Egypte: le régime d’al-Sissi accusé de torture généralisée et systématique
Dans un rapport alarmant et accablant de 63 pages, basé sur les témoignages de 19 anciens détenus et les rapports d’avocats et militants des droits de l’homme égyptiens, Human Rights Watch (HCR) jette un pavé dans la mare du président Abdel Fattah al-Sissi.
La torture pour extorquer des aveux sur des affaires montées de toutes pièces
L’organisation de défense des droits de l’Homme accuse les policiers et les agents de sécurité du régime de torturer systématiquement les prisonniers politiques pour leur extorquer des aveux ou les réprimer.
«Le ministère de l’Intérieur a mis en place une véritable chaîne répressive destinée à recueillir des informations sur les dissidents présumés et à monter contre eux des affaires fabriquées de toutes pièces», explique HRW.
D’après les témoignages d’anciens détenus, «les séances de torture commencent par l’infliction de chocs électriques au suspect, alors qu’il a les yeux bandés, est dénudé et menotté par des agents de sécurité qui le giflent, le tabassent à l’aide de matraques et de barres métalliques. Si le suspect ne donne pas aux officiers les réponses souhaitées, ils augmentent le voltage et la durée des chocs électriques en s’en prenant presque toujours aux organes génitaux».
«Khaled», un comptable de 29 ans arrêté à Alexandrie, raconte qu’au bout de dix jours d’un tel traitement, il a été interrogé par un procureur auquel il a déclaré avoir été torturé. Celui-ci lui a rétorqué que ce n’était pas son problème et lui a «ordonné de confirmer ses aveux enregistrés sous peine de le faire torturer à nouveau».
Le feu vert du président Sissi aux policiers et agents de sécurité
HRW détaille également les différentes positions douloureuses infligées pendant des heures aux détenus ; Ils sont soit suspendus au dessus du sol, les bras tournés vers l’arrière, soit ligotés à une barre passée entre les creux des coudes et à l’arrière des genoux dans la position dite «poulet» ou «grillade».
L’ONG rappelle avoir révélé l’existence de ces pratiques dès 1992 mais estime que depuis la prise du pouvoir par Abdel Fattah al-Sissi en 2013, «le caractère systématique de la torture et l’impunité qui la recouvre ont créé un climat dans lequel les victimes sont privés de la possibilité de tenir leurs agresseurs pour comptables de leurs actes».
De son côté, Joe Stork, le directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du nord de HRW va encore plus loin. Pour lui, «le président al-Sissi a effectivement donné aux policiers et agents de la sécurité nationale un blanc-seing pour se livrer à la torture quand bon leur semble», privant les citoyens «d’espoir de justice».
Depuis le coup d’Etat militaire qui a renversé le président Morsi, les autorités égyptiennes ont arrêté plus de 60 0000 personnes, fait disparaître des centaines d’autres, jugé des milliers de civils dans des tribunaux militaires, prononcé à titre provisoire des condamnations à mort et créé au moins 19 nouvelles prisons pour absorber l’afflux de condamnés. Principale cible de cette répression, selon HRW, les Frères musulmans, qui restent la principale force d’opposition dans le pays.
Les mêmes abus avaient déclenché le soulèvement contre Moubarak
Au terme de son enquête, HRW précise qu’«en vertu du droit international, la torture est un crime de compétence universelle qui peut faire l’objet de poursuite dans n’importe quel pays».
L'ONG rappelle également que les abus perpétrés par les forces de sécurité avaient contribué à déclencher le soulèvement de 2011 qui avait mis fin à trente ans de règne de Hosni Moubarak.
«Permettre aux services de sécurité de se livrer à ce crime odieux (la torture) à travers tout le pays ne fera qu’enclencher un nouveau cycle d’instabilité», a prévenu Joe Stork pour conclure.
Au lendemain de la publication du rapport, les autorités égyptiennes ont bloqué le site de Human Rights Watch. Il vient ainsi s'ajouter aux 136 sites d'informations, d'activistes et d'ONG de défense des droits de l'Homme, rendus inaccessibles aux internautes égyptiens.
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