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"Nous aussi avons quitté notre pays" : face à l'exode des Vénézuéliens, la solidarité des Equatoriens

Des centaines de milliers de Vénézuéliens fuient leur pays. Plusieurs pays de la région ont durci leur politique migratoire face à l'ampleur du phénomène. A Huaquillas en Équateur, à la frontière avec le Pérou, la population locale réagit pourtant avec bienveillance.

Article rédigé par franceinfo, Eric Samson
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les migrants venezueliens reçoivent de la nourriture pendant qu'ils attendent à Huaquillas en Équateur de pouvoir passer au Pérou. (JOSE JACOME / EFE)

Maria Colmenares est arrivée épuisée à la frontière équatorienne. Âgée de 30 ans, cette femme est partie il y a deux semaines, dès que son frère installé au Pérou lui a envoyé un peu d’argent.

Un Eldorado après des années de disette

Après une traversée pénible de la Colombie où des intermédiaires ont essayé de lui extorquer le peu d’argent qu’elle a, sa fille de deux mois qu’elle a laissée au pays lui manque. Mais il n’est pas question pour elle de faire marche arrière : “J’espère revenir quand s’en ira le mec, là, au pouvoir (rire). Je reviendrai chercher ma fille mais pour repartir aussitôt. Vivre là-bas non. Et pourtant j’y ai encore mes affaires et ma maison. Grâce à Dieu je n’ai rien vendu.” 

Une chose pourtant lui arrache un sourire à Maria, tous les magasins remplis de marchandises. Elle n’en avait plus vu depuis sa jeunesse. “Ma mère m’amenait dans un supermarché local et on revenait toujours avec deux caddys pleins: le premier pour les légumes et les viandes, l’autre pour les pâtes, le riz et le reste des courses, raconte-t-elle.

À l’époque, on mangeait, on sortait, on achetait, on faisait des soupes. Aujourd’hui pour faire une simple soupe, il faut payer une fortune.

Maria Colmenares, une migrante

avec franceinfo

Carlos Carvallo lui ne va pas essayer de passer la frontière ces jours-ci. Il a un passeport mais plus d’argent pour poursuivre son voyage. Il lui faut donc en trouver dans les rues de Huaquillas. “Notre mode opératoire, c’est d’arriver dans une ville et de nous mettre à travailler pour envoyer de l’argent chez nous. Au Venezuela, toutes les entrées de devises sont surveillées et taxées par l’État. Donc on envoie notre argent à des comptes bancaires à l’étranger, via Western Union ou Banesco Panama. Comme cela, l’argent arrive directement chez les gens de notre famille qui ont des comptes Banesco sinon l’État vénézuélien retient 15 dollars de frais par envoi”.

Les migrants accueillis avec bienveillance

Même s’ils font pression sur le marché du travail et que des cas de délinquance montés en épingle commencent à provoquer quelques réactions de rejet, les migrants vénézuéliens sont généralement bien reçus à Huaquillas. Dans cette ville dédiée au commerce et à la contrebande, il y a toujours assez d’argent pour tous, selon le vendeur Carlos Castaño. "Ici à la frontière, on accepte les migrants car on connaît la difficile situation du Venezuela. C’est comme nous, Équatoriens, en l’an 2000 avec la crise et la dollarisation, nous aussi avons quitté notre pays, se souvient-il.

Aujourd’hui c’est leur tour et ici ils ne posent pas de problème. Ils vendent de l’eau et des caramels dans le parc, cela ne nous affecte pas.

Carlos Castaño, un commerçant équatorien

avec franceinfo

À 10 kilomètres du centre-ville de Huaquillas, les autorités locales se sont déployées pour accueillir les migrants et faciliter leur passage au Pérou. Sous une tente, le responsable politique du canton, Carlos Tamayo, a des choses à leur donner. “D’abord on s’occupe de leur donner à manger, un café, du pain, de l’eau, des fruits, des sandwiches… tout est gratuit, explique l'élu. Chaque responsable politique de canton s’est arrangé pour trouver des produits à amener ici à la frontière.” 

Les premiers secours s'organisent

Tout à côté, la Croix Rouge est également présente. Elle a déployé ses équipes il y a trois mois lorsque de 3 000 à 5 000 migrants ont commencé à se présenter chaque jour au poste frontière. Jenny Pizarro y coordonne le programme de mobilité humaine : “D’abord nous distribuons de l’eau potable car il est important que les migrants n’en manquent pas. Nous leur permettons de passer gratuitement un coup de téléphone de deux minutes pour rassurer leurs familles au Venezuela. Il y a un service de recharge de batteries de leurs téléphones portables. Nous offrons un service d’attention psycho sociale et nous nous sommes alliés au ministère de la Santé pour avoir des docteurs sur place”.

Rares sont les Vénézuéliens qui détiennent le précieux sésame. Le gouvernement Maduro n'émet plus de passeports. (JOSE JACOME / EFE)

Patientant dans la file d’attente devant le poste frontière péruvien, Luis Baltodano n’est pas stressé. Il a en effet des papiers en règle, tout comme sa femme et sa fille. Cet opposant politique s’inquiète en revanche pour ses voisins. “Simplement, les gouvernements locaux doivent nous soutenir et savoir que le gouvernement du Venezuela n’émet plus de passeports, dit-il. Nous n’avons que la carte d’identité mais ce n’est pas de notre faute. Comment l’Équateur va-t-il gérer tous les migrants qui maintenant ne peuvent plus passer au Pérou ? Que vont-ils faire avec eux ? Ils ne peuvent pas les laisser ici à la frontière, ça va être le chaos, s'inquiète Luis Baltodano. Il faut créer un corridor humanitaire de la frontière vénézuélienne jusqu’en Argentine.” 

Cette vague migratoire n'est qu'un début, prédit un opposant politique en fuite

Ayant échappé de peu à la mort lors des manifestations de l’opposition contre Nicolas Maduro, Luis Baltodano affirme que la crise migratoire ne fait que commencer. “Plus le temps passe, et plus le pays va de mal en pis. Il n’y a plus de nourriture, de médicaments, de produits pour les bébés et les gens sont forcés à migrer. Avant, on attendait car nous espérions encore que quelqu’un allait intervenir pour chasser Maduro du pouvoir. Mais à voir que personne ne bouge et que les forces armées nous répriment quand nous protestons contre Maduro, nous n’avons plus d’autre choix que de partir, que d’abandonner notre pays."

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