Tunisie: reprise en main de la presse ?
La nouvelle est tombée le 30 octobre 2013 : le chef du gouvernement Ali Laârayedh a nommé Mohamed Mongi Gharbi comme PDG du groupe du journal La Presse, le grand journal francophone tunisien, propriété de l’Etat. Et ce en remplacement de Néjib Ouerghi. «Nous l’avons appris quelques minutes après l’attentat de Sousse», témoigne un journaliste du quotidien pour qui cela ne tient pas du hasard. « Est-ce une tentative de camouflage de la décision ?», se demande un communiqué du personnel en date du 1er novembre. «C’est d’autant plus incompréhensible que nous ne sommes pas en crise. Nous avons donc ressenti cette nomination comme une sanction», ajoute le journaliste.
Les salariés de La Presse n’entendent pas se laisser faire. Dans leur communiqué, ils estiment que la décision du premier ministre «est l’œuvre précipitée d’un gouvernement de gestion des affaires courantes». De fait, dans le cadre du «dialogue national», le pouvoir sortant, dominé par les islamistes d’Ennahda, s’est engagé à quitter le pouvoir.
«C’est une décision politique», commente de son côté Néjib Ouerghui, le PDG écarté. «En fait, on reproche à ce journal son attitude indépendante vis-à-vis du gouvernement. A mes yeux, un journal de service public ne peut être crédible que s’il sait être critique. Il était hors de question de revenir à ce que nous avons connu du temps de la dictature», poursuit-il. Quand il était aux commandes de La Presse, a-t-il subi des réprimandes ? «Jamais directement. Mais nous avons connu des pressions, par exemple des suppressions d’abonnement», répond-il.
Le nouveau PDG, Mohamed Mongi Gharbi, se retrouve ainsi sur la sellette. Ancien rédacteur en chef principal de La Presse où il travaille depuis 1987, «il a, lui, su donner des signes d’allégeance», accuse un journaliste. «Il n’a jamais été connu pour son indépendance. Il appliquait à la lettre les consignes et les instructions du pouvoir autoritaire» avant la révolution de janvier 2011, précise un autre rédacteur.
De son côté, l’intéressé tente de dédramatiser la situation. «C’est normal qu’il y ait des contestations», explique-t-il en précisant qu’il «ne s’attendait pas à cette nomination». A ses yeux, celle-ci «entre dans les prérogatives du chef du gouvernement». «C’est ridicule de vouloir l’inscrire dans un marchandage politique», estime-t-il. Selon lui, seuls une centaine d’employés (sur 700) sont opposés à son arrivée à la tête de La Presse. Il fait allusion à une dépêche de l’agence tunisienne TAP selon laquelle les journalistes seraient «divisés» sur sa nomination.
Mohamed Mongi Gharbi dit ne pas comprendre les reproches qui lui sont adressés. «Je n’ai jamais appartenu à aucun parti, je ne roule pas pour Ennahda ni pour X ou Y. On ne me reproche rien sur le plan professionnel. J’ai le même passé que tout le monde au journal. (Avant la révolution de 2011, NDLR), j’ai accepté la ligne éditoriale comme les autres». Et de préciser : «Je n’entends en aucun cas intervenir dans le rédactionnel».
Au-delà du cas de La Presse, cette affaire entre plus généralement dans le cadre d’une «vraie bataille» entre le pouvoir dominé par Ennahda et les journalistes, analyse l’un d’entre eux. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le premier est accusé de vouloir brider l’indépendance des rédactions.
«Le gouvernement a refusé de créer un mécanisme transparent de nomination des médias publics. Son critère de choix, c’est l’obéissance politique», commente Kamel Abidi, journaliste et consultant. Ancien président de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC), il a dirigé en 2012 un rapport sur le secteur de l’information en Tunisie. «Avant de céder le pouvoir, Ennahda entend mettre des hommes à lui dans toutes les entreprises publiques. C’est donc une course contre la montre. On se trouve dans une logique qui ne diffère pas de celle des précédents présidents autoritaires, Ben Ali et Bourguiba», conclut-il.
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