Interdiction du film «Rafiki»: l’homosexualité ne passe toujours pas au Kenya
Le directeur du Comité national kényan de classification des films (KFCB), Ezekiel Mutua, a justifié l’interdiction du film Rafiki en raison «de son thème homosexuel et de son but évident de promouvoir le lesbianisme au Kenya, ce qui est illégal et heurte la culture et les valeurs morales du peuple kenyan.»
Ezekiel Mutua s’était déjà fait remarquer en 2017 par des propos homophobes et particulièrement ridicules. Interrogé sur une photo montrant deux lions mâles apparemment en train de s'accoupler, il avait déclaré: ces deux fauves «ont probablement été influencés par les gays qui sont allés dans les parcs nationaux et se sont mal comportés. Ils doivent l’avoir copié quelque part ou c’est démoniaque… parce que les animaux ne regardent pas de films.»
Le Kenya est un pays qui «craint» Dieu
La constitution kényane, adoptée en 2010, reconnaît dans son préambule le rôle suprême de Dieu. Le directeur de la commission, Ezekiel Mutua, qui se présente comme «un fervent croisé de la morale» explique que le Kenya est un pays qui «craint» Dieu et qui ne veut pas être colonisé par l’homosexualité. Il a déjà interdit d'autres films, publicités et même dessins animés, sous prétexte qu'ils promeuvent l'homosexualité.
Selon Komitid, un site d’informations sur les questions LGBT, «le KFCB affirme que la production de Rafiki avait dissimulé les scènes de romance lesbienne lors de la présentation du scénario original. En outre, il voit d’un mauvais œil la fin heureuse du film, qui suggère donc que deux femmes peuvent vivre leur amour et être épanouies. Le comité a continué à retweeter de nombreux messages soutenant sa décision (de Ezekiel Mutua), agrémentés de passages de la Bible condamnant l’homosexualité ou la présentant comme une valeur importée par l’Occident.»
Attaqué sur les réseaux sociaux par des journalistes et des défenseurs de la cause LGBT, le KFCB a déclaré sur Twitter «n’être pas intimidé par les étrangers qui essaient de corrompre la morale de nos jeunes et de nos enfants en leur vendant des idéologies qui glorifient les vices à travers le contenu cinématographique et audiovisuel.»
En février 2018, le sénateur Irungu Kang'ata qui s'oppose aux revendications LGBT, avait eu des propos allant dans le même sens: «C'est une forme de colonisation occidentale. Ils veulent pervertir les Africains, ils veulent nous pervertir, nous les Kenyans.»Kenya ni nchi inayomcha Mungu. Hatutaki ukoloni mamboleo. Hatutaki ushoga na unyanyapaa!!@InfoKfcb @moscakenya@NellyMuluka @PresidentKE@ConsumersKenya @Khagali_M#KFCBbansLesbianFilmhttps://t.co/PhklncX8r1 pic.twitter.com/j3EXbf4PzC
— Dr. Ezekiel Mutua, MBS (@EzekielMutua) April 29, 2018
«Yes we Cannes!»
«Nous pensons que les adultes kenyans sont assez matures et clairvoyants (...) mais leurs droits ont été niés», a réagi la cinéaste, qui, lors de l’annonce de sa sélection au prestigieux festival, avait crié sa joie «Yes we Cannes!»
Citée par Le Monde, la réalisatrice a expliqué «l’urgence et la nécessité» qu’il y avait à faire ce film, à la lumière de l’épreuve qu’ont représentée l’écriture et la production de son film «dans un climat anti-LGBT terrifiant. Rafiki, c’est «la beauté et la difficulté de l’amour, des moments précieux pendant lesquels on s’élève au-delà de nos préjugés.» Et pour faire ce film en Afrique et sur l’Afrique, il a aussi fallu «bousculer le cynisme profondément ancré dans la société concernant l’homosexualité à la fois auprès des acteurs, de l’équipe, de mes amis et de ma famille.»
Pour appuyer son propos, Wanuri Kahiu n’a pas hésité à twitter un extrait de la Déclaration universelle des droits de l'homme: «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit».“Everyone has the right to freedom of opinion and expression; this right includes freedom to hold opinions without interference and to seek, receive and impart ideas through any media and regardless of frontiers.”
La reconnaissance des droits des personnes LGBT est très loin d’être gagné au Kenya. Surtout quand on sait que le président Uhuru Kenyatta a déclaré dans un entretien télévisé le 22 avril sur CNN, que l'homosexualité allait à l'encontre de la culture et de la société kenyanes. Il a estimé que les droits des gays «n'ont pas grande importance pour le peuple et la république du Kenya» et réaffirmé son opposition à la dépénalisation de l’homosexualité dans son pays.“Everyone has the right to freedom of opinion and expression; this right includes freedom to hold opinions without interference and to seek, receive and impart ideas through any media and regardless of frontiers.”
— Wanuri (@wanuri) April 28, 2018
United Nations Universal Declaration of Human Rights
Toujours sous le coup des lois remontant à l’époque coloniale britannique, l'homosexualité reste illégale au Kenya et punie de 14 ans de prison. Selon un sondage Pew Research de 2013, 90 % des habitants du Kenya considèrent que l’homosexualité est inacceptable. Et en 2016, Jeune Afrique citant un rapport de l’organisation Human Rights Watch précisait: «Les cas d’attaques d’hommes et femmes homosexuels violés pour les ‘’guérir’’ se sont multipliés. L’homophobie y reste un problème majeur.»
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