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Le Paraguay craint le retour de la dictature

Un amendement à la Constitution permettrait au président de la république Horacio Cartes de briguer un second mandat. Mais la population s’oppose au projet et est descendue dans la rue, craignant de voir resurgir un régime dictatorial. Pendant 35 ans, le Paraguay a subi la loi d’Alfredo Stroessner, le champion de la longévité en Amérique du Sud.
Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le vote vendredi 31 mars par le sénat de l'amendement à la Constitution a enflammé la capitale du Paraguay. (Cesar Olmedo / AFP)

La réaction épidermique du pays repose sur une longue expérience de privation de démocratie au XXe siècle. Alfredo Stroessner a dirigé la junte de 1954 à 1989, concentrant la quasi-totalité des pouvoirs. Sa dictature est à ce jour la plus longue qu’a connu le continent. Une Amérique du Sud qui n’a pourtant pas manqué de dictateurs.
 
Sous sa dictature, les persécutions les plus féroces se sont produites ainsi que des disparitions. La commission Vérité et justice a reconnu en 2008 que la junte avait mis en place un processus systématique de tortures. Un régime répressif, efficace et terrible.
 
Haro sur la presse
Son pouvoir absolu va s’exercer à l’encontre de la presse. En 1979 puis en 1984, des journaux sont fermés et des radios interdites d’émettre. Une loi va également interdire les réunions de plus de trois personnes.
 
Stroessner s’en prendra également à l’Eglise catholique. Il veut réduire son influence, en particulier celle des jésuites sur la jeunesse des classes moyennes et sur certains paysans.

Son parti colorado contrôle toute la société. «Le parti Colorado était une vaste machine de contrôle, mais aussi de redistribution et de promotion sociale, plus efficace à bien des égards que les partis communistes d’Europe de l’Est», note Capucine Boidin dans la revue Mots. Du reste, il disparaîtra bien après la chute du dictateur.
 
Elu sept fois
Stroessner va également modifier la Constitution le 25 août 1967. Jusque là, le président ne pouvait se représenter qu’une fois. La nouvelle Constitution permettra à Stroesser de se présenter deux nouvelles fois. Au total, le général Alfredo Stroessner a été réélu sept fois à la faveur de l’état d’urgence.
 
On comprend mieux l’attachement actuel du peuple au mandat unique, instauré après le renversement du dictateur. La foule qui manifeste à Asunción s’élève contre l’amendement à la Constitution voulu par le président Horacio Cartes pour lui permettre de briguer un nouveau mandat.
 

Ainsi, les manifestations violentes du 31 mars 2017 ont suivi le vote des sénateurs. A une faible majorité (25 oui sur 45), ils ont accepté le changement. Si le parti libéral est contre la réforme, l’opposition est divisée. Ainsi, les sénateurs proches de l’ancien président Fernando Lugo ont apporté leurs voix à la majorité.
 
Mort par balle
A la violence des manifestants a répondu une répression féroce. La police a ainsi fait une descente au siège du parti d’opposition Juventud Liberal. Son président, Rodrigo Quintana, âgé de 25 ans, a alors été tué d’une balle en pleine tête. Le ministre de l’Intérieur Tadeo Rojas et le chef de la police Crispulo Sotelo ont fait les frais de cette bavure et ont été remerciés. Parmi les blessés atteints par des balles en caoutchouc tirées par la police figure le président du Sénat Roberto Acevedo, ainsi qu'Efrain Alegre, candidat malheureux à la présidentielle de 2013.
 
Bombe à retardement
Le maire d’Asunción n’hésite pas à parler de «bombe à retardement». «Le plus important est le retrait de l 'amendement et c'est de la responsabilité des acteurs qui ont initié cela», a précisé Mario Ferreiro (lien en espagnol), renvoyant la responsabilité des émeutes sur le président Cartes.
 
Un mandat de plus, cela peut paraître insignifiant. Mais le pays n’a pas refermé toutes les plaies de la période de dictature. Détail symptomatique, la commission pour faire la lumière sur le régime de Stroesser n’a fini ses travaux que près de vingt ans après la chute du dictateur. Le précédent président, Fernando Lugo, a fait l’objet d’une destitution éclair en 2012, alors qu’il lui restait un an de mandat. Certains y ont vu un coup d’Etat.
 
Au Paraguay, la démocratie est fragile et le peuple tente de la protéger.

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