprimer individuellement . Et sept partis politiques de l’opposition regroupés qui distillaient leur programme en ligne ont en retour reçus les commentaires d'internautes qui twittaient et chattaient.

En raison du système électoral majoritaire à un tour, à la britannique, les 60 % de voix du PAP ont permis à l’opposition d’obtenir six députés contre 81 pour le parti majoritaire. Ce résultat, apparemment faible, était en réalité inattendu. D’autre part, cinq de ces six parlementaires ont été élus dans une circonscription où les Malais (15% de la population) sont surreprésentés. Une indication sur les problèmes auxquelles est confrontée cette minorité peu éduquée et peu qualifiée.

Quel sera l’avenir ?
Lee Kwan Yew a annoncé qu’il quittait le gouvernement après 52 ans de bons et loyaux services. Un petit séisme. Dans ce contexte, le mouvement engagé à la mi-2011 va-t-il prendre de l'ampleur ? Rien n'est moins sûr. Les Singapouriens n'ont pas l'habitude de la contestation notamment parce que les autorités ont su maintenir un taux de chômage très faible (2% en en 2011).

L’une des premières mesures du chef du gouvernement – une promesse électorale- a été de baisser son salaire de 36% pour atteindre 1,3 million d’euros annuel. Une baisse de ses émoluements qui ne le détrône pas de son poste de leader politique le mieux payé du monde... Dans le même temps, les salaires de tous les hauts fonctionnaires vont baisser.

Pour Tan Wah Piow et Teo Soh Lung, deux opposants de gauche qui s'exprimaient, le 29 mai 2012, en Thaïlande devant des journalistes étrangers, la question centrale à Singapour est de savoir si les dirigeants «sont capables de transformer la structure politique actuelle pour permettre une vraie compétition entre plusieurs partis politiques».

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