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Maroc : les abeilles ne bourdonnent plus dans le plus ancien rucher au monde

L'ampleur des disparitions des abeilles s'expliquerait par la pire sécheresse que connaît le Maroc depuis 40 ans.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 4 min
Un apiculteur au rucher d'Inzerki, à 82 kilomètres au nord d'Agadir, le 26 février 2020.  (FADEL SENNA / AFP)

Au pied du monumental rucher d'Inzerki, au sud-ouest du Maroc, le silence a remplacé le bourdonnement des abeilles. Silence synonyme d'un désastre écologique précipité par la disparition des colonies. Un phénomène observé à l'échelle nationale provoqué par une sécheresse hors norme et le changement climatique, selon des experts.

"A cette période de l'année, l'espace est censé être empli du bourdonnement des abeilles. Aujourd'hui, elles meurent à un rythme vertigineux"

Brahim Chatoui, apiculteur

à l'AFP

"Le plus ancien et le plus grand rucher"

Le rucher d'Inzerki, site datant de 1850 et considéré comme "le plus ancien et le plus grand rucher collectif traditionnel au monde" selon les spécialistes, n'est pas le seul frappé par la mortalité des hyménoptères. D'autres régions marocaines sont touchées. 

Comme le veut la tradition familiale, les 90 ruches de Brahim Chatoui – il en a perdu 40 en moins de deux mois  sont disposées dans l'abeiller d'Inzerki, au cœur de la réserve de biosphère de l'arganeraie, l'une des plus riches du pays. Selon lui, "d'autres familles ont tout simplement décidé d'abandonner l'apiculture faute de moyens"

"Les pertes sont considérables rien que dans la région de Béni Mellal-Khénifra (centre), elles sont estimées à 100 000 ruches depuis le mois d'août"

Mohamed Choudani, Union des apiculteurs du Maroc (UAM)

à l'AFP

Le pays comptait 910 000 ruches exploitées par 36 000 apiculteurs recensés en 2019 contre un peu moins de 570 000 en 2009, selon les statistiques officielles.

Des apiculteurs marchent vers le rucher d'Inzerki dans le village d'Inzerki, à 82 kilomètres au nord d'Agadir, le 26 février 2020. (FADEL SENNA / AFP)

"Phénomène inédit"

Cette année, l'ampleur des disparitions d'abeilles est telle que le gouvernement a débloqué une aide aux apiculteurs de 130 millions de dirhams (plus de 12 millions d'euros), "toujours pas déployée", selon Mohamed Choudani, et a lancé une vaste enquête sur la catastrophe. "Cette désertion des ruches est un phénomène inédit au Maroc", constate l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) chargé de l'enquête, qui impute aux changements climatiques le "syndrome de l'effondrement des colonies d'abeilles". L'ONSSA exclut l'hypothèse de maladies. Le chercheur en sciences apicoles Antonin Adam privilégie, lui, comme explication la pire sécheresse depuis 40 ans à frapper ce pays d'Afrique du Nord.

"La sécheresse peut être aujourd'hui amplifiée par la vulnérabilité des abeilles aux maladies, à la transhumance, aux pratiques agricoles intensives mais également à la volonté du pays d'augmenter sa production de miel"

Antonin Adam, chercheur en sciences apicoles

à l'AFP

La production de miel a bondi de 69% en dix ans, passant de 4,7 tonnes en 2009 à près de 8 tonnes en 2019, avec plus d'un milliard de dirhams (101 millions d'euros) de chiffre d'affaires, selon le ministère de l'Agriculture. Pour l'apiculteur Brahim Chatoui, "la sécheresse est un cycle normal. C'est son intensité qui est aujourd'hui inquiétante".

Patrimoine menacé 

A Inzerki, le désastre est double : écologique mais aussi patrimonial. De loin, le rucher frappe par sa structure à la fois simple et complexe, construite en terre et en bois sur cinq niveaux compartimentés en cases à dimension égale. A l'intérieur des cases sont disposées les ruches cylindriques en roseaux tressés enveloppées de terre mélangée à de la bouse de vache. Mais il suffit d'approcher pour constater l'étendue du délabrement. Des parties de l'abeiller, inscrit récemment au patrimoine national, s'affaissent, laissant craindre le pire. 

Des abeilles du rucher d'Inzerki, à flanc de colline, au cœur de la réserve de biosphère de l'Arganeraie, une région de 2,5 millions d'hectares protégée par l'Unesco, à environ 415 kilomètres au sud-ouest de Rabat, le 18 février 2022. (FADEL SENNA / AFP)

Réchauffement climatique

Pour Hassan Benalayat, chercheur en géographie humaine, la dégradation du rucher est la conséquence de plusieurs bouleversements dans la région, notamment la modernisation de la filière apicole et l'exode rural, mais aussi le réchauffement climatique. Par le passé, 80 familles y déposaient leurs abeilles, elles ne sont plus qu'une vingtaine aujourd'hui. "Il est urgent de faire vivre ce patrimoine exceptionnel", plaide Hassan Benalayat.

"La situation est critique mais ce n'est pas pour autant que je vais baisser les bras. L'objectif n'est pas le miel mais surtout que le rucher soit préservé et que mes abeilles survivent en attendant des jours meilleurs"

Brahim Chatoui, apiculteur

à l'AFP

Brahim Chatoui a créé avec d'autres villageois une association pour protéger le rucher. Ils se sont battus pour l'inscrire au patrimoine du Maroc. Ils ont planté des herbes aromatiques afin de résister à l'aridité des sols, et s'efforcent aujourd'hui de le réhabiliter.

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