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Vincent Hugeux: «Kadhafi vivant était une énigme. Mort il demeure un mystère»

Le 20 octobre 2011 mourait dans des conditions brutales le colonel Kadhafi. Ce dernier «ne croit pas à la révolution de 2011. Il pense que son peuple l'aime», affirme Vincent Hugeux, grand reporter à «l’Express». Malgré son extravagance, le leader libyen a tenu d’une main de fer durant 42 ans un pays profondément fragmenté. Interview de l'auteur de «Kadhafi» réalisée lors du Prix Bayeux-Calvados.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le colonel Kadhafi célèbre en juin 2010 les 40 ans de la Jamahiriya libyenne (République arabe et socialiste libyenne). (REUTERS/Ismail Zetouny )

Vincent Hugeux, qui couvre l'actualité africaine et moyen-orientale, a fait de nombreux séjours en Libye. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment Afrique: le mirage démocratique (2012) et Reines d'Afrique (2014). Son livre Kadhafi, pour lequel le grand reporter a enquêté durant quatre ans, est édité chez Perrin.

Après avoir enquêté durant 4 ans sur la vie du colonel Kadhafi, avez-vous levé le mystère du personnage? Beaucoup le voyaient comme un fou.
On ne peut pas réduire Kadhafi à ses lubies. C’est vrai, il prétendait que Shakespeare était arabe, que les Arabes avaient découvert l’Amérique. Mais malgré ses frasques, ce n’est pas un fou. Tenir pendant 42 ans un pays aussi complexe et fragmenté montre un certain génie politique des allégeances tribales. Il a su donner un semblant d’unité à un pays profondément divisé en trois entités: tripolitaine, cyrénaïque, Fezzan. Il a imposé une chape de plomb autoritaire tout en arrosant les différentes tribus avec l’argent du pétrole. Avec son sens politique, il a su s’adapter aux réalités diplomatiques, passant par exemple du soutien aux mouvements révolutionnaires (Ira, OLP, Kanaks du FLNKS...) à une farouche opposition à Ben Laden et aux islamistes.

Au départ, ces références culturelles sont étonnantes...
Oui, il vénère Napoléon et la révolution française. Comme son idole Nasser, il veut moderniser le monde arabe. Il a lu Montesquieu, Rousseau, Proudhon – on peut même parler d’un rousseauisme adapté à la culture bédouine. Des auteurs qu'il va vite oublier, son petit livre vert se voulant une synthèse, un peu bancale, entre capitalisme et socialisme. Mais très vite, il va tomber dans un règne tyrannique, sans partage. Avec son lot d’assassinats politiques, une implacable répression, avec des milliers de prisonniers massacrés. 

En 42 ans de règne, Kadhafi a-t-il marqué le continent africain?
Ce qui est fascinant dans ce personnage, c’est qu’il arrive au pouvoir presque sans violence. Son modèle, c’est le leader égyptien Gamal Abdel Nasser. Il incarne à ses débuts un certain purisme révolutionnaire. Il se battra pour l’unité du monde arabe qu’il veut moderniser. Tentant en vain de marier la Libye à l’Egypte, à la Tunisie, au Soudan. Il a voulu à 14 reprises unir son pays avec d’autres pays de la région. Après l'échec de l’unité arabe, il se tournera vers le continent africain.

Il a toujours considéré la Libye comme «un bac à sable trop étriqué» pour sa vision mondialiste. Mais selon moi, Kadhafi, prophète d'un panafricanisme, est une imposture. Il a laissé faire des ratonades racistes, dans les arrière-cours de Tripoli et de Benghazi, un pays qui maltraite toujours les migrants africains. Il a été couronné «roi des rois d’Afrique», mais il n’a pas su faire partager «son amour des africains» par le peuple libyen. Son rêve africain était, selon moi, un registre instrumental pour exister sur la scène internationale.

La révolution libyenne, une révolution authentique ou orchestrée de l’extérieur?
Kadhafi ne croit pas à cette révolution de 2011. Il est persuadé que son peuple l’aime, qu'il ne va pas tomber comme Ben Ali. Sous sa tente bunker, Il est quelque peu coupé des réalités du pays. Les grandes tribus vont finir par le lâcher. Une révolution ne peut pas prendre et réussir si elle n’a pas de relais authentiques dans le pays. L’aide militaire extérieure ne suffit pas.

La France de Nicolas Sarkozy a une approche calamiteuse des Printemps arabes, avec un soutien sans limite à Ben Ali et à Moubarak. Sentant le vent tourner, Paris a voulu se laver de ce péché originel en soutenant la révolution libyenne. Cela a finalement plus pesé dans la balance que d'hypothétiques ventes d'avions Rafale ou d'hélicoptères Tigre, annoncées un peu rapidement lors de la visite controversée de Kadhafi à l’Elysée.

Un cahier photos au centre de votre livre montre les métamorphoses physiques du personnage.
L’évolution de son visage révèle celle de son régime. Austère et fringuant au départ, le jeune officier se mue en dictateur de plus en plus loufoque, avec sa chapka très peu bédouine et ses lunettes noires. Avec les femmes, on passe du séducteur au prédateur et selon différents témoignages, il y a aussi la drogue. Il y a un parallélisme étonnant entre les métamorphoses de son visage et les dérives de son régime.

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