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San Francisco : des activistes très remontés contre les salariés de la Silicon Valley

Depuis quelques mois, des militants dénoncent l'explosion des loyers et des prix des logements dans la ville californienne, due à l'installation de salariés très fortunés des entreprises de high-tech. 

Article rédigé par franceinfo - Claire Digiacomi
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des activistes immobilisent un bus privé réservé aux salariés de Google, à San Francisco (Californie, Etats-Unis), le 1er avril 2014. (ROBERT GALBRAITH / REUTERS)

Après les pavés, les tribunaux. Jeudi 1er mai, plusieurs groupes d'activistes anti-Silicon Valley ont déposé plainte contre les "Google bus". Ces navettes, également utilisées par d'autres firmes comme Yahoo! ou Microsoft, sont chargées de transporter les employés de l'entreprise entre leur lieu de résidence, à San Francisco, et leurs bureaux, dans la Silicon Valley. Elles cristallisent depuis quelques mois toutes leurs critiques.

A travers leurs actions symboliques (immobilisations de ces bus privatisés, manifestations devant les domiciles des nouveaux patrons de la Silicon Valley...), les activistes s'organisent. Ils accusent les géants des nouvelles technologies d'être responsables de la hausse astronomique du coût de la vie, particulièrement des logements. Ces mouvements sont multiples et divisés, mais celui de The Counterforce est le plus virulent.

Artistes, chômeurs, anarchistes contre "techies"

Les activistes eux-mêmes disent être incapables de déterminer combien de membres forment leur groupe. A chacune de leurs manifestations, ils ne sont jamais plus d'une cinquantaine. Installés à San Francisco, ils confient à Earth First ! (article en anglais) que beaucoup d'entre eux "ont vécu toute leur vie" dans cette ville, et quelques-uns "viennent juste d'arriver". Le groupe doit son nom à un roman de Thomas Pynchon, Gravity’s Rainbow (en VF, L'Arc-en-ciel de la gravité), paru en 1973. Ce livre raconte, entre autres, le combat d’une alliance de marginaux contre les bouleversements de la technologie, explique le New York Times (article en anglais).

Interrogés par Le Monde.fr, les membres de The Counterforce disent être "de la même génération que Mark Zuckerberg", le PDG de Facebook, et affirment qu'ils veulent lutter "contre les ravages du 'technocapitalisme'" : "Nous sommes des travailleurs, des artistes, des chômeurs, des anarchistes avec des histoires différentes, mais animés par un sentiment d'urgence : le capitalisme évolue de plus en plus vite, devient de plus en plus sauvage, et nous devons agir avec conviction pour maintenir notre planète en vie." Les premiers responsables de tous ces maux, selon eux, sont les "techies", ces salariés qui travaillent pour les grandes firmes high-tech de la région.

Actions ciblées contre les entrepreneurs

Les activistes de The Counterforce s’en prennent directement aux jeunes entrepreneurs installés dans la Silicon Valley. En janvier dernier, à Berkeley, ils ont manifesté devant la maison d’Anthony Levandowski, un ingénieur de Google qui travaille sur un projet de voiture sans chauffeur. Ils ont distribué des prospectus accusant Levandowski de construire "un monde démesuré de surveillance, de contrôle et d’automatisation". Le 6 avril, ils se sont invités devant la maison de Kevin Rose, comme le relate Valleywag (article en anglais). Sur des tracts, ce "techie" à l'origine du site de partage de liens internet Digg.com est traité de "parasite".

Alors que certains grands patrons n’hésitent pas à comparer ces attaques à la persécution des juifs dans l’Allemagne nazie, comme le rapporte le Wall Street Journal (article en anglais), d'autres entrepreneurs, comme Kevin Rose, disent comprendre les activistes : "San Francisco est un endroit fabuleux, il faut absolument trouver une solution pour conserver sa diversité, écrit-il sur son compte Twitter. Les entreprises, de leur côté, s'expriment très peu sur le sujet. Laconique, Google déclare que la firme "s’efforce d’être un bon voisin dans les communautés dans lesquelles les techniciens travaillent et vivent".

Les "tech buses", ces navettes empruntées par les employés des grandes entreprises de la Silicon Valley, cristallisent les tensions. Ces bus permettent en effet aux "techies" de s'installer plus loin de leurs bureaux, et donc au cœur de SanFrancisco. Et selon les activistes, ces salariés fortunés ont fait exploser les prix des loyers dans la ville. Résultat : les expulsions de locataires désargentés deviennent de plus en plus courantes. Une étude (en anglais) réalisée par des chercheurs de Berkeley a montré que les loyers des logements situés autour des arrêts utilisés par les bus Google étaient 20% plus élevés que dans les autres zones habitées de la région. Le New York Times décrit notamment le quartier de Valencia Street, à San Francisco, qui devient inhospitalier pour les immigrés hispaniques à bas revenus, pourtant installés sur place depuis plusieurs décennies. Dans les rues, on peut maintenant manger des glaces bio ou des barres chocolatées "édition limitée" à 12 dollars (8,60 euros) l'unité. 

"Ces bus, c'est comme si des tanks défilaient dans les rues"

Avec leurs vitres teintées, les "tech buses" sont accusés de creuser le fossé entre les habitants lambda de San Francisco, qui utilisent les transports publics, et les "techies". "Ces navettes sont comme des occupants. Comme si des tanks défilaient dans nos rues", explique un riverain au New York Times. Pour beaucoup d’habitants, ces navettes perturbent aussi le trajet des bus traditionnels et encombrent le trafic.

En décembre 2013, un groupe d'activistes a immobilisé un bus de Google et a déroulé une banderole sur laquelle on pouvait lire : "Fuck off Google". Des photos postées sur Twitter montrent qu'une vitre du bus a été brisée, et les passagers ont été priés de "dégager de la ville". Plus récemment, début avril, des militants cagoulés s'en sont pris à un bus de Yahoo! à Oakland, de l'autre côté de la baie de San Francisco. L'un des manifestants a vomi sur le pare-brise avant que le groupe ne soit écarté par la police, raconte le Daily Mail (article en anglais).

Après ces opérations musclées, les activistes ont fait appel à la justice. Ils s'opposent désormais à la mise en place d'un programme pilote qui impose aux "tech buses" de payer une contribution pour chaque arrêt public utilisé. La mesure ne satisfait pas les manifestants, qui estiment que cette contribution financière n'est pas assez élevée, mais aussi que le projet viole les règles de circulation de l'Etat de Californie, ainsi que la loi environnementale. La justice devra maintenant déterminer quel crédit elle donne à ces accusations.

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