Cet article date de plus de six ans.

Attentats de Sousse et du Bardo en Tunisie: pourquoi les procès sont reportés

Le procès de l’attaque de Sousse, qui devait s’ouvrir le 3 octobre 2017 à Tunis, a été reporté au 9 janvier 2018. Il avait déjà été reporté en mai. Comme l’a été, à deux reprises le 12 juillet et le 31 octobre, celui de l’attentat du Bardo. Des procédures ainsi appelés à durer. Dans le même temps, on évoque des «failles» dans la sécurité à Sousse et des «zones d’ombre» dans l’enquête sur le Bardo…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Policiers tunisiens patrouillant sur une plage de Sousse, le 2 juillet 2015, une semaine après l'attaque terroriste qui a tué 38 personnes (et en a blessées 36 autres). (AFP - MED AMINE BEN AZIZA - ANADOLU AGENCY)

38 touristes étrangers (dont 30 Britanniques) avaient été tués et 36 personnes blessées lors de l’attaque à Port el-Kantaoui, près de Sousse, le 26 juin 2015. Outre cette attaque, deux autres actions majeures avaient été revendiquées par Daech en 2015 en Tunisie: celle du musée du Bardo (24 morts, dont 4 Français, et 45 blessés) le 18 mars à Tunis et l’attaque d’un bus de la garde présidentielle (12 morts et 16 blessés), toujours dans la capitale tunisienne, le 24 novembre.

Vers un «long» procès
Parmi les 26 personnes poursuivies dans l’affaire de Sousse, 13 en état d'arrestation se sont présentées le 3 octobre devant le juge, alors que trois ont comparu libres, dont une femme.

Les avocats commis d'office pour défendre les victimes ont indiqué manquer d'informations pour monter leurs dossiers. «Nous avons des difficultés à contacter les blessés ou leurs proches pour avoir les papiers nécessaires pour le dossier civil», a expliqué au juge l'un des avocats, Raja Khmiri. La défense des accusés a demandé également le report du procès pour pouvoir «compléter leurs dossiers». Un des avocats a protesté contre des actes de torture en prison.

En mai, lors de la première audience, reportée elle aussi, Akram Barouni, avocat tunisien d'une des familles des victimes, avait dit avoir été mandaté «il y a 48 heures» par la cour. Et ce sans connaître la nationalité de son client et sans savoir si ce dernier était mort ou blessé dans l'attentat. Il avait alors expliqué avoir besoin de davantage de temps «pour étudier les procès-verbaux de l'enquête». Il avait aussi prédit un «long» procès.

Plusieurs avocats s’étaient succédé devant le juge pour dire que leurs clients n'avaient «aucun lien avec l'auteur» de l'attentat, en réclamant leur «libération provisoire». Peu avant l'audience, une autre défenseure avait affirmé à l'AFP que son client, Achraf Sandi, n'était «ni salafiste ni terroriste». Il a été arrêté «parce que son frère, en fuite, est accusé dans cette affaire». Dans ce contexte, face à toutes ces incertitudes, le procès risque effectivement de durer…

Le tribunal de Tunis où s'est déroulée la première audience du procès de l'attaque de Sousse, le 26 mai 2017. (AFP - Fethi Belaïd)

Enquête britannique
Dans le même temps, une procédure est en cours devant la Cour royale de justice à Londres. Le Royaume-Uni ayant payé le plus lourd tribut dans l’attentat de Sousse avec 30 morts. Fin février, au terme de plusieurs semaines d'auditions, le juge Nicholas Loraine-Smith avait estimé que la police avait réagi de manière «chaotique». A ses yeux, sa «réponse aurait pu et dû être plus efficace».

Durant ces auditions, l'avocat de 20 familles de victimes britanniques, Andrew Ritchie, avait évoqué un rapport tunisien remis au gouvernement de Londres qui pointait des «failles» dans la sécurité. De son côté, le chef du gouvernement tunisien de l'époque, Habib Essid, avait reconnu, dans un entretien à la BBC, que la police avait été trop longue à intervenir.

