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Pakistan : les rois du «truck art» craignent le retrait de l'OTAN

Des artistes de l'ombre prennent pour toile les camions qui arpentent les routes pakistanaises et les métamorphosent en tableaux étincelants. Mais à la veille du retrait de l'OTAN en Afghanistan, les peintres du «truck art» craignent de voir leurs carnets de commandes se dégarnir.
Article rédigé par Valerie Kowal
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Un artiste transforme un camion en oeuvre d'art. Rawalpindi. Pakistan. 4 octobre 2010. (AFP/Carl de Souza)

Au Pakistan, les camions ne sont pas de simples véhicules. «Au pays des purs», ces mastodontes de la route sont décorés, tatoués de calligraphies d'Arabie et recouverts de portraits aux couleurs vives. 

Un groupe d'artistes, souvent méconnus, est à l'origine de ce que les Occidentaux ont nommé le «truck art». Dans l'atelier à «ciel ouvert» de Haider Ali, les coups de pinceaux s'enchaînent sur l'arrière d'un camion. Une pièce maîtresse de l'œuvre comtemplée par les futurs automobilistes. Haider esquisse un bateau. Mais cela aurait pu être un tigre, la monture de Mahomet ou un portrait de l'ex-Première ministre Benazir Buttho. «Tout dépend de l'exigence du propriétaire du camion. Chacun veut que son véhicule soit différent de celui des autres», explique-t-il. Haider a quitté l'école à l'adolescence pour suivre les pas de son père, lui même «truck artist».

Comme la majorité des peintres pakistanais, Haider n'a jamais foulé le seuil d'un musée ni fréquenté une école d'art. Pourtant, son travail a voyagé au Canada, aux Etats-Unis et en Europe. Le «truck art» s'y est hissé au rang de symbole de la culture pakistanaise à l'étranger. Une forme d'art pourtant méconnue dans son propre pays. «L'élite pakistanaise ne considère pas ce que nous faisons comme de l'art mais plutôt comme de l'artisanat», déplore Haider.

Pourtant, «il n'existe aucune forme d'art comparable au Pakistan, on ne peut pas dire que les galeries d'art ou le design de mode peuvent s'y comparer... alors que ces artistes demeurent marginalisés», note Jamal Elias, spécialiste du «truck art» à l'université Penn Slate aux Etats-Unis. Dans un pays encore féodal, ces peintres «ne seront jamais considérés comme de vrais artistes tant que les structures sociales ne changeront pas».

Ces nouveaux artistes, dédaignés par l'élite, ont la faveur des compagnies de transport et des routiers du pays. Ceux-ci n'hésitent pas à débourser jusque 10.000 dollars pour grimer leurs camions. Depuis 10 ans, des entreprises locales de transport roulent sur l'or en acheminant le matériel de la mission de l'OTAN de Karachi jusqu'en Afghanistan. Mais à l'approche du retrait des forces occidentales, certains artistes craignent de voir leurs commandes péricliter. «S'il y a moins de camions en circulation, nous aurons moins de camions à décorer», craint Noor Hussain, un «truck artist» de 76 ans.

Cependant, une question demeure. Pourquoi engloutir des milliers de dollars pour transformer un camion en objet d'art dans un pays miné par l'inflation? «Les décorations montrent notre fierté, notre amour pour notre métier, et aussi que nos camions sont en bon état et attirants», explique Hussain. Il s'apprête ainsi à investir et décorer un camion en ruine. «Sil n'y a pas de dessins sur le camion, les gens ne l'aiment pas», dit-il. Plus un camion frappe l'imaginaire par sa beauté, plus il semble en bon état, et plus son propriétaire pense être en mesure d'appâter les clients.

Derrière cette logique économique se cache un amour secret entre l'homme et la machine. «Leurs femmes mourront de faim au village mais des convoyeurs préféreront encore investir leurs économies pour décorer leurs camions», conclut Sajid Mahmood, un mécano, devant un poids-lourd décoré.

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