Et le procès de l’attentat du Bardo?
S’il s’était ouvert le 3 octobre, le procès de l’affaire de Sousse aurait eu lieu avant celui de l’attentat du Bardo, action menée trois mois avant l’attaque de Sousse. Ce procès de l’attaque du Bardo a finalement été repoussé, le 31 octobre, au 9 janvier 2018.. 

L'audience du 31 octobre a été levée au bout de deux heures et demie. Le procès, qui «n’avait fait l’objet d’aucune annonce préalable», selon France 24, s’était ouvert en toute discrétion en juillet.

Dans la foulée de l’attentat, les autorités tunisiennes avaient procédé à l'arrestation d'une vingtaine de personnes, en affirmant avoir démantelé «80% de la cellule» impliquée. Quelques mois plus tard, huit d'entre elles, dont l'homme un temps présenté comme le principal responsable, avaient toutefois été relâchées. Durant l'enquête, les avocats des parties civiles françaises ont dénoncé à plusieurs reprises des «zones d'ombre». Joint par l'AFP, Me Gérard Chemla, qui représente «27 parties civiles», a déploré des «dysfonctionnements» et regretté «une instruction à laquelle nous n'avons été que très peu associés».

Un autre avocat, Me Philippe de Veulle, a indiqué dans un communiqué à l'AFP son intention de boycotter le procès, qui n'offre pas «les conditions d'une justice sereine et indépendante», affirme-t-il. Dans un article, relayé sur Twitter par ce dernier, Le Canard affirmait, en novembre 2016, que «l’enquête ne cesse de piétiner, entravée par des dysfonctionnements à répétition». 


Le juge antiterroriste Bachir al-Akrimi, promu depuis procureur, est «soupçonné (…) de  sympathies islamistes». Dans le même temps, «six complices présumés des terroristes» (au nombre de deux, abattus pendant l’attaque du musée tunisois) «ont été libérés». Alors que deux syndicalistes policiers «se trouvent en taule pour avoir dénoncé les défauts» de la procédure. Autre accusation du journal satirique français: le commissaire divisionnaire du district du Bardo «a été limogé pour avoir révélé le refus du ministère de l’Intérieur d’envoyer sept flics en renfort la veille de l’attentat, à la suite d’un renseignement sur une possible attaque contre le musée». Pour autant, citée par Ouest France, la juge française du pôle antiterroriste, Isabelle Couzy, en charge du dossier, rétorque que «la justice tunisienne fait bien son travail».

Et les victimes dans tout ça ?
«Aucune des victimes françaises ne fera le déplacement au procès de l’attentat du Bardo qui devrait durer plusieurs semaines. Leurs avocats non plus. Ces derniers ont appris que leurs clients devront assumer leurs frais de déplacement et que la Tunisie leur offrira des avocats commis d'office», rapportait Le Parisien le 11 juillet. «Il est inenvisageable que mes clients confient leur défense à un avocat qu'ils n'auront jamais rencontré. Il est de la responsabilité de l'Etat d'accompagner les victimes françaises. La France ne peut pas être spectatrice de ce procès», a écrit au garde des Sceaux leur avocat, Me Gérard Chemla, cité par le quotidien.

Le Premier ministre tunisien Youssef Chahed a assuré le 5 octobre, lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue français Edouard Philippe à Tunis, qu'il ferait de son mieux pour que les victimes françaises du Bardo puissent suivre le procès.

Un seul et même procès pour les deux affaires?
Selon l’avocat d’un des accusés dans l’affaire du Bardo, cité par kapitalis.com, «le dossier de l’attentat de Sousse sera intégré à celui du Bardo, étant donné que plusieurs de ses clients sont aussi accusés dans cette affaire» et poursuivis dans les deux procédures. Mais cette requête a été «rejetée», a précisé à l'AFP, le 12 juillet, une source proche du dossier, sous le couvert de l'anonymat. Depuis, aucune annonce officielle n’a apparemment été faite dans un sens ou dans un autre. Une chose est sûre : tous ces reports et tergiversations semblent trahir le fort embarras des autorités tunisiennes…

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